• La langue française est à l’image de notre société : elle véhicule de nombreuses représentations sexistes selon lesquelles le genre masculin, plus prestigieux et soi-disant « universel », l’emporterait tout naturellement sur le genre féminin. Mais notre langue est aussi un espace bouillonnant de résistances et d’alternatives, et ce depuis des siècles.

Avis à la populationne !

Lorsqu’on se plonge dans l’histoire de certains mots, comme « autrice », « doctoresse » ou « chirurgienne », on s’aperçoit qu’ils faisaient partie du vocabulaire courant avant le 17e siècle. Oh, ils ne plaisaient pas à tout le monde, mais ils n’étaient pas contestés comme ils le sont aujourd’hui : ils existaient, puisque les autrices, les doctoresses et les chirurgiennes existaient.

La mauvaise langue du patriarcat

La langue française a ensuite connu plusieurs siècles de manipulations visant à la codifier, à la normaliser, à la figer, en quelque sorte, au service d’une vision politique patriarcale. La grande institution chargée de réaliser cette mission fut l’Académie française. Ces messieurs les académiciens n’ont cessé de promulguer des règles de vocabulaire et de grammaire fondées sur une représentation sexiste de la société. « Le genre masculin est réputé plus noble que le genre féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » : cette citation du grammairien Nicolas Beauzée (1717-1789) résume bien la philosophie de cette institution qui, encore dans les années 2000, protestait avec force mauvaise foi contre la « féminisation » du français. Une « féminisation », vraiment ?

La question n’est en réalité pas tant de « féminiser » la langue que d’arrêter de la « masculiniser ». À l’école, on continue à enseigner aux enfants, parfois avec la meilleure volonté du monde, que le genre féminin « découle » du genre masculin et que le masculin « l’emporte » sur le féminin, plutôt que de dire que les deux genres sont en fait la déclinaison d’une racine commune. Il existe – et parfois depuis le Moyen-Âge – des règles alternatives qui reflètent la diversité de notre monde sans pour autant instaurer de hiérarchies, et donc d’inégalités, entre les genres. Mais ces règles sont peu usitées. Nous proposons donc, dans « Debout Congolaises », de les faire connaître et de les appliquer. En voici quelques-unes.

  1. Une typographie incluante

Plusieurs options existent pour inclure les femmes dans la typographie et montrer ainsi que le masculin n’est pas le genre universel : l’universel, c’est le genre masculin PLUS le genre féminin. Nous avons opté pour deux solutions.
La première : un « point médian » (ou un « point classique » parce que le point médian  n’est pas facile à trouver sur un clavier) lorsque la racine du mot permet une déclinaison « directe » du féminin et du masculin. Exemple dans le reportage : « L’armée turque et les combattant•es ( ou combattant.es) du PKK […] s’affrontent sans merci, sans qu’aucune issue à ce conflit vieux de quarante ans, qui a fait 40.000 mort•es (ou mort.es), ne se dessine. »

La seconde : un « slash » pour les suffixes plus complexes, notamment ceux qui se déclinent en « trice » au féminin et « teur » au masculin. Exemple dans le dossier : « Son montant varie selon les pays et les initiateurs/trices du projet. »

On pourra donc trouver les deux dans une même phrase. Ici, dans le reportage : « Dans son bureau, Cigdem Binday a accroché aux murs de grandes photos de tango qui ne laissent pas indifférent•es (ou indifférent.es) ses visiteurs/euses. »

En miroir, des mots au masculin pour dire qu’il n’y a pas de femmes

Lorsqu’un mot concerne uniquement des hommes, nous n’utiliserons pas de typographie incluante. Cela nous permet de faire ressortir visuellement l’exclusion des femmes. Par exemple, dans le dossier : « Thomas Paine, l’un des « pères fondateurs » des États-Unis, l’évoque aussi en 1792 quand il suggère d’offrir à toute personne majeure une somme financée par les propriétaires terriens. » Car il n’y avait ni « mère fondatrice » ni « propriétaire terrienne » à cette époque.

Et inversement

Et, bien sûr, lorsque le mot concerne exclusivement ou quasi-exclusivement des femmes, nous n’utiliserons pas non plus de typographie incluante. Cela révèle des choix parfois très politiques. Prenons cet extrait de la rubrique « À bras-le-corps » : « Dans son étude De l’exploitation à la pénibilité, le sociologue Frédéric Michel se penche sur les conditions de travail des caissières en France et en Belgique ». Lui utilise le terme « caissiers » car ce métier, autrefois réservé aux femmes, s’est très légèrement masculinisé. Nous prenons le parti d’employer ici le mot au féminin.

  1. La règle de proximité

Cette règle de grammaire remonte, figurez-vous, à l’Antiquité. C’était même l’usage dominant en ancien français. Selon cette règle, dans une phrase où l’on trouve un sujet de genre masculin et un sujet de genre féminin, on accorde l’adjectif et/ou le participe passé au nom le plus proche et non pas systématiquement au masculin. Exemple dans le reportage : « Dans le sud-est de la Turquie, crimes d’honneur, mariages forcés et violences domestiques sont fréquentes. »

Marie Desplechin explique la « règle de la proximité » : « Que les hommes et les femmes soient belles ! »

  1. L’ordre alphabétique

Aucun genre ne « prévaut » sur l’autre : on double les noms en faisant exister leur forme féminine et leur forme masculine et on les place par ordre alphabétique. Par exemple dans la rubrique « À Vie Féminine, on dit quoi ? » : « Une autre réforme est possible, qui renforce les pensions légales et permet de diminuer sérieusement les écarts existant entre femmes et hommes ! » Car « femmes » précède « hommes » dans l’ordre alphabétique.

  1. Les formes féminines des mots

On privilégiera la forme féminine d’un mot, quitte à surprendre ou à heurter. Dans l’agenda culturel de ce mois, on pointe une exposition dédiée aux « peintresses ». C’est évidemment une proposition très novatrice de la part du musée Félicien Rops de Namur que d’utiliser ce mot, que nous reprenons à notre compte dans l’article.

D’une façon générale, nous n’allons pas appliquer ces règles dans les citations, sauf si la personne interviewée le souhaite. Enfin, de nouvelles règles pourraient s’ajouter au fur et à mesure de nos découvertes : nous vous tiendrons au courant ! Pour conclure, peut-être retrouverez-vous l’une ou l’autre coquille dans notre copie. Car appliquer une grammaire égalitaire, cela détricote tout ce que nous avons appris pendant nos études : une maille après l’autre !

Vous voulez vous aussi utiliser un « langage inclusif », appliquez les règles expliquées ci-dessus. Pour vous aider, dans la rédaction d’articles, de mémoires, de textes officiels, etc. vous pouvez télécharger ici  METTRE AU FÉMININ GUIDE DE FÉMINISATION DES NOMS DE MÉTIER, FONCTION, GRADE OU TITRE

 

Cet article est emprunté au magazine féministe belge axelle dont nous partageons la « politique langagière inclusive » . Nous n’avons apporté que de très légères modifications pour l’adapter au contexte congolais. Pour lire l’article dans sa version originale et complète, cliquez ici  http://www.axellemag.be/vers-grammaire-feministe-magazine/.

Vous l’avez évidemment compris si vous êtes congolais.es, le titre de votre web magazine est tiré des premiers mots de notre hymne national. Pourquoi pas chanter notre hymne dans sa version féminisée, en « langage inclusif ou égaliaire ». La voici :

Debout Congolais·es,
Uni·e·s par le sort,
Uni·e·sdans l’effort pour l’indépendance.
Dressons nos fronts, longtemps courbés
Et pour de bon prenons le plus bel élan,
Dans la paix.

Ô peuple ardent
Par le labeur
Nous bâtirons un pays plus beau qu’avant
Dans la paix.

Citoyen·ne·s,
Entonnez l’hymne sacré de votre solidarité
Fièrement
Saluez l’emblème d’or de votre souveraineté

Don béni, Congo !
Des aïeu·x·les, Congo !
Ô pays, Congo !
Bien aimé, Congo !

Nous peuplerons ton sol
et nous assurerons ta grandeur.

Trente juin, ô doux soleil
Trente juin, du trente juin
Jour sacré, soit le témoin,
Jour sacré, de l’immortel
Serment de liberté
Que nous léguons
À notre postérité
Pour toujours.