La sensibilité et la masculinité sont deux notions difficiles à associer de façon spontanée. Pourtant, selon l’enquête sociologique réalisée par Gillette, 74% des hommes interrogés estiment qu’un homme sensible est un homme «moderne, sûr de lui, qui s’assume.»

«Tu seras viril mon kid, Je ne veux voir aucune larme glisser, Sur cette gueule héroïque», chante Eddy de Pretto dans Kid, où le chanteur part en guerre contre la «virilité abusive».

Si l’expression de la sensibilité masculine est encore si décriée c’est que la sensibilité – c’est-à-dire, selon le dictionnaire Larousse, «l’aptitude à s’émouvoir, à éprouver des sentiments d’humanité, de compassion, de tendresse pour autrui» – a longtemps été dénigrée par les sociétés patriarcales.

«La sensibilité chez l’homme demeurait jusqu’alors un tabou car elle renvoyait à une atteinte à la virilité, à un symbole de faiblesse et de fragilité. Mais le profil de l’homme du XXIe siècle a changé au profit de l’avènement de l’homme sensible» affirme Christine Castelain-Meunier, sociologue au CNRS et à l’EHESS et spécialiste du masculin, à l’issue d’une étude IPSOS réalisée pour Gillette en mars 2019 auprès de 1055 hommes.

La célèbre marque de rasoirs et de soins masculins a bel et bien l’intention de conjuguer désormais la sensibilité au masculin comme au féminin. Avec le lancement en France de leur campagne #LaSensibilitéAuMasculin, Gillette s’engage pour une nouvelle vision de l’homme et participe à la déconstruction des injonctions liées au genre.

Cet engagement ne sera pas dénué d’humour puisque le YouTubeur et comédien Akim Omiri, qui totalise plus de 500 000 abonnés, a accepté de devenir ambassadeur de la campagne. Quatre vidéos sur le sujet seront dévoilées au cours de l’été 2019 : une façon de se pencher avec légèreté sur un sujet longtemps controversé.

Lutter contre la socialisation différenciée

La sensibilité et la masculinité sont, encore aujourd’hui, deux notions difficiles à associer de façon spontanée. En effet, selon l’enquête sociologique réalisée par Gillette, si 87% des hommes se considèrent comme sensibles, 84% constatent que les stéréotypes empêchent l’affirmation de la sensibilité masculine.

Et faire preuve d’empathie ou d’émotion en public n’est pas une tâche aisée pour un homme: 60% des sondés dévoilent leurs émotions «uniquement avec certaines personnes ou dans certaines circonstances». Des clichés qui ont la peau dure car 26% des jeunes hommes interrogés par l’étude de Gillette pensent qu’un homme sensible «manque de virilité».

Des représentations en grande partie liées à l’éducation des petits garçons et à ce que les sociologues du genre nomment la «socialisation différenciée», c’est-à-dire la différence sexuée, implicite ou franche, dans le comportement des parents avec leurs enfants. Une étude publiée en 2016 dans la revue BMC Psychology révèle d’ailleurs que, dès le plus jeune âge, les adultes réagissent différemment en écoutant les pleurs d’un nourrisson selon qu’il s’agit d’une fille ou d’un garçon. Les pleurs d’un bébé supposé garçon seront davantage pris au sérieux. Car si un garçon pleure et fait preuve de sensibilité, c’est qu’il aurait une bonne raison de le faire…

Des réflexes plus ou moins conscients que la sociologue Christine Castelain Meunier incite à démanteler :

«Pour favoriser le développement de la sensibilité chez les hommes, il est essentiel d’apporter une nouvelle conception de l’éducation des garçons, qui est encore aux prises avec un ensemble de contradictions et ambivalences. Elle peine en effet à faire valoir et reconnaître l’importance de la sensibilité et de l’accès à ses propres émotions, tout en intimant de se référer à l’idéal viril antérieur. Toutefois, les recherches en neurosciences et les nouvelles pédagogies prônent entre autres, l’importance de l’intelligence émotionnelle et donc de la sensibilité.»

Mettre en lumière la sensibilité masculine

Un appel à libérer la parole et l’émotion masculine qui est, pour beaucoup d’hommes, salvateur. Ainsi, le compte Instagram Tu Bandes ? recense des témoignages éclectiques de jeunes hommes s’interrogeant sur les injonctions à devenir des «mâles alpha» et cherchant à lutter contre ce qu’ils appellent «la masculinité toxique». Un jeune homme souligne : «ne pas montrer ma faiblesse est gravé en moi, on m’a tellement répété que je devais être fort» tandis qu’un autre souffre que sa copine lui reproche continuellement d’être sensible «comme une femme».

Comme le rappelle la philosophe Olivia Gazalé dans son ouvrage Le Mythe de la virilité, un piège pour les deux sexes (Laffont, 2018), l’injonction à«l’impossible virilité» n’est pas sans dommages collatéraux, y compris pour les hommes eux-mêmes:

«Pierre Bourdieu qualifie le privilège masculin de piège qui impose à chaque homme le devoir d’affirmer en toute circonstance sa virilité. La virilité entendue comme capacité reproductive sexuelle et sociale, mais aussi comme aptitude au combat et à l’exercice de la violence est avant tout une charge. Tout concourt à faire de l’idéal de l’impossible virilité le principe d’une immense vulnérabilité.»

Affirmer sa sensibilité et vivre en accord avec ses émotions permet non seulement d’échapper au carcan des clichés genrés, mais aussi de défendre une vision d’une société moderne et égalitaire, où l’empathie et l’émotion deviennent fondamentales. Selon l’étude réalisée par Gillette, 74% des hommes interrogés estiment d’ailleurs qu’un homme sensible est un homme «moderne, sûr de lui, qui s’assume».

Une prise de position soutenue par Gillette. La marque s’est faite remarquer aux Etats-Unis en janvier 2019 en lançant la campagne coup de poing «We Believe» qui démantèle en vidéo les clichés associés à la masculinité toxique. En Inde, la campagne #ShavingStereotypes encourage les femmes à se tourner vers des professions usuellement associées aux hommes et appelle à davantage d’égalité.

Alors, il est grand temps de se pencher au-dessus des berceaux des petits garçons pour leur chuchoter: «tu seras sensible, mon fils!»

SOURCE : Slate
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