Quadragénaire, Tabu Nassor est une des deux femmes nommées Ministres Provinciales dans le premier Gouvernement mis en place au Maniema après les premières élections démocratiques tenues en République Démocratique du Congo en 2006. Durant près de deux ans, soit de 2006 à 2008, Tabu Nassor a exercé les fonctions de Ministre Provinciale de l’environnement. Comment s’en est-elle sortie dans un Gouvernement de 8 hommes, comment évalue-t-elle la collaboration, l’attitude des hommes envers elle dans une province considérée comme étant le bastion de l’Islam en RDC ?

Berthe Amuri Mbutu, Journaliste à la Radio Télé Communautaire Maniema s’entretient avec elle.

Berthe A. : Comment êtes-vous arrivée à accéder au poste de Ministre Provinciale de l’environnement ?

Mme Tabu Nassor : Madame, c’est une longue histoire… En fait, ce n’était pas du hasard. Je vivais dans une communauté où la femme est vraiment discriminée ; vous connaissez vous–même la situation de la femme du Maniema en général et celle du territoire de Kasongo en particulier, situation liée à la civilisation musulmane. Kasongo se trouve être le bastion de l’islam au Maniema. Je travaillais dans une grande maternité de Kasongo. Moi-même, je ne savais pas ce que je suis. J’ai été choisie parmi tant de femmes de la communauté pour que je fasse partie de la liste des candidates. Je me suis rendu compte que j’étais capable de faire quelque chose. Tout le monde s’est étonné de voir une femme, la première femme, accepter de battre campagne. Ce n’était pas facile, j’ai battu campagne, je l’ai fait d’une manière compliquée parce que je ne savais pas qui je suis. On m’avait dit que nous sommes sur une même liste. Si vous battez campagne, il faut le faire pour tout le monde à la fois. Je me suis donnée à fond en battant campagne pour les colistiers qui sont arrivés à avoir beaucoup de voix dans mon entité, plus que moi. Personnellement, je ne trouvais pas que c’était un problème pour moi. Parce que j’avais dit à mon électorat de voter pour mes colistiers à ma place, ils l’ont fait, et après nous avons gagné, notre liste est passée. Grâce à cet acte, mon parti m’a récompensé et j’ai été nommée ministre provinciale de l’environnement dans le 1er gouvernement mis en place au Maniema après les premières élections démocratiques organisées en RDC.

Berthe A. : Comment avez-vous travaillé avec les hommes au Gouvernement provincial ?

Mme Tabu Nassor : En étant femme, tout le monde a vu comment j’ai battu compagne, comment je me donnais, comment j’étais pointée dans la communauté. Grâce à mon courage, j’ai su combattre les stéréotypes dans ma communauté. Les gens se sont posés les questions : pourquoi elle, pourquoi on l’a nommée, pourquoi pas quelqu’un d’autre? J’ai commencé à assumer la fonction, mais je vous dirai que ça n’a pas été facile.  Sur le plan conjugal, le mari a accepté mais plus tard, il a été emporté par la pression de la communauté. Pour lui, ça n’a pas été facile: pourquoi laisser la femme passer tout ce temps avec les hommes, faire des missions ensemble avec des hommes, parfois même venir tard la nuit participer à des réunions importantes pour les affaires d’État. C’est la chose qui l’a perturbé, mais nous avons tenu.

Même les collègues hommes ont eu du mal à accepter de collaborer avec une femme collègue ; même au poste du ministre provincial, les collègues hommes voulaient me traiter comme semblable à leurs femmes laissées à la maison. Cela n’a pas été facile pour moi.

Je peux vous donner même les exemples quand on effectuait des missions des services. Je n’avais pas le droit de partir avec un policier pour assurer ma sécurité et même mon secrétaire particulier. Ils ne pouvaient tout simplement pas être budgétisés. Il fallait s’imposer. Un jour j’ai même provoqué un incident en déchirant le budget de la mission du fait qu’il avait un problème d’ordre discriminatoire. Nous nous sommes habituée et tout allait bien sans que rien ne nous surprenne.

Berthe A. : Comment vous évaluez l’attitude des hommes envers vous ?

Mme Tabu Nassor : Il y avait un petit tiraillement. Nombreux d’entre eux me comparaient à leurs femmes laissées à la maison. Avec le temps j’ai eu les deux pieds sur terre. Ils ont compris que « c’est notre collègue ». Ils m’ont acceptée. Dans mon cabinet, je n’avais que les hommes qui occupaient les postes de responsabilité, directeur de cabinet, conseiller. J’avais  une seule femme qui assumait le poste de secrétaire particulier. Même ces collaborateurs manifestaient parfois un comportement discriminatoire. Nous sommes arrivées à briser les obstacles.

Berthe A. : Comment était la relation entre vous et votre mari, le fait d’être Ministre ne vous a-t-il pas amené des problèmes à la maison ?

Mme Tabu Nassor : Il a accepté au départ et il était très content, mais il a été entraîné par la pression de la communauté. Laisser la femme travailler, faire des missions avec des hommes, la femme, la femme… Cela l’a déséquilibré un peu. Je n’ai pas cédé mais plutôt c’est mon mari qui a cédé.

Berthe A. : Quelle est votre vie après le Gouvernement ?

Mme Tabu Nassor : Après ma fonction de ministre, je me sens toujours comme Ministre, pourquoi ? J’ai occupé une haute fonction, je me comporte toujours comme ministre de par ma manière de se comporter, d’agir, ma manière de faire quoi que ce soit. Je suis dans le monde de femmes, j’ai trouvé les discriminations dont les femmes sont victimes en étant ensemble avec les hommes durant une période donnée. Je me suis dit que je veux m’engager pour accompagner d’autres femmes, partager mon expérience avec d’autres femmes.

Berthe A. : Avez-vous des ambitions politiques ?

Mme Tabu Nassor : Bon, nous avons les ambitions de changer les choses, nous voulons changer les choses en prenant le poste de commandement.

Berthe A. : Un message aux femmes ?

Mme Tabu Nassor : L’expérience que je peux donner à d’autres femmes, c’est de tenir. Ce n’est pas facile, la bataille est longue ; nous sommes en train de nous rechercher, nous femmes. Nous n’allons pas déposer nos bâtons de commandement aussi longtemps que notre gain n’est pas encore retrouvé.