Esther du magazine féministe mademoiZelle,  est partie recueillir les témoignages des jeunes femmes de plusieurs pays, à travers le monde, avec une attention particulière portée aux droits sexuels et reproductifs : liberté sexuelle, contraception, avortement.

 À Ballina, dans l’ouest de l’Irlande, j’ai eu l’opportunité de passer un moment à discuter avec des jeunes filles entre 15 et 18 ans. La première partie de notre discussion faisait l’objet de l’article précédent.

Alors que je leur demandais si elles avaient aimé vivre ici, dans cette petite ville de 10 000 âmes, deux mots ont résonné : « ennuyeux » et « conservateur ».

 En fait, elles ont utilisé le mot « old-fashioned », que j’ai traduit comme conservateur après qu’elles m’ont expliqué où elles voulaient en venir…

Grandir dans un petit village « conservateur » en Irlande

Leur perception, c’est qu’il est très difficile de sortir des cadres établis :

La religion a encore une influence très forte.

On l’avait vu au moment des débats autour du mariage pour tous, mais ça peut aussi être des choses toutes simples !

Par exemple si tu portes des vêtements un peu plus excentriques que d’ordinaire, les gens vont te regarder et penser « pourquoi est-ce qu’elle porte une robe et pas… »

Comme s’il s’agissait de réflexions communes qu’elles avaient toutes entendues, elles complètent la phrase en chœur :

« …un jean et un haut ? »

Doon enchaîne :

« En particulier en ce moment, avec le référendum lié à l’avortement qui approche, [ce conservatisme] se ressent beaucoup. Les femmes ne sont simplement pas perçues de la même manière. »

Ce qui les marque visiblement, c’est la violence qui imprègne la société irlandaise à l’approche de la date du vote. Doon raconte ainsi :

« Il y a tellement de haine, d’un camp envers l’autre ! Ça marche dans les deux sens, ceux qui sont pour le « non » sont haineux vis-à-vis de ceux qui sont pour le « oui » et inversement. »

« Et puis ils sont très agressifs, même quand tu es de leur côté parfois ils sont vraiment intenses ! », complète Fiona.

En général, elles constatent un grand écart entre les personnes qui défendent leur opinion de manière très visible et beaucoup d’autres qui n’abordent pas le sujet en public.

Débattre de l’avortement en cours de religion

À l’école, elles en parlent aussi évidemment. Sans même avoir moi-même lancé le sujet, la discussion s’oriente naturellement dessus et j’écoute leurs opinions :

« En cours de religion, on en débat », raconte Eime.

Doon ajoute :

« C’est un bon cadre pour discuter car il y a un adulte pour tempérer les tensions, alors que pendant toute l’année, j’ai eu ce sentiment que les gens pourraient en venir à se battre réellement. »

Il ne semble pas qu’on leur ait fait de cours orientés sur la question mais au contraire, que le débat et la discussion sont encouragées, dans le respect.

Quant aux pronostics… elles ne sont pas d’accord.

– Je pense qu’à l’école il y a une majorité de « oui ».
– Non à mon avis c’est moitié-moitié !
– Mais il faut prendre en compte le fait que beaucoup de gens sont juste silencieux sur le sujet…

Eime estime qu’il y a une dichotomie entre leur génération et les plus vieux.

« Peut-être mais pas forcément, par exemple mes grands-parents votent oui », raconte Fiona.

Au sujet de l’IVG en Irlande, un débat enflammé, des affiches choc

C’est fascinant de les voir débattre et de voir à quel point elles sont touchées par les représentations que donnent chacun des camps.

« Ce que je n’aime pas ce sont les affiches partout dans la rue. Si tu ne sais pas de quoi ça parle, si tu es en 6ème par exemple, ça peut être perturbant.

Tu peux te dire « Oh non, je ne veux pas que des bébés meurent »… parce que c’est ce que ces affiches disent ! C’est très agressif. »

« Des bébés vont mourir. Votez non. » En Irlande, les panneaux anti-choix comme celui-ci émaillent les rues. Cork, mai 2018. © Esther Meunier

Les discussions de ces lycéennes illustrent ce problème. Carly s’enquiert :

« Il y a des affiches qui disent « Je peux bâiller et donner des coups de pieds, ne m’avortez pas »… mais c’est vrai ça ? À 12 semaines, un fœtus ne peut pas faire ça, si ? »

Le débat à l’IVG se révèle constructif parmi ces lycéennes

Ces jeunes filles ont des vues plus nuancées et mènent un débat plus serein que tout ce que j’ai pu entendre jusqu’à présent. Selon Eime, « C’est un peu comme lors du référendum sur le mariage gay il y a quelques années ». Carly nuance :

« Ce n’est pas vraiment la même chose.

Autant pour le mariage, je ne comprenais pas qu’on puisse voter non, autant là c’est un peu plus compliqué en terme d’éthique, ce n’est ni tout noir ni tout blanc.

Mais je pense que ça devrait être autorisé, il y a des femmes qui sont dans des situations où elles n’ont juste pas le choix. »

Doon renchérit :

« Je pense que ça doit être une solution de dernier recours possible.

Il y a des gens qui disent « on m’a donné le choix d’avorter, je ne l’ai pas fait et j’aime tellement mon bébé », mais ils ont eu le choix eux, les femmes irlandaises pour l’heure ne l’ont pas !

De toutes façons, ce ne sera pas accessible si facilement, ça restera très bien encadré comme l’a dit Leo Varadkar [NDLR : le chef du gouvernement irlandais]. »

L’éducation sexuelle laisse à désirer à l’école

Je suis curieuse de savoir si à défaut du droit à l’avortement, on leur donne les armes pour se prémunir d’une grossesse non désirée via l’éducation sexuelle.

« En 3ème année [NDLR : l’équivalent de notre 4ème/3ème], on avait une matière qui l’abordait mais c’était vraiment les basiques.

On nous a parlé des préservatifs, un tout petit peu des IST et MST, et on ne nous a rien dit à propos des relations non-hétérosexuelles. »

« Mais comme c’est une école religieuse, les professeurs sont très prudents vis à vis de ce qu’ils disent, ils ne peuvent pas être trop expressifs », précise Eime.

C’est l’analyse qu’elle fait en tant qu’élève, mais Helen Deely, du programme Lead, Sexual Health & Crisis Pregnancy a un discours un peu différent.

Selon elle, comme c’est souvent le cas concernant l’éducation sexuelle (y compris en France), c’est avant tout un problème de formation :

« Le principal problème à propos de l’éducation à la vie sexuelle et affective, c’est que les professeurs rapportent un manque de confiance et un certain malaise à l’idée de l’enseigner.

La seule manière de lutter contre ça, c’est de les former et qu’ils se fassent une expérience en la matière, mais ça n’existe pas vraiment dans le cursus de formation de base.

Donc on a des profs de français, ou de maths qui se retrouvent à devoir aussi enseigner l’éducation à la vie sexuelle et affective à des ados !

Certains sont très doués pour ça, mais d’autres ont beaucoup plus de mal et on ne peut que le comprendre. »

Pour pallier ce problème, des programmes de formation en continue sont mis en place.

Parler d’éducation sexuelle, avec qui ?

Les filles décrivent pour leur part des cours relativement superficiels en la matière. Je suis donc d’autant plus impressionnée par leur niveau d’information sur le sujet !

« On regarde sur Internet, on en parle entre copines… »

Helen Deely mentionne différents sites mis à disposition des jeunes, comme b4udecide qui répertorie à la fois des infos sur la contraception, les IST/MST, les grossesses précoces, ce qui fait qu’une relation amoureuse est saine ou ne l’est pas…

Selon elle, les parents peuvent aussi avoir un rôle crucial, ne serait-ce qu’en donnant la possibilité à leurs enfants de poser des questions.

« Dans certaines familles c’est possible, mais pas partout », estime Fiona.

Cependant si l’une d’elles tombait enceinte, pour sûr, les lycéennes sont unanimes : elles en parleraient à leurs parents.

— Tu ne peux pas rester toute seule avec ce fardeau !
— Ce qui est injuste, c’est que ce genre de choses ça touche surtout les familles les plus pauvres, même si le nombre de grossesses adolescentes a diminué ces dernières années.

L’éducation sexuelle en Irlande, efficace pour lutter contre les grossesses adolescentes ?

Il est vrai que les statistiques montrent une évolution positive à ce sujet.

« Le nombre totale de grossesses adolescentes a diminué de 3087 en 2001 à 1098 en 2016, une baisse de 64% en 15 ans.

Ça revient à passer d’un taux de 20 grossesses pour 1000 jeunes femmes entre 15 et 19 ans en 2001 à un taux de 7,8 grossesses pour 1000 en 2016. »

Selon Helen Deely, il est difficile d’en cerner toutes les causes, mais elle en identifie une avec certitude : l’introduction du programme Santé sexuelle et grossesses accidentelles en 2001.

Il recouvre justement les dispositifs cités ci-dessus, et comprend que des manuels à disposition des parents ou des séances d’information organisées dans des centres pour jeunes.

Elle déplore cependant que les résultats soient inégaux, puisque si le nombre de grossesses précoces diminue, le tableau n’est pas rose partout :

« Des études ont montré que parmi les ados 17/18 ans se déclarant sexuellement actifs et actives, 79% rapportent avoir toujours recours à une méthode de contraception.

Ça montre donc qu’une majorité est consciente du risque de grossesse et se protège.

Mais si on peut se réjouir de ça, l’utilisation du préservatif est beaucoup moins régulière selon cette même étude. Seulement 56% en utilisent à chaque rapport. […]

Le Health Protection Surveillance Center rapporte dans son compte-rendu provisoire 990 cas d’adolescent·es ayant contracté chlamydia, gonorrhée ou herpès génital en 2016, ce qui représente une augmentation de 8,3% comparé à 2015. »

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Il y a donc encore une large marge de progression en la matière, bien qu’en terme de grossesses adolescentes, l’Irlande se classait dans la moyenne européenne selon les dernières données disponibles en la matière de l’Organisation mondiale de la santé :

« Dans son rapport sur les statistiques de santé mondiale datant de 2015 et qui porte sur des données collectées entre 2007 et 2012, le taux de grossesses adolescentes en Irlande est dans la moyenne européenne : 13,8 pour 1000 au niveau national, pour 14 pour 1000 au niveau européen. »

« Et ça, c’est AVEC une législation en matière d’avortement très restrictive », estime-t-elle bon de rappeler.

SOURCE :

Par Esther |  | madmoiZelle