Trop passif, l’enseignement universitaire ?   A l’ère d’internet   et de l’accès généralisé aux savoirs, les universités n’ont d’autre choix   que de s’adapter.  De nouvelles pratiques pédagogiques y voient   le jour, qui veulent placer l’étudiant au centre  de son apprentissage.

Moins d’exposés théoriques et des étudiants davantage impliqués

C’est le principe des classes inversées, une pratique déjà présente, par-ci par-là, dans plusieurs universités belges. Et l’une des innovations sur lesquelles misent celles-ci pour créer l’université de demain : avec moins d’exposés théoriques, plus d’outils digitaux et des étudiants davantage impliqués dans leur apprentissage.
En juillet dernier, le président sortant de la Fédération des étudiants francophones (FEF), Maxime Mori, dressait pourtant, dans ces colonnes, un constat sans ménagement : estimant que les universités servent à « enfoncer de la matière dans les neurones pour la restituer à un examen deux fois par an » , il appelait à plus «d’investissement personnel et d’engagement citoyen » dans les études (voir Le Soirdu 16 juillet 2018). La volonté des universités de se transformer proviendrait-elle de la même conclusion ? Estiment-elles, elles aussi, que leurs étudiants sont davantage des têtes bien pleines, rodées à l’exercice du par cœur, que des têtes bien faites, adaptées au futur monde du travail ?
Pas tout à fait. D’abord, parce que « l’enseignement de type universitaire reste celui qui offre le plus de chances d’obtenir un emploi , avance Albert Corhay, recteur de l’Université de Liège. Précisément parce que nos étudiants ont des têtes bien pleines et bien faites, et qu’ils ont une forte capacité d’adaptation. » Depuis peu, les universités mesurent chaque année la « mise à l’emploi » de leurs anciens étudiants. A l’UCLouvain par exemple, « 91 % d’entre eux trouvent un emploi après six mois de recherches » , indique Marc Lits, prorecteur à l’enseignement de l’Université catholique de Louvain.

Langues et digital : peut mieux faire

Un constat que confirme la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), qui tempère toutefois : « Cela ne veut pas dire, malheureusement, que les compétences des étudiants universitaires sont immédiatement applicables sur le marché de l’emploi. »
Ces derniers manquent, selon Philippe Lambrecht, administrateur-secrétaire général de la FEB, d’une « capacité d’adaptation » au contexte hors universitaire, qui nécessite par exemple « de travailler en équipe, de trouver des solutions par soi-même… Les entreprises pallient souvent ces manques via des formations, mais est-ce normal ? », s’interroge-t-il, précisant que les principales lacunes des étudiants belges portent sur les compétences linguistiques et numériques.
Les universités semblent avoir compris le message et s’efforcent désormais de renforcer les « soft skills » de leurs étudiants – comme la capacité à résoudre des problèmes, la gestion du temps, l’esprit collectif ou la motivation – de plus en plus demandées sur le marché de l’emploi.
L’UCLouvain, qui a mis en place un groupe de travail sur l’insertion socioprofessionnelle, va par exemple valoriser ces compétences « via des crédits ECTS intégrés dans le programme de master, qui correspondront à différents types d’apprentissages extra-universitaires, comme les langues, la gestion de groupes, etc.»
Pour encourager leurs étudiants à mettre un pied dans le monde extérieur, les universités misent aussi sur l’entrepreneuriat. « Depuis deux ans, les jeunes qui ont créé leur start-up peuvent bénéficier du statut d’étudiant-entrepreneur, avec un aménagement des horaires et un allégement du programme », poursuit Marc Lits.
A l’université de Liège, le statut d’étudiant-entrepreneur coexiste avec le «Venturelab », un système de soutien à l’entrepreneuriat qui accueille les étudiants de différentes institutions de l’enseignement supérieur de la région liégeoise.

Un enseignement participatif

Mais au-delà de ces aménagements, c’est aussi leur pédagogie en tant que telle que les universités veulent transformer et rendre plus participative.
L’Université libre de Bruxelles (ULB) planche ainsi sur un projet pilote, visant à réinventer de fond en comble les méthodes d’enseignement d’un bac entier, au sein d’une ou deux facultés (d’ici à 2019 ou 2020). Actuellement, l’heure est au recensement de toutes les pratiques innovantes déjà à l’œuvre dans les auditoires de l’ULB, et à l’identification des facultés prêtes à se lancer dans l’expérience.
« Nous avons déjà beaucoup d’outils innovants, disséminés dans les auditoires, comme les serious games (jeux sérieux), les classes inversées ou le blended learning (enseignement hybride, qui repose sur une utilisation conjointe de eLearning, numérique, et d’apprentissage « classique », dit présentiel, NDLR) » , détaille Nathalie Vaeck, vice-rectrice à l’enseignement, aux apprentissages et à la qualité à l’ULB.
Consciente que « les cours magistraux de deux heures ne favorisent pas l’activité et l’attention des étudiants », l’ULB veut, à travers ce projet, « rendre les étudiants acteurs de leur apprentissage » , en diminuant le temps de présentiel. Une évolution qui passera aussi par le réaménagement de certaines classes de cours, pour y permettre plus d’interactivité.
Internet, et l’accès presque illimité aux savoirs qu’il permet, a incontestablement changé la donne et poussé les universités à se remettre en question. Les outils numériques rendent également possibles les innovations qui s’offrent à elles.
« Nous avons énormément de MOOCs (formations en ligne ouvertes à tous) et de plus en plus de nos cours sont publiés en ligne, sur la plateforme de l’université Moodle , remarque le prorecteur à l’enseignement de l’UCLouvain. Les étudiants peuvent ainsi se mettre en réseau au sein d’un cours, et cela crée des dynamiques nouvelles : ce qui se passe dans l’auditoire n’est plus qu’une partie de l’enseignement. »
CLARA VAN REETH dans Le Soir du lundi 17 septembre 2018