Dans beaucoup de pays africains, l’accès à la contraception est souvent complexe. L’information autour des droits sexuels et reproductifs, souvent bafoués comme c’est le cas du droit à l’avortement, circule difficilement. Bien sûr, on organise des « causeries », des agents de sensibilisation se déplacent dans les collèges et lycées… Et comme ce n’est pas la cellule familiale qui va pallier à ces lacunes dans la plupart des cas étant donné le tabou qui entoure ces sujets, il faut trouver de nouvelles solutions. Une des plus percutantes, c’est la série TV « C’est la vie » qui sensibilise à la santé sexuelle et reproductive.

C’est la vie, une série « cheval de Troie » pour aborder la santé reproductive et sexuelle

Pour toucher le plus grand nombre de personnes possible, une ONG a misé sur une stratégie que je surnommerai « la stratégie du Cheval de Troie ». Je rencontre Louise, chargée du projet C’est la vie au sein du Réseau Africain pour l’Éducation, la Santé et la Citoyenneté, dès mon arrivée à Dakar. Elle m’explique que l’ONG utilise les médias pour éduquer.

« C’est le principe de « l’edutainment » : on fait passer des messages via des programmes de divertissement. »

Et l’un de ces projets d’envergure est la série TV C’est la vie.

« C’est efficace car même dans les villages de brousse les gens ont la télévision. Même si maintenant il faut développer le contenu sur le web pour toucher les plus jeunes. »

Regardez la bande annonce EN CLIQUANT ICI.

C’est la vie, une série sur le quotidien d’un centre de santé

La série est construite sur le modèle d’une télénovela, « comme le public sénégalais en raffole ». Idole, Espoir, ces séries sont diffusées régulièrement et peuvent acquérir un large public : c’est sur ce modèle qu’a été créé C’est la vie. C’est la vie compte déjà deux saisons et devrait être poursuivie pour deux saisons supplémentaires. On y suit le quotidien d’un centre de santé dans le quartier imaginaire de Dakar « Ratanga ».

Awa Djiga Kane qui interprète Korsa, l’un des quatre personnages principaux, m’explique :

« On suit donc deux sages-femmes, Korsa, la « méchante » qui vit une situation difficile dans son couple polygame et transpose sa frustration au travail, et Assitan, une jeune motivée tout juste sortie de l’école.

Il y a aussi Émadé, mariée très tôt et déscolarisée, et Magar qui a été contrainte d’épouser son violeur et se retrouve dans une situation de violences conjugales. »

Ceci est l’épisode 1, disponible comme toute la première saison sur la chaîne YouTube officielle, EN CLIQUANT ICI.

Le ton est donné : comme insiste Louise, toutes les questions liées à la sexualité et aux droits des femmes sont abordées. Et en effet, rien qu’au cours des trois premiers épisodes, on retrouve rien de moins que les sujets de l’avortement, la polygamie, le viol et les violences conjugales, le mariage précoce, la corruption…

Utiliser la série C’est la vie pour sensibiliser à la santé reproductive et sexuelle

Ce sont autant de choses qui peuvent ensuite être abordées en utilisant la série comme un « brise glace ».

« L’objectif ensuite est de mener des débats avec les spectateurs donc on organise des caravanes où l’on discute et répond aux questions que la série soulève avec le public. »

Dans le but d’amplifier son impact, l’ONG RAES vient de recruter de jeunes ambassadeurs et ambassadrices dans chaque région du Sénégal qui utiliseront les épisodes pour susciter des discussions avec leurs pairs. C’est le Ratanga Club qui se met en place !

C’est la vie, une série « panafricaine »

C’est la vie a été co-scénarisée par des scénaristes professionnels – entre autre Marguerite Abouet que tu connais peut-être pour sa BD Aya de Yopougon– et des experts sur les questions de droits sexuels et reproductifs. D’autres groupes tels que des religieux ont été consultés également :

« On a fait des ateliers durant lesquels on a rencontré des imams favorables à la contraception, comme quoi tout n’est pas si manichéen. Il ne faut pas se voiler la face : malgré la culture qui prône l’abstinence il y a une sexualité chez les ados », me raconte Louise.

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« Tout le processus de production était basé sur le transfert de compétences, que ce soit pour les scénaristes, les chef·fes-op, les comédien·es… Il y avait un véritable enjeu de formation dans le processus car peu d’écoles préparent à ces métiers-là au Sénégal. »

La sensibilisation via les médias, un modèle d’action attrayant mais à l’impact difficile à mesurer

Pour beaucoup, le plateau était donc une première fois. Mais malgré tout, ça n’empêche pas la série de disposer de grands moyens de production. Pour les deux premières saisons, chaque épisode coûtait 30 000 euros. Aujourd’hui, pour la production de la 3ème, c’est 58 000 dollars. Pour les fonds, l’ONG s’appuie sur divers organismes de financement parmi lesquels l’Agence Française de Développement, DKT International, la fondation Bill & Melinda Gates…

« C’est à double tranchant : le projet attire car il change des méthodes traditionnelles, mais en même temps les financeurs ne savent pas par quel bout le prendre, il n’y a pas encore de moyen de mesurer l’impact de la série. »

Mais le RAES sait déjà que ce travail n’est pas vain. Des projets similaires comme celui de Shuga, de la MTV Foundation ont fait leur preuve :

« En matière de lutte contre le SIDA, on constatait des pics d’appels dans les centres aux moments de diffusion de la série. »

Grâce à un nouveau financement, le travail sur la série va pouvoir se poursuivre pour 36 mois supplémentaires.

« Ça comprend en effet la mesure de son impact grâce à des partenariats avec UCLA, Drexcel, mais aussi l’adaptation en langues locales comme le Diola, en format radio qui touchera encore davantage de monde car c’est un média très utilisé sur le continent. »

La série comprend aussi son volet digital avec C’est la vie+, et sur le site de nombreux articles dédiés aux thématiques qu’elle aborde sont accessibles.

Nouveaux objectifs pour C’est la vie : élargir les horizons de la série

Louise parle du continent car il ne s’agit pas seulement du Sénégal : l’ONG vise aussi le Niger, le Nigéria, le Burkina Faso, la République Démocratique du Congo, la Côte d’Ivoire… Mise à disposition des chaînes gratuitement (mais principalement diffusé sur TV5 Monde), C’est la vie comptabilise ainsi plus de 44 millions de téléspectateurs. Pour chacun de ces pays, il y a cependant quelques ajustements à faire :

« On ne s’adresse pas aux gens exactement de la même manière car les cultures, les religions diffèrent. On s’adapte. »

Ce qui est certain c’est que prolongée jusqu’en 2020 et avec la duplication du contenu sur différents médias, le public devrait encore croître et favoriser la sensibilisation !

 

SOURCE : le magazine en ligne féministe mademoiZelle