Des obligations très précises de l’État congolais pour la mise en œuvre du protocole de Maputo sont explicitées dans les « Observations générales » de la Commission Africaine sur l’Article 14.2.c) : le droit à l’avortement médicalisé en cas d’agression sexuelle, de viol d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus.

On sait que c’est cet article 14 qui a suscité une opposition de certains milieux religieux au Protocole de Maputo et a probablement conduit au non respect jusqu’aujourd’hui de ses engagements en la matière par l’État congolais.

Quels sont ces engagements qui doivent absolument être respectés ?

La réponse précise à cette question se trouve dans les Observations Générales sur l’article 14.2(c).

Les « Observations générales », c’est quoi ?

La Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ( Commission Africaine ) s’est réjouie de la ratification du protocole de Maputo , par la majorité des États membres de l’Union Africaine, dont la RDC.

Mais elle a fait le constat que plusieurs pays (dont la RDC toujours) tardent a engager les réformes juridiques nécessaires à l’intégration de ses dispositions pertinentes , dans leur législation interne en particulier, dans le domaine des droits sexuels et reproductifs. Ainsi, dans plusieurs Êtats parties au Protocole ces droits restent encore caractérisés par le faible accès des femmes et des adolescentes à la planification familiale et par les obstacles que rencontrent celles-ci pour accéder a des services d’avortement sûrs et disponibles, y compris dans les cas autorisés.

C’est pour aider à inverser cette tendance que la Commission Africaine a adopté des « Observations Générales n ° 2 sur l’ Article 14. 2 du Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples relatif aux Droits des Femmes en Afrique » . (Pour lire ces Observations générales, CLIQUEZ ICI.)

Les Observations générales donnent des orientations claires sur les obligations générales et spécifiques des États parties en vue de favoriser l’intégration et la mise en œuvre effectives des dispositions de l’Article 14 du Protocole de Maputo. « Les États parties doivent assurer un environnement juridique et social favorable à l’exercice, par les femmes de leurs droits sexuels et reproductifs. Ceci implique la relecture des lois restrictives, et si nécessaires, des politiques et procédures administratives relatives à la planification familiale / contraception et à l’avortement médicalisé dans les cas prévus au Protocole, ainsi que l’intégration des dispositions dudit instrument juridique dans le droit interne ».

Les « Observations Générales » doivent être utilisées également, lors de l’élaboration et de la soumission par les États de leurs rapports périodiques, pour rendre compte des mesures législatives et autres, prises par eux, dans le domaine de la promotion et de la protection de la sante sexuelle et reproductive des femmes et des adolescentes. `

VOIR CI DESSOUS L’ENCADRE : Quelle est la situation de la RDC concernant les rapports périodiques sur la mise en œuvre du Protocole de Maputo et de son article 14 §2 c. ?

Qu’est-ce que l’ « avortement médicalisé »

Au sens du Protocole, «Avortement médicalisé» désigne les services d’avortement sans risque, fournis au moyen de médicaments ou méthodes spécifiques, avec tous les renseignements nécessaires et le consentement éclairé des intéressés, par des professionnels de santé des niveaux primaire, secondaire et tertiaire, formés à l’avortement médicalisé, conformément aux normes de l’OMS. Ces services comportent aussi des techniques chirurgicales et des traitements.

Quelles sont les Obligations générales de l’État ?

L’Article 14 impose quatre obligations générales aux États parties, à l’instar de plusieurs dispositions en matière des droits de l’homme à savoir : respecter, protéger, promouvoir et réaliser les droits y consacrés.

Quels sont précisément ces droits découlant de l’article 14 §2 c.?

Les Observations Générales précisent clairement le contenu de plusieurs de ces droits :

(Toutes les citations en italiques sont extraites des « Observations Générales)

1. Le droit d’interrompre une grossesse contractée à la suite d’une agression sexuelle, d’un viol et d’un inceste.

« Le Protocole garantit aux femmes le droit d’interrompre une grossesse contractée à la suite d’une agression sexuelle, d’un viol et d’un inceste. Le fait pour une femme d’être contrainte de garder une grossesse résultant de ces cas, constitue un traumatisme supplémentaire de nature à affecter sa santé physique et mentale, comme en témoignent les organes onusiens chargés de veiller au respect des traités, qui plaident en faveur de l’accès des femmes à l’avortement thérapeutique légal en cas de grossesse découlant d’une agression sexuelle ».

2. Le droit d’interrompre une grossesse lorsqu’elle présente un danger pour la santé de la mère.

« Lorsqu’on évalue les risques pour la santé d’une femme enceinte, la santé doit être interprétée selon la définition de l’OMS, à savoir : « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. ». Les raisons avancées par la femme qui sollicite un avortement doivent être prises en compte et les États sont tenus de veiller à ce que les cadres juridiques en place facilitent l’accès des femmes à l’avortement médicalisé, lorsque la grossesse présente un danger pour la santé de la mère. Ceci implique notamment que, la preuve d’un examen psychiatrique préalable, n’est pas nécessaire pour établir le risque pour la santé mentale ».

3. Le droit d’interrompre une grossesse lorsqu’elle comporte des risques pour la vie de la mère ou du fœtus.

« Le Protocole garantit le droit de mettre un terme à une grossesse lorsque la vie de la femme est menacée. Or la vie des femmes se trouve en danger lorsqu’elles n’ont pas accès à des procédures légales de sécurité, ce qui les oblige à recourir aux services d’avortements clandestins. La mortalité maternelle due aux avortements pratiqués dans des conditions insalubres constitue un risque élevé, particulièrement pour les adolescentes qui cherchent à interrompre une grossesse en ayant recours à des prestataires de services non qualifiés ou non spécialisés, ou à des avortements provoqués à l’aide de procédures, produits et objets dangereux.

L’avortement médicalisé peut être requis, par les femmes dont la grossesse comporte des risques pour la vie de la mère ou du fœtus. Il en est ainsi par exemple, lorsqu’il est démontré que le fœtus qui se développe souffre de malformations incompatibles avec la survie, de sorte que le fait d’être contraint de mener la grossesse à terme constituerait un traitement cruel et inhumain. Cela peut également se produire chez les femmes qui ont besoin d’un traitement médical spécial pour une maladie cardiaque, le cancer ou d’autres maladies qui peuvent mettre en danger la survie du fœtus ».

4. Le droit d’être à l’abri de poursuites et de sanctions pénales

« Le droit d’être à l’abri de la discrimination implique que les femmes ne fassent pas l’objet de poursuites pénales et ne subissent pas non plus des sanctions légales pour avoir bénéficié des services de santé qui leur sont réservés, tels les soins d’avortement et post-avortement.

Il implique, par ailleurs, que le personnel de santé n’ait à craindre ni poursuites, ni représailles disciplinaires ou autres pour avoir fourni ces services, dans les cas prévus au Protocole.

Les États parties doivent veiller à ce que les praticiens du droit, les avocats magistrats, et officiers de police judiciaire reçoivent une formation adéquate et soient sensibilisés au respect et à la mise en œuvre des droits individuels et des obligations de l’État garantis par le Protocole, afin que les femmes ne soient pas arrêtées, inculpées et poursuivies à cause du recours par elles aux services d’avortement médicalisé ou des soins après avortement, lorsque elles y ont droit ».

5. Le droit de bénéficier des moyens d’interrompre, sans risque, une grossesse non désirée en recourant aux services modernes performants.

« L’article 15.1.b) du PIDESC stipule que tout individu doit bénéficier du progrès scientifique et de ses applications. Les femmes se voient dénier le droit de bénéficier des fruits de ce progrès dès lors qu’on leur refuse les moyens d’interrompre, sans risque, une grossesse non désirée en recourant aux services modernes performants ».

6. Le droit de n’être pas soumises à un interrogatoire sur les raisons pour lesquelles elles veulent interrompre une grossesse non désirée ou d’être accusées ou détenues pour soupçons d’avortement illégal

« Le fait pour les femmes ayant droit aux services d’avortement thérapeutique d’être soumises, par des prestataires de soins de santé, des autorités policières et/ou judiciaires à un interrogatoire sur les raisons pour lesquelles elles veulent interrompre une grossesse non désirée, répondant aux critères énumérés à l’article 14. 2.c) ou d’être accusées ou détenues pour soupçons d’avortement illégal, lorsqu’elles sollicitent des soins post avortement, constitue une violation de leurs droits à la vie privée et à la confidentialité.

L’OMS recommande aux Etats membres, de mettre fin à la pratique d’extorsion d’aveux des femmes qui sollicitent des soins médicaux d’urgence, à la suite d’un avortement illégal et de lever l’obligation imposée par la loi aux médecins et autres prestataires de soins de santé, de dénoncer les cas des femmes ayant subi un avortement. Les États sont tenus de veiller à assurer, immédiatement et sans condition, le traitement requis à toute personne en quête de soins médicaux d’urgence. Les instances onusiennes des droits de l’homme ont également condamné ces pratiques qui constituent une violation des droits humains ».

7. Le droit de ne pas être traitées de manière inhumaine, cruelle ou dégradante

L’article 5 de la Charte africaine proscrit les traitements cruels, inhumains et dégradants, interdiction réitérée à l’article 4 du Protocole. Les États parties doivent veiller à ce que les femmes ne soient pas traitées de manière inhumaine, cruelle ou dégradante, lorsqu’elles demandent à bénéficier des services de santé de la reproduction tels que la planification familiale/contraception ou les soins d’avortement médicalisé, dans les cas prévus par la loi nationale et le Protocole ».

8. Le droit d’être informée sur les services de planification familiale/contraception et d’avortement médicalisé

« L’obligation de respecter les droits requiert des États parties qu’ils s’abstiennent de porter atteinte, directement ou indirectement, aux droits des femmes et qu’elles soient dûment informées sur les services de planification familiale/contraception et d’avortement médicalisé, lesquels devraient être disponibles, accessibles, acceptables et de bonne qualité.

Les États parties devraient particulièrement veiller à ce que les services de santé et les prestataires de soins de santé, ne dénient pas aux femmes l’accès à l’information et aux services liés à la planification familiale/contraception et à l’avortement médicalisé, par exemple, du fait d’exigences de tiers ou pour raison d’objection de conscience ».

9. Le droit d’accéder à des services de planification familiale/contraception, et d’avortement médicalisé sans interférence de tiers.

« L’obligation de protéger requiert des États parties de prendre les mesures nécessaires pour empêcher les tiers d’interférer dans la jouissance des droits sexuels et reproductifs des femmes. Une attention particulière doit être accordée à la prévention, quant à l’interférence des tiers en ce qui concerne les droits des groupes vulnérables tels que les adolescentes, les femmes vivant avec un handicap, les femmes vivant avec le VIH et les femmes dans les situations de conflit. L’obligation comprend la formulation de normes et directives portant la précision que, le consentement et l’implication de tierces parties, y compris mais exclusivement, les parents, tuteurs, conjoints et partenaires, ne sont pas requis lorsque les femmes adultes et les adolescentes veulent accéder à des services de planification familiale/contraception, et d’avortement médicalisé dans les cas prévus au Protocole ».

En conclusion, « l‘obligation de promouvoir impose aux États parties de créer les conditions juridiques, économiques et sociales permettant aux femmes d’exercer leurs droits sexuels et reproductifs, en matière de planification familiale / contraception, et d’avortement médicalisé, ainsi que d’en jouir.

Une étape essentielle en vue d’éliminer la stigmatisation et la discrimination liées à la santé de la reproduction comprend mais non exclusivement, l’appui à l’autonomisation des femmes, la sensibilisation et l’éducation des communautés, des chefs religieux, des chefs traditionnels et des leaders politiques sur les droits sexuels et reproductif des femmes ainsi que la formation des travailleurs de la santé ».



LE RAPPORT PERIODIQUE DE LA RDC SUR L’ARTICLE 14 §2 c. : « des mesures doivent être envisagées… »

La RD-Congo a ratifié le Protocole de MAPUTO, depuis le 9/06/2008 et les instruments de ratification ont été déposés le 09/02/2009. La rédaction du rapport étatique sur la mise en œuvre du Protocole de MAPUTO, qui est une des obligations des Etats parties au Protocole, offre au pays l’opportunité de mettre en exergue les progrès accomplis dans la promotion des droits des femmes depuis plusieurs années.

A ce jour la RDC n’a remis qu’un seul rapport intitulé « RAPPORT A LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES RELATIF A LA MISE EN ŒUVRE DE LA CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES COUVRANT LA PERIODE 2008-2015(11ème,12ème,13ème rapports périodiques) ET DU PROTOCOLE A LA CHARTE AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES RELATIF AUX DROITS DES FEMMES COUVRANT LA PERIODE 2005-2015 (Rapport initial et 1er, 2ième et 3ième rapports périodiques).

Pour lire ce Rapport, CLIQUEZ ICI.

Que dit ce Rapport périodique au sujet de l’article 14 sur l’avortement  médicalisé?

Dispositions pour l’avortement (article 14 (2) (c))

« 231. L’avortement est certainement l’un des plus anciens, des plus universels débats et où les approches, même traditionnelles, connaissent de fortes divergences, sur les rapports entre éthique et droit, parce que relevant même de la philosophie du droit, le domaine de la procréation à travers ses deux attributs essentiels que sont le droit ou la liberté de procréer et le droit de refuser la procréation dont la manifestation la plus évidente est l’avortement encore appelé interruption de grossesse. S’agissant de la liberté de procréer, c’est la possibilité de décider si et quand la vie sexuelle doit aboutir à la procréation, qu’elle soit naturelle ou artificielle.

232. Quant au droit de refuser de procréer, objet de l’article 14 (2) (c) du Protocole de MAPUTO, à ce jour, malgré les différents débats, études et autres propositions pour la protection sociale, enregistrés dans le pays avant la ratification du Protocole de MAPUTO et même après, la RDC ne dispose d’aucune mesure ou instrument juridique en faveur de l’avortement médicalisé, même en cas d’agression sexuelle, de viol ou d’inceste. Par contre, le code pénal sanctionne strictement toute pratique d’avortement en ses articles 166 et 167 : « Celui qui, par aliments, breuvages, médicaments, violences ou par tout autre moyen aura fait avorter une femme, sera puni d’une servitude pénale de cinq à quinze ans et la femme qui volontairement se sera fait avorter, sera punie d’une servitude pénale de cinq à dix ans ».

233.Toutefois, il est admis de prendre toutes les dispositions pour l’avortement, par rapport à la déontologie médicale, à titre de précaution en apportant le traitement approprié lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus. Une telle intervention doit être approuvée par un médecin légiste qui établit un document, lequel sera annexé dans le dossier de la malade.

234.Cela signifie que par rapport à l’entendement du Protocole de MAPUTO, des mesures doivent être envisagées au-delà de toutes les considérations évoquées ci-haut. »