LUTTES SOCIALES EN REPUBLIQUE DEMOCRATIQUE DU CONGO – QUELS SONT LES DIFFERENTS ACTEURS EN PRESENCE ?  Une analyse de Didier de Lannoy – Juin 2017

  1. Une classe dirigeante improductive et mafieuse

En RDC, un groupe dominant minoritaire [1] a confisqué le pouvoir, s’est approprié la chose publique, fait main basse sur toutes les ressources du pays (avec le concours de nombreux intérêts économiques extra-nationaux) et dépossédé le peuple de sa souveraineté par le biais de « politiciens de métier », souvent hors mandat, formellement « élus » dans le cadre d’élections bidouillées.

Ces « politiciens de métier » grassement rémunérés (ministres, députés, sénateurs, etc) relèvent de  plusieurs factions à composition variable : une soi-disant majorité constituée en « parti-Etat de fait »  et une opposition croupion, parfois nzing-nzong ou chauve-souris et souvent perdiémiste (habilement contingentée, neutralisée, manipulée, emprisonnée ou savamment compromise et « entretenue »), appelée à faire de la « figuration démocratique » au sein d’assemblées-théâtres ou de « dialogues » prétendument inclusifs servant, pour l’essentiel, à donner une apparence de légitimité ou une façade de respectabilité au pouvoir arbitraire et absolu de quelques-uns… chacun étant appeler à jouer le rôle qui lui est dévolu dans un « théâtre de chez nous » commun.

Composées le plus souvent d’anciens associés devenus rivaux et concurrents, ces différentes factions, en effet, s’entredéchirent férocement et se disputent âprement l’accès à la mangeoire publique dans une « course au pouvoir » ou une « danse ya ba boss » sans merci, une « guerre de territoires » entre gangs, une « querelle de famille » fratricide… sans aucun véritable projet de société offert aux citoyens, réduits à un rôle de spectateurs passifs et atterrés.

Cette classe dirigeante peut être définie comme une bourgeoisie compradore  dans la mesure ou les revenus (élevés) et le mode de vie (très aisé) de ses membres est directement tributaire de la position qu’ils occupent dans l’appareil d’Etat et qui leur permet de servir d’intermédiaires aux capitaux étrangers.

Sous les régimes autocratiques de Mobutu Sese Seko (une dictature classique avec le MPR, parti-Etat) puis de Joseph Kabila (une pseudo-démocratie s’avérant être, en fait, une « dictature constitutionnelle » ou une post-démocratie avec un parti-Etat « de fait », le PPRD), cette classe dirigeante n’a pas réalisé de grands investissements productifs dans des secteurs susceptibles de dynamiser l’économie congolaise (les infrastructures, l’agriculture, le secteur manufacturier, etc)

Loin de se transformer, au fil des temps, en  bourgeoisie nationale émergente (commerçante, industrielle, etc),cette classe dirigeante est, sous le régime de Joseph Kabila, devenue un groupe mafieux et criminel :

– Opacité d’ importantes décisions prises par un cénacle occulte réuni (à Kingakati ou ailleurs) autour d’un autocrate installé et maintenu au pouvoir par des élections bidouillées

– Recherche de l’enrichissement personnel via, d’une part, le prélèvement systématique de « dîmes » sur tous les projets mis en œuvre et, d’autre part, l’utilisation de l’appareil d’Etat pour opérer les trafics les plus divers (fourniture de biens ou de services prohibés [2]). Toujours en quête de profits immédiats ou à court terme, les membres de cette classe dirigeante réalisent des « coups » (des gains rapides ou quick wins), touchent des « commissions » ou font des « cops »  et ne soucient apparemment pas d’assurer le « développement durable » de leurs activités prédatrices. Ils n’investissent pas leurs « gains » et, de façon générale, ne se transforment pas en entrepreneurs (sauf dans l’immobilier, l’hôtellerie, l’industrie des loisirs, etc) ;

– Abolition (ou transgression systématique) de l’Etat de droit et instrumentalisation de la justice : arrestations arbitraires, procès « mascarades » (Katumbi) et emprisonnement des opposants (Diomi, Muyambo, Diongo, etc…) et des activistes des mouvements citoyens (Christopher Ngoy, Fred Bauma, Yves Makwambala, etc), maintien en détention d’opposants bénéficiaires d’une loi d’amnistie (Firmin Yangambi, Eric Kikunda, etc)

– Intimidation de la population et répression systématique de ses manifestations de mécontentement par la  force armée[3], massacres de la population à Kinshasa (charnier de Maluku), au Bas-Congo (BDK), au Nord-Kivu (Béni), aux Kasaï (Kamuina Nsapu), élimination physique d’opposants, et de défenseurs des droit de l’homme et de journalistes.

Les membres de cette classe dirigeante, improductive et mafieuse sont considérés par l’oligarchie financière internationale, toujours omniprésente dans les affaires congolaises (une oligarchie non plus seulement américaine et européenne mais aussi indo-pakistanaise, libanaise, sud-africaine, japonaise ou chinoise, etc) comme une « bande de péquenots rapaces et sans ambitions, de villageois âpres et ringards, de minables dealers de banlieue » ou encore comme des « prébendiers amateurs » qui s’avèrent « incapables de réinventer leur business, de favoriser le libre-échange et de se développer à l’international » et qui se contentent de se partager entre eux (et de se disputer), sans royalties ni dîmes à verser à des parrains de la Communauté internationale, sans contrôle interne ni interférences extérieures, les biens publics de leur pays.

  1. Une classe moyenne émergente en développement (lent mais constant)

Longtemps malmenée par le régime de Mobutu (dissolution de l’ Aprodeco, mise en oeuvre d’une processus de « radicalisation » réduisant à néant les effets positifs qu’on pouvait attendre de la zaïrianisation, etc) qui ne supportait pas qu’un pouvoir économique puisse s’affirmer en dehors du pouvoir politique, une classe moyenne émerge dont les revenus (en général élevés et réguliers) et les conditions et le mode de vie (modernes et confortables) ne sont pas directement liés à la place qu’occupent ses membres dans l’appareil d’Etat.

Cette classe moyenne s’estime cependant bridée dans son essor par la malgouvernance, les ponctions, les rackets et les empiètements du pouvoir politique.

Appartiennent à cette classe moyenne supérieure les dirigeants et cadres supérieurs des entreprises (exploitants industriels, agricoles et miniers, commerçants en gros et/ou actifs dans l’importation et l’exportation, transporteurs, directeurs d’écoles et de cliniques privées, hôteliers et restaurateurs) et des banques commerciales, les patrons de « grandes PME », les membres de professions libérales, les professeurs d’université, les membres du haut-clergé, les grands chefs coutumiers.

Cette classe moyenne émergente est, à l’heure actuelle, régénérée et aiguillonnée par de nouvelle générations d’acteurs particulièrement exigeants :

Les jeunes entrepreneurs « repats » (rapatriés de la diaspora, très qualifiés, envoyés faire des études en Europe et en Amérique par des parents appartenant à la classe dirigeante ancienne ou actuelle), créateurs de startups et avides de modernité

les jeunes activistes citoyens, souvent de niveau universitaire (mais d’origine diverse : issus de la classe moyenne mais aussi parfois des classes populaires) et remarquables pour leur maîtrise des nouvelles technologies de l’information (permettant de contrer la propagande et les mensonges d’Etat), leur panafricanisme militant et l’intérêt qu’ils manifestent pour les problèmes locaux des gens (qu’ils peinent cependant à mobiliser) et les causes sociales : l’accès à l’eau potable et à l’électricité, l’éclairage public, la salubrité publique et la gestion des déchets, la lutte contre les têtes d’ érosions, etc.

Les uns et les autres aspirent au changement et à l’établissement d’une démocratie classique, favorable au développement des activités économiques et respectueuse des droits de l’homme.

  1. Une classe moyenne inférieure frustrée

La classe moyenne « inférieure »est la seule classe à laquelle pouvaient prétendre les « élites » nationales sous l’occupation coloniale. Elle est, partant, la classe dont sont issus les politiciens qui ont lutté pour l’Indépendance et qui ont remplacé la classe dirigeante étrangère.

Appartiennent  à la classe moyenne « inférieure », les petits propriétaires de moyens de production (planteurs, éleveurs et techniciens indépendants), les petits commerçants, les petits fonctionnaires, les enseignants du primaire et du secondaire, les personnels des services de santé, les cadres inférieurs, clercs, secrétaires, comptables et employés des entreprises, les petits chefs coutumiers (chefs de groupement, chefs de terre, chefs de clan, chefs de villages), les officiers subalternes de l’armée et de la police, le bas clergé, les dirigeants syndicaux…

Les revenus de cette classe moyenne « flottante » ont, depuis les années 1980, considérablement baissé tandis que les conditions et le mode de vie de ses membres (habitat, accès à l’emploi, à la santé, à l’éducation, à l’eau et à l’électricité) tendent à s’aligner sur celui des classes populaires.

En voie de paupérisation ou, pour le moins, en déclin considérable par rapport aux années « fastes » de la fin du régime colonial (1955/1959), de l’Indépendance (1960/1964) et des débuts du mobutisme (1965/1973), la classe moyenne inférieure, après avoir porté et/ou soutenu Mobutu au pouvoir, espère maintenant en l’arrivée d’un nouvel « homme providentiel »… tel qu’était perçu Etienne Tshisekedi avant sa mort (co-fondateur de l’ Udps mais aussi, on aurait tendance à l’oublier, du MPR, parti-Etat) ou tels que se présentent à présent un Moïse Katumbi voire un Vital Kamerhe ou un Sindika Dokolo… un homme qui pourrait mettre fin au désordre, « relancer le pays » et rétablir la classe moyenne inférieure dans les avantages sociaux et économiques qui ont été les siens à l’époque coloniale et sous le régime de Mobutu.

  1. Des classes populaires négligées et marginalisées

Les revenus monétaires des classes populaires sont peu élevés, leur conditions d’existence laissent beaucoup à désirer (habitat  peu salubre ou précaire dans des quartiers peu ou mal urbanisés, un accès réduit aux services de santé et au système d’éducation), Elles constituent l’immense majorité de la population mais ne disposent pas, jusqu’à présent, d’organisations bien structurées (mis à part quelques syndicats, associations, coopératives, tontines ou likelemba) qui défendent leurs intérêts et qui soient gérées par elles.

Ces classes populaires sont, dans leur ensemble, exploitées, pressurées (rackettées ou « tracassées ») et privées de leurs droits légitimes (au travail, à la santé,  à l’éducation, au logement,à l’eau, à l’électricité, à la propriété, à la sécurité,aux loisirs, à la liberté de réunion, de déplacement et de manifestation, à l’expression libre de leurs opinions et à la représentation politique à travers leurs propres organisations).

Bien que tout classement soit artificiel, arbitraire et/ou approximatif, on distinguera, parmi les classes populaires, les catégories suivantes :

4.1.  les travailleurs salariés sous contrat ou sans contrat oeuvrant dans différents secteurs (manufactures, mines, chantiers navals, transports, services, agriculture, missions et plantations, etc) :

– Les travailleurs sous-contrat sont placés sous la protection toute relative du code du travail. Ils disposent de revenus médiocres mais réguliers, d’une relative stabilité de l’emploi, d’un accès relatif à la santé et à l’éducation et du droit de se syndiquer et constituent en quelque sorte une espèce d’« aristocratie populaire ». Leurs syndicats, « neutralisés » par le régime de Mobutu (création d’un syndicat unique, l’Untza, inféodé au MPR, parti-Etat ) commencent à retrouver une certain combativité.

–  Les travailleurs  sans contrat écrit vivent « au taux du jour ». Tel est trop souvent le cas, en transgression de la loi, des portefaix des minoteries, des chambres froides et des dépôts de ciment, des brasseries et des boulangeries, du personnel domestique (cuisiniers, lavandiers, nounous, gardiens ou jardiniers), des porteurs et bagagistes, des gardiens de parkings, des sentinelles de magasins, des apprentis d’artisans et de la main d’œuvre familiale et des autres travailleurs à statut précaire, journaliers ou intermittents

4.2.  les opérateurs du secteur informel exerçant de nombreuses activités dans différents sous-secteurs n’intéressant pas l’économie capitaliste dominante : petit commerce de détail, petite restauration, fabrication de charbon de bois, exploitation de carrières et de mines, pompes funèbres, églises « du réveil » et sectes de différentes obédiences, exploitation de petits moyens de transport de personnes ou de choses (taxibus, taxis, taxi-motos, pousse-pousse confiés en « métayage » à un chauffeur, un wewa ou un tireur de pousse-pousse), ateliers de réparation en tous genres (dépanneurs en informatique, réparateurs de téléphones et de téléviseurs, réparateurs de frigos et de climatiseurs), petits garagistes (entretien des véhicules et réparations mécaniques), petits travaux de construction, salons de coiffure, ateliers de couture

De nombreux opérateurs du secteur informel sont artisans et « ouvriers indépendants », travaillant à la tâche : menuisiers, charpentiers, électriciens, plombiers, fabricants de meubles,  matelassiers, ferronniers, briquetiers, maçons, carreleurs, peintres et plafonneurs.

Plusieurs d’entre eux sont d’ anciens travailleurs salariés ayant perdu leur emploi, s’étant établis à leur compte et ayant créé une micro-entreprise utilisatrice de main d’œuvre (souvent familiale) très réduite

D’autres exercent avec beaucoup d’ingéniosité toute une série de « petits métiers » d’appoint ou de survie : orpailleurs-forçats  et creuseurs de galeries dans les carrés miniers, cordonniers de rue, cireurs de chaussures, coiffeurs de rue (spécialistes du zigzag sur le crâne), tresseuses, bana vernis et placeurs de faux cils, petits commerçants à vélo ou à moto, batu ya cyber, batu ya photocopieuse et batu ya moulin, vendeurs d’appareils électroménagers au Zando ya munene ou au Marché de la Liberté, vendeuses de pain, de mikate, de nguba ya mobesu, de viande, de poisson, de farine de manioc, de fruits et de légumes, de souliers d’occasion et de mapapa, de pantalons, de jeans, de chemisiers et de corsages, de tee-shirts et de chemises neuves ou de tombola bwaka, vendeuses de « pagnes de Brazza » au marché Magenya du beach Ngobila,  fabricants d’enseignes, de cachets officiels ou privés, de documents d’identité et de visas, vendeurs de makasu, d’aspirines et de racines aphrodisiaques à la sortie des bars, ligablistes, tenancières de nganda , de malewa ou de terrasses terrasses (à Bandal ou le long du Boulevard Kimbuta à N’Djili, par exemple), vendeurs de journaux et de cartes de téléphone prépayées (et de boissons énergétiques… supposées aphrodisiaques), tenanciers de cabines (où les clients peuvent laisser leurs portables à la charge), cambistes-bongolateurs, réparateurs de billets de banque usagés et changeurs de  « coupures de la mort » contre des billets neufs ou en bon état, shayeurs des terrasses, femmes kadhafi de Binza Ozone qui s’installent au bord de la route et revendent du carburant au détail, kuluna reconvertis en katakata installés à la sortie des chambres froides et qui découpent  à la machette les poulets, la viande ou les poissons surgelés, vendeurs d’eau potable, vendeurs de « noix » de diamba ou de cigarettes « spéciales » déjà roulées, passeurs d’eau qui portent les gens sur leur dos,  « casseurs de cailloux » dans les carrières, « glaneurs » et récupérateurs tels que les fabricantes de « diata » (un  fufu de dernière catégorie fait à partir de déchets et d’épluchures de manioc)  ou  les revendeurs de « bottes » d’os de poulet récupérés chez des fabricants de « charcuterie » à Kingabwa, etc

4.3. les exploitants  ruraux traditionnels (agriculteurs, pêcheurs, forestiers, etc) dépossédés de leurs moyens de production et constituant une classe sociale « à l’abandon ».

Jadis arrachés à leurs coutumes, croyances et valeurs, intégrés de force à l’économie capitaliste coloniale, dépossédés de la maîtrise de leurs moyens de production par les lois léopoldiennes (confirmées par les lois ultérieures : loi Bakajika, etc) et contraints d’abandonner leurs techniques traditionnelles de production, de transformation, de conservation, de consommation et de commercialisation, les habitants des campagnes, des fleuves, des lacs, des rivières, des montagnes et des forêts ont pendant longtemps été encadrés, de façon « féodale » et/ou quasiment militaire, par les administrateurs coloniaux, les planteurs, les missions (et leurs épigones nationaux), assujettis à des cultures obligatoire et mis au service d’une économie de type colonial.

A présent, les exploitants ruraux traditionnels ne bénéficient d’aucun effort public sérieux de relance et sont totalement abandonnés à leur sort tandis que les ressources naturelles du pays (ses mines, ses forêts, ses terres cultivables, ses ressources hydrauliques et énergétiques) sont exploitées sans contrepartie pour la population locale par des entreprises étrangères et/ou des groupes agro-industriels[4]

Les revenus des exploitants ruraux traditionnels sont extrêmement bas et leurs conditions de vie particulièrement précaires : faible niveau de scolarisation des enfants et de la couverture en soins de santé, accès réduit à l’énergie et aux « produits de première nécessité ».

Les exploitants  ruraux traditionnels pâtissent également d’une insécurité généralisée (rackets opérés par les FARDC, la police, l’ANR et les groupes armés, rébellions, jacqueries et répressions) et ont perdu la plupart de leurs repères sociaux et politiques traditionnels (nomination de chefs coutumiers illégitimes par chacun des pouvoirs autocratiques en place : la colonie, le MPR ou le PPRD) , etc).

4.4. Un vaste sous-prolétariat urbain d’exclus du marché de travail ou de marginaux, réputés ne pas avoir de conscience de classe et être incapables d’une lutte politique organisée (mais d’être capables, cependant, de « violents mouvements d’humeur », de nature éphémère, souvent manipulés et difficilement contrôlables: émeutes, pillages, etc) : chômeurs sans diplôme et diplômés-chômeurs, infirmes et personnes handicapées, travailleurs ayant perdu leur emploi, exploitants agricoles chassés de leurs terres coutumières, jeunes ruraux venus s’installer en ville pour échapper à la pauvreté et vivant aux crochets de parents plus ou moins proches, déplacés ayant fui l’insécurité, anciens salariés devenus retraités sans pension de retraite (ou touchant épisodiquement une pension d’un montant dérisoire), soldats ou membres de groupes armés démobilisés, creuseurs expulsés des concessions minières…

Parmi ces exclus figurent évidemment un certain nombre d’entremetteurs, combinards et petits commissionnaires, prostituées parfois mineures (les petites Kadogo qui surmontent leur dégoût et abordent les grosses bedaines friquées avec un « courage ya Bana Boudin », les « Petites 207 » qui doivent remette un « versement » en fin de journée à des parents-maquereaux),trafiquants et « kuluna », pickpockets et voleurs à l’arraché (au marché ou en pleine rue, à moto), revendeurs de câbles en cuivre de la Snel ou de tuyaux et de conduites de la Regideso,  passionnés d’arts martiaux ou « pomba » recrutés par l’ANR comme casseurs de manifestations ou briseurs de grèves

Les revenus des membres de ce sous-prolétariat sont très limités et leurs conditions de vie sont, en général, particulièrement précaires (habitant des logements insalubres ou, quelquefois, menacés par des têtes d’érosion, disposant d’un accès réduit ou nul à l’eau et à l’électricité, aux soins de santé et à l’éducation).

  1. Et pour conclure ?

Tous les acteurs sociaux autres que la classe dirigeante aspirent au changement, au rétablissement de l’Etat de droit et à la cessation des trafics et des actes de brigandage en tous genres (trafics et brigandages sécuritaires, policiers et militaires, trafics et brigandages judiciaires et pénitentiaires, trafics et brigandages constitutionnels, électoraux, politiques et législatifs, trafics et brigandages économiques et financiers, trafics et brigandages sociaux et culturels, mensonges d’Etat et désinformation de la population) qui caractérisent la gestion de la chose publique par la classe dirigeante au pouvoir. Tous refusent le « glissement » opéré par le régime en place et réclament qu’il soit mis fin à l’infernale cours au pouvoir des membres de la classe dirigeante (« majorité » et « opposition ») qui ne cherchent qu’à conserver leurs prébendes et à s’approprier (ou à se ré-approprier) des parts du butin.

L’alternance proposée par certains risque cependant de n’être rien d’autre qu’une greffe opérée par la classe dirigeante pour assurer sa survie et sa perpétuation (après un imposteur, la population de la  RDC se verra-t-elle proposer, comme nouveau président, un cow-boy du néo-libéralisme, un « fils de son père », un condamné de la CPI, un caméléon « voleur de femme de musicien » ou un Jared Kushner propulsé par l’Angola voisin ?) et, dans le poto-poto électoral ou référendaire en préparation, les classes populaires se verront, demain comme avant, exclues des systèmes de répartition des avoirs et des pouvoirs.

Aspirant à la satisfaction de leurs besoins fondamentaux, les classes populaires sont certes au bord du soulèvement mais, inorganisées, elles risquent de s’accommoder temporairement de toute forme de changement d’apparence « radicale » (qui, hélas, n’améliorera sans doute pas leurs conditions d’existence) : le remplacement d’un autocrate par un autre, un mouvement politico-religieux (BDK[1]), une insurrection armée (on se rappellera du soulèvement populaire initié par Pierre Mulele après l’Indépendance ou, à l’époque coloniale, de Matemo, chômeur de la CK affrontant l’agent territorial Balot… et de la « révolte des Pende » qui s’ensuivit), une jacquerie paysanne visant à restaurer le pouvoir coutumier (Kamuina Nsapu), un coup d’Etat  des « forces de l’ordre » et des services de sécurité, voire une invasion « amicale » de pays étrangers se disant en droit d’exercer leurs « devoir d’ingérence » , de « se porter au secours de leurs ressortissants  » ou de « mettre fin à une situation inacceptable à leurs frontières ».

Faute d’organisations bien structurées qui défendent, à long terme, les intérêts des classes populaires (ceux des travailleurs salariés, des opérateurs du secteur informel, des exploitants ruraux traditionnels et du sous-prolétariat urbain) et qui soient gérées par elles, le changement viendra sans doute, dans un premier temps, des nouvelles générations d’acteurs de la classe moyenne : les jeunes entrepreneurs « repats » et les mouvements d’activistes citoyens.


[1] Appartiennent à cette « classe dirigeante » (à l’heure actuelle et sous le régime de Joseph Kabila) :

– les personnes qui constituent le « pouvoir en place », à savoir le président de la République (qui fixe la répartition des charges, octroie et retire les faveurs, perçoit sa dîme) et tous ses proches : membres de la fratrie (manche courte et manche longue), épouses et courtisanes, d’innombrables oncles ou tantes ou cousins plus ou moins proches, un « entourage » d’assistants techniques et de mercenaires comprenant le dircab et les membres du cabinet, les chefs des « maisons » civile et militaire, un ou plusieurs conseillers dits « spéciaux » et différents autres maniganciers qui gravitent autour de la présidence : conseillers-féticheurs, philosophes-conseils et conseillers-pasteurs,  un directeur financier du cabinet, des comptables et gestionnaires de fonds secrets, etc

– les politiciens de métier (appartenant aussi bien à l’ « opposition parlementaire » qu’à la  « majorité présidentielle ») : sénateurs, députés nationaux et provinciaux mal « élus », lors d’élections sujettes à caution (et généralement hors mandat), ministres nationaux ou provinciaux aux ordres du pouvoir en place

– les cadres supérieurs de la Force publique néocoloniale (officiers généraux et supérieurs des FARDC et la Police et, plus particulièrement, hauts gradés de la GR, de la LENI, de la police militaire et de la justice militaire) qui ont pour mission principale de protéger les « autorités » (leurs personnes, biens, immeubles et familles) et de réprimer les mouvements de mécontentement populaire;  officiers et  administrateurs placés à la tête des « services » de renseignement (l’ANR, la Demiap rebaptisée « Renseignements militaires », la DGM) et autres « analystes, scénaristes et maniganciers  de coups tordus » attachés à la présidence ou à la primature

– les cadres supérieurs du secteur public ayant fait allégeances au pouvoir en place : autorités territoriales, dirigeants de la Banque Centrale du Congo, dirigeants d’entreprises publiques, chefs de missions diplomatiques à l’étranger, hauts-fonctionnaires, hauts-magistrats… et certains professeurs d’université (et, plus particulièrement, de nombreux juristes dévoyés étant devenus des conseillers courtisans: Evariste Boshab, Néhémie Mwilanya , etc),

– les cadres supérieurs du secteur privé inféodés au pouvoir en place: dirigeants ou gérants d’entreprises privées détenues majoritairement pas des actionnaires extra-nationaux mais dont les activités sont « couvertes » par certains membres du groupe dominant minoritaire, hauts dignitaires de différentes religions subventionnées par le pouvoir en place et/ou contrôlées par les services de sécurité, etc

Les membres de ce groupe dominant minoritaire sont particulièrement « visibles » et « tapageurs ».

Ils disposent de revenus considérables (salaires, perdiems, indemnités et primes sur fonds publics, « dîmes » et rétro-commissions, ponctions opérées sur la population et les opérateurs socio-économique des secteurs d’activité qu’ils contrôlent, gains rapides produits par différents trafics) et adoptent un mode de consommation arrogant, frénétique et ostentatoire (faisant étalage avec arrogance de leur opulence, exhibant volontiers des signes extérieurs de richesse qu’ils se plaisent à « montrer » : véhicules de luxe, montres de luxe, parures et habits de luxe, fêtes fastueuses).

Ils se déplacent en 4×4 climatisées, rutilantes, aux vitres fumées (en compagnie de gardes du corps armés) et habitent de somptueuses villas dans les quartiers dits résidentiels et bien éclairés de quelques grandes villes (la République de la Gombe ou le quartier Mont-Fleury dans la commune de Ngaliema, à Kinshasa, etc).

Ils ont accès aux meilleurs soins de santé et leurs enfants fréquentent les meilleures écoles (à l’étranger ou au pays : école française, école belge ou autres écoles « internationales »).

[2] Différents trafics, « protections », affaires juteuses et autres actes de brigandage économique, social et culturel:  détournements de fonds publics, surfacturations, opérations retour et blanchiment d’argent, fraudes à l’impôt et trafic d’exemptions fiscales au bénéfice de multinationales, contrebande et trafics d’armes, trafic de médicaments, trafic de marchandises avariées, trafic de passeports, de papiers d’identité et de cartes d’électeurs, trafic de charbon de bois, trafic d’enfants à adopter, trafic de bois rares et de minerais précieux, abattage d’espèces « en danger », prospection pétrolière dans les parcs naturels, expropriation des paysans de leurs terres ancestrales, trafics de pétrole, de minerais rares, d’objets d’art, de terres arables, de bois précieux, d’espèces en voie de disparition et de travailleurs sans protection sociale (creuseurs, servantes, prostituées, chauffeurs, débardeurs, revendeurs, poussateurs, porteurs et ouvriers journaliers, etc), reventes d’armes, de munitions, de valises satellitaires, d’uniformes, de jeeps et même de véhicules blindés à des groupes armés, trafics d’espèces animales, trafics de drogue, trafics de produits ionisants, exportations frauduleuses de café, de minerais précieux et de bois rares, importation de maïs avarié, de poisson  pollué, toxique ou aromatisé aux hydrocarbures, de miel israélien, de volailles brésiliennes ou de tilapias chinois contaminés par des antibiotiques ou des nitrofurannes, mise sur le marché de lots douteux ou de cargaisons  qui auraient dû être déclarés impropres à la consommation (présence de fragments de verre dans des confitures de marque “Everyday” ou d’arsenic dans des sacs de riz importés), mise en vente de « produits de première nécessité », mâchoires de vache, carcasses de porc ou de poulet, tombola bwaka et médicaments avariés, lits d’hôpitaux, autobus et locomotives de seconde main, voitures « occasions d’Europe » normalement interdites à l’importation mais débarquées au port de Pointe-Noire et ayant fait leur entrée en RDC par les postes frontaliers de Luozi…

[3] La violence armée est exercée sur la population par une Force publique néo-coloniale, dont les capacités de répression au service de la dictature ont régulièrement été renforcées par différentes actions (formation, entrainement, équipement) de « coopération » bilatérale ou multilatérale (Belgique, Etats-Unis, Union européenne, Israël, Corée du Nord, etc). Cette Force publique  comprend notamment les FARDC, la Police et les « services » et, plus particulièrement, les Bana Mura de la GR, la LENI, la Police militaire, la Demiap (rebaptisée Renseignements Militaires) et l’ANR

[4]  La classe des exploitants ruraux traditionnels  se trouve à présent complètement marginalisée et bousculée dans ses fondements : insuffisance d’intrants agricoles, difficultés d’évacuation et de commercialisation, concurrence des produits vivriers importés et de la production de masse des groupes-agro-industriels (au détriment de l’agriculture familiale et de la sécurité alimentaire en milieu rural), dégâts causés à l’environnement par les grandes entreprises minières, pétrolières ou d’exploitation halieutique ou forestière concessionnaires (captation des ressources hydrauliques, pollution des lacs et des rivières, destruction des forêts, etc).

Exemple : comme auparavant (sous le régime de Mobutu Sese Seko) le domaine de la N’Sele ou le projet de Kanyama-Kasese, la construction du parc agro-industriel de Bukango-Lonzo a été décidée sans aucune consultation préalable des exploitants ruraux traditionnels (relégués dans les bidonvilles de la périphérie de Kenge ou de Kinshasa ?) et sans se soucier ni du sort des femmes maraîchères de la périphérie de la ville de Kinshasa, ni de celui des petits fermiers et éleveurs locaux de bétail et des commerçants-transporteurs locaux de produits vivriers.

[5] La secte Bundu dia Kongo de Zacharie Badiengila mieux connu sous le nom de Ne Muanda Nsemi (actuellement « évadé » et/ou, peut-être, »liquidé » par l’ANR) a fait l’objet d’une répression féroce mais continue de se manifester à Kinshasa et dans un pays Kongo connu pour son esprit de résistance à tout ce qui est considéré comme oppresseur ou déculturant (qu’il s’agisse d’un pouvoir colonial, d’un « gouvernement central » ou d’une religion d’origine étrangère), le pays de M’Fumu Nkusu Kiambu, l’homme des ancêtres, fondateur d’une « Eglise des Noirs », appelée Vuvamu, soucieux de parachever l’œuvre de M’Fumu Kimbandu en boutant hors du Kongo le christianisme, une religion « venue d’ailleurs »… ou encore de Kaniamange Atoli Mbala et de ses compagnons qui, en date du 12 novembre 1994, mettaient le feu à une croix de 6,65 mètres de haut… qui aurait été plantée au XVe siècle (?) à Mbata Kulunsi, à 150 km de Kisantu.