Awa Djiga Kane interprète Korsa, une sage-femme dans la série sénégalaise C’est la vie. Elle nous raconte son parcours de femme engagée, arrivée par hasard dans le monde du cinéma où elle continue de défendre les droits des femmes.Après vous avoir parlé de la série C’est la vie, qui sensibilise à la santé sexuelle au Sénégal, je vous présente l’une de ses actrices principales : Awa Djiga Kane.

Awa Djiga Kane m’a invitée chez elle pour discuter de son parcours et de la série C’est la vie dans laquelle elle interprète l’un des rôles principaux : Korsa. Si tu as été suffisamment curieuse pour regarder ne serait-ce que le premier épisode dont je te parlais dans l’article précédent, tu sais peut-être que son personnage n’est pas commode, et j’y reviendrai. Mais Awa, c’est tout le contraire. Elle est attentive, chaleureuse, enthousiaste.« C’est pour la bonne cause ! » me répond-t-elle quand je la remercie de m’accorder son temps.

« Le cinéma, c’est un hasard »

Rien ne prédestinait Awa à devenir actrice. Née en Casamance d’une famille « modeste » mais pas sans le sous non plus, elle y a grandi, étudié, elle s’y est mariée.

« Puis je suis venue à Dakar pour suivre mon mari qui était muté. »

Elle en profite pour se former à l’horticulture, après avoir eu son premier enfant. Elle a alors 23 ans.

« Je suis une fille de la nature, je viens de la Verte Casamance [ndlr : la région est très verte et reconnue pour la richesse de ses sols].

Je suis sortie de l’école en tant que technicienne horticole, donc c’est pour faire de l’aménagement des productions fruitières, des légumes. J’ai aussi enseigné. »

Un casting passé « pour l’expérience »

C’est d’ailleurs au détour d’une pause entre deux cours qu’elle est entrée dans l’aventure C’est la vie :

« Je donnais des cours de micro-jardinage aux enfants et étudiants français inscrits à l’alliance franco-sénégalaise. Un jour, pendant une pause, un homme est sorti d’une pièce et nous a dit à moi et mes collègues qu’il cherchait des rôles principaux pour une série. »

Au départ, toutes les collègues d’Awa refusent. « Elles disaient « non, faire du cinéma, nous, c’est du grand n’importe quoi », m’explique Awa. Mais elle ne se laisse pas démonter :

« Je leur ai dit, vous savez dans la vie, il ne faut jamais dire jamais. Alors essayez, même si on ne réussit pas, on pourra dire qu’on a fait ça. Et c’est passionnant d’entrer dans la peau d’une personne ! »

À l’époque, elle a déjà fait un petit peu de théâtre quand elle était enfant car elle a « toujours aimer s’investir dans la société », mais rien de plus.

Pourtant, trois fois de suite, on la fait revenir, essayer différents rôles : Assitan d’abord, la « gentille sage-femme », puis Rokoba, la « méchante belle-mère ». Et enfin Korsa.

« À la fin, il m’a dit « tu as bien laissé ton numéro et ton nom est bien Awa Djiga Kane ? » »

Elle semble encore surprise quand elle en parle.

« J’aime bien tenir le micro, présenter des cérémonies même dans des écoles par exemple. Mais la caméra, c’était nouveau. »

Interpréter Korsa, « le personnage négatif de la série »

C’est comme ça qu’Awa s’est retrouvée à interpréter une sage femme « aigrie ».

« Au début je ne savais pas de quoi ça parlait : c’est une sage femme méchante, qui ne s’entend pas avec ses patientes, mais c’est tout.

En fait, ensuite ils nous ont associées à tout le processus, on était en quelques sortes les pionnières : on a eu des réunions, des préparations, grâce auxquelles on a commencé à comprendre l’objectif de cette série. Parler des femmes, dans tous leurs états, parce que ça tourne autour de quatre personnages. »

Lorsqu’elle décrit le sien, Awa parle souvent à la première personne, comme si elle et Korsa ne faisaient qu’une :

«  L’une des protagonistes, c’est moi qui suis un peu aigrie. Son mari s’est permis d’épouser une autre femme, jeune et belle mais qui ne fait rien, alors que moi je me tue au travail pour les nourrir et la maison où ils vivent m’appartient…

J’ai peur de partir car j’ai peur du jugement porté sur une femme en âge d’être mariée qui ne l’est pas. Alors je supporte mon mari et sa femme, juste pour maintenir une image.

Je transfère tout ça au boulot, et c’est ce qui amène un peu l’amertume de cette dame, sans compter le problème d’argent qui se pose et qui la pousse à racketter ses patientes. »

C’est la vie, une série qui explore les obstacles entre les femmes et leurs droits

Elle enchaîne rapidement sur les trois autres personnages principaux :

« L’autre sage femme c’est Assitan. Elle est jeune, vient de sortir de l’école, elle n’a pas de repères et manque de confiance en elle. […] Korsa voit en elle la rivale qu’elle a laissé à la maison. »

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« La troisième, c’est une fille qui s’est mariée précocement, à l’âge de 15 ans. Elle ne comprend pas son corps, elle ne connaît pas ses cycles, n’a aucune idée de ce qu’est la contraception. Alors elle tombe enceinte.

Elle est coincée avec une belle-mère atroce alors qu’elle aurait rêvé de continuer à étudier.

La 4ème a été violée quand elle était jeune fille. Et malheureusement elle a épousé son violeur, pour masquer ce qui s’est passé. C’est un mariage qui ne fonctionne pas, c’est une femme battue. »

Un nombre incalculable de sujets sont abordés dans chaque épisode.

« C’est important d’aborder tout en même temps car c’est toute une société qui nous suit, chacun doit pouvoir se reconnaître dans l’histoire. Et je pense que l’objectif est atteint : ça suscite des débats au sein des quartiers, à l’école. »

Awa, engagée de longue date

La série ne veut pas simplement divertir comme m’expliquait Louise chargée du projet C’est la vie au sein du Réseau Africain pour l’Éducation, la Santé et la Citoyenneté.

L’objectif est aussi de faire passer des messages, éduquer. C’est quelque chose qui tenait à coeur à Awa avant même qu’elle participe à la série :

« Avant, j’avais l’habitude d’organiser des thé-débats, on fait du thé et entre amies ou pour les jeunes filles, j’amenais un sujet sur la table puis on en discutait. »

Mais lors de ces « causeries », on pouvait parler de tout sauf de sexualité.

« Dans notre société, la norme serait de ne pas avoir de relation sexuelle avant le mariage. Arriver comme ça pour parler de contraception aurait donné l’image que je les pervertissais.

Mais avec la série, j’ai un vrai outil : je mets un épisode qui parle contraception, et je demande « qu’est-ce que vous en pensez, qu’est-ce que vous avez retenu ? ». »

Et la discussion commence : « oui, j’ai vu que celle-là a pris la pilule du lendemain… ».

C’est la vie ouvre le débat sur des tabous dans les foyers

Cette méthode est notamment utilisée lorsque la « caravane » C’est la vie se promène, de villages en quartiers, pour sensibiliser la population – même si Awa regrette que pour l’heure elle se soit limitée à la région nord.

« On se met sous l’arbre à palabre [ndlr : lieu traditionnel de rassemblement], on regarde deux épisodes, puis on se questionne. Il y a une femme, par exemple, qui avait abordé le fait que parfois nous sommes violées au sein de notre propre ménage.

Elle demandait : « est-ce qu’on a le droit de refuser ? Et comment on peut refuser ? ». Parfois même nous on n’a pas les réponses. »

Elle m’explique que dans ce cas, certains membres du public peuvent les apporter. « Une dame avait expliqué qu’on peut par exemple faire semblant d’être malade toute la journée, ou aller se coucher plus tôt. »

À cet instant, je pense en mon fort intérieur que le viol conjugal est malheureusement universel, que l’expression « passer à la casserole » a sans doute des équivalents partout.

Awa me sort de ma réflexion en enchaînant :

« J’ai eu aussi beaucoup de retours de parents qui nous disent qu’ils s’en servent pour en parler avec leurs enfants. Ça fait plaisir de se dire que toi, tu entres dans le salon de tous ces gens et tu crées le débat ! »

Le sujet qui la touche le plus est celui de l’excision.

« Je suis de la région du sud du Sénégal et je pense que beaucoup de filles ont été excisées. […]

Lorsqu’on tournait un épisode où une petite fille est morte car elle a été mal excisée et que ça a provoqué une hémorragie, ce jour là j’étais effondrée, j’ai pleuré comme un bébé.

Car la série, ce sont des faits vécus. Pas par les gens qui l’ont écrite mais c’est sûr qu’il y a des gens qui l’ont vécu alors je me suis posée la question : combien de filles sont mortes comme ça ? »

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Beaucoup de sujets la désolent. L’interdiction de l’avortement même en cas de viol ou d’inceste par exemple, « alors que l’inceste est malheureusement très courant, tu imagines porter l’enfant de ton père ?! » s’exclame-t-elle.

Croire en soi, le message ultime de « C’est la vie ! » porté par Awa

Mais elle s’accroche à la portée éducative de la série. Pour elle, le message central est celui de croire en soi :

« Quelques soient les quatre personnages, chaque personne finit par croire en elle. Même si c’est dans le mauvais sens. Korsa est le personnage négatif de la série, mais elle croit quand même en elle !

Elle fait ses petites manies pour s’en sortir parce qu’elle se dit « il faut que je me batte ». Ça signifie que, dans cette société, les femmes ne doivent pas rester en rade, elles doivent s’imposer, s’affirmer, il y a toujours la lumière au bout du tunnel.

Il faut croire en soi d’abord et le reste viendra. »

De mon côté, j’ai l’impression que s’il y a bien une chose qu’Awa et son personnage semblent partager, c’est cela : se battre et croire en soi.

Une sacrée dose d’inspiration.

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