Aujourd’hui, en Belgique, les femmes sont majoritairement en charge de la contraception. Les hommes ne s’y impliquent pas, ou très peu, tant elle semble naturellement incomber à leurs partenaires. Pourtant, partager les responsabilités serait avantageux. Quels sont alors les freins et comment les dépasser ? Extraits d’un article et de témoignages à découvrir en intégralité dans le hors-série d’AxElle n° 215-216. Et un bonus pour messieurs : retrouvez en fin d’article des pistes pour partager la responsabilité contraceptive !

© Marie Leprêtre pour axelle magazine

 

Selon cette étude récente de Solidaris, 68 % des femmes et 33 % des hommes déclarent utiliser un moyen de contraception. Une femme sur deux se dit seule à en décider et 87 % des femmes le finance également seule. À cela s’ajoute une forme de « travail invisibilisé », régulier, voire quotidien : bonne utilisation, suivi médical, visite à la pharmacie… Il influence la sexualité et le désir : le travail des femmes anticipe les relations sexuelles et crée toutes les conditions pour que le désir masculin puisse, lui, être spontané.

On le voit : que ce soit techniquement, financièrement ou mentalement, la contraception est majoritairement à charge des femmes. Tout se passe comme si les hommes n’étaient ni féconds ni concernés par les conséquences possibles d’un rapport sans contraception : la naissance d’un enfant. Leur fertilité est pourtant plus longue et quotidienne. Ce n’est d’ailleurs que depuis sa médicalisation dans les années 1960 que la contraception s’est féminisée. Auparavant, le retrait était la méthode la plus utilisée en Europe. Pourtant, si les hommes maîtrisaient, eux aussi, leur propre contraception, les bénéfices seraient importants…

Quels avantages ?

Du point de vue de la santé publique, une alternance diminuerait les risques liés aux effets secondaires que les femmes sont seules à supporter.

Du point de vue de la santé publique, une alternance diminuerait les risques liés aux effets secondaires potentiels des différentes formes de contraception médicale (pilules, stérilets, etc.) que les femmes sont seules à supporter : accidents thromboemboliques veineux et artériels, douleurs, céphalées, règles plus longues et plus abondantes, trouble de l’humeur, acné…

« Une contraception va peut-être convenir parfaitement à une femme, et d’autres vont s’en plaindre, explique Yannick Manigart, gynécologue-obstétricien et spécialiste de la contraception féminine. Pour certaines patientes – beaucoup –, rien ne convient. Elles expulsent leur stérilet, elles ne peuvent pas prendre ceci ou cela, la ligature des trompes implique un risque… S’il existait une alternative pour les hommes, ce serait bien ! »

Une prise en charge masculine en complément ou en remplacement de la contraception féminine représenterait également une possibilité de réduire le nombre de grossesses non désirées et aussi d’avortements, dont la moitié fait suite à un échec contraceptif. Par ailleurs, les hommes assumeraient plus efficacement leur fertilité. Balayé, le « elle m’a fait un enfant dans le dos ». Parallèlement, une volonté d’un partage plus équitable émerge. 39 % des hommes se disent prêts à utiliser une contraception masculine (29 % ne savent pas, 31 % disent non) et 51 % des femmes y sont entièrement favorables (25 % ne savent pas, 21 % disent non). Pourquoi cette inégalité persistante ?

Freins techniques et professionnels

Le premier argument invoqué est le manque de contraceptifs masculins (voir plus bas : « Messieurs ? Action ! »). Le désintérêt de l’industrie pharmaceutique, de la médecine et des pouvoirs publics en a toujours limité les budgets. Les effets secondaires sont aussi cités pour expliquer cet échec. Ils sont pourtant comparables à ceux subis par les femmes, ce qui pose la question de la hiérarchisation sexuée de la santé : quand des effets secondaires sont subis par des femmes, ce serait normal, mais cela deviendrait inacceptable quand ils sont subis par des hommes…

Un autre frein conséquent se trouve du côté des professionnel·les de la santé. Une recherche comparative est à cet égard très explicite. En France, 15 % des femmes entre 15 et 49 ans bénéficient de méthodes dites « masculines » (préservatifs, vasectomie et retrait), tandis qu’au Royaume-Uni, elles sont 54 %. Pourquoi ?

Proposer une contraception masculine n’est pas non plus une évidence en Belgique.

L’étude démontre que les conseils diffèrent en fonction du contexte national : mode de rétribution des praticien·nes (au forfait ou, comme en France, à l’acte, ce qui peut favoriser la prescription de contraceptifs demandant des ordonnances régulières), historique des méthodes, formations, information… ainsi que la représentation genrée de la contraception. Tant les praticien·nes français·es que britanniques partagent la vision d’une responsabilité majoritairement féminine, avec toutefois des nuances. Les Français·es présentent une perception plus « naturalisante » (les femmes seraient « naturellement » plus concernées que les hommes), tandis que les Britanniques en font une question de société et d’éducation, avec possibilité d’évolution. Proposer une contraception masculine n’est pas non plus une évidence en Belgique : du côté des médecins et des centres de planning familial, le sujet est peu abordé…

L’obstacle des stéréotypes

La contraception est ainsi liée à la sphère reproductive, attachée aux femmes.

Pour beaucoup de chercheur·es, cette inégalité trouve son origine dans les rapports sociaux de genre, c’est-à-dire les rôles spécifiques attribués aux femmes et aux hommes dans notre société. La division sexuelle du travail en est un enjeu essentiel : les tâches sont séparées et hiérarchisées, celles dites masculines davantage valorisées. La contraception est ainsi liée à la sphère reproductive, attachée aux femmes. Il s’agit donc pour les hommes, en matière de contraception (comme dans tous les autres domaines), de se différencier des femmes et des pratiques qui leur sont culturellement associées. La responsabilité contraceptive ne fait en effet pas partie du modèle hégémonique actuel de la masculinité. Des chercheurs relèvent ainsi la crainte imaginaire d’une « féminisation » de l’homme (et donc de son infériorisation) que pourrait provoquer la contraception masculine. Un homme qui utilise une contraception ne serait plus tout à fait un homme…

• « On ne naît pas homme, on le devient ». À relire, notre entretien avec la philosophe française Olivia Gazalé qui décortique la notion de virilité dans son essai « Le mythe de la virilité ».

C’est aussi dans ce cadre des rôles genrés que l’on rencontre régulièrement l’argument de l’homme irresponsable à qui la femme ne pourrait pas faire confiance. Cette représentation est souvent profondément intégrée. Elle peut parfois coïncider avec la réalité, car elle résulte de la socialisation différenciée des femmes et des hommes. Comme tout stéréotype, ce n’est pas d’une caractéristique biologique immuable mais une vision naturalisante qui, ici, freine l’égalité, dédouane les hommes et pèse au final sur les femmes. La socialisation genrée doit donc, encore une fois, évoluer pour que les hommes se sentent soucieux et responsables de leur fertilité.

L’une des résistances principales à la vasectomie se trouve dans le symbole suprême de la virilité : le phallus.

Enfin, l’une des résistances principales à la vasectomie se trouve dans le symbole suprême de la virilité : le phallus. Perte d’érection, de libido… : des craintes encore bien ancrées qui surgissent à l’idée de toucher à l’appareil génital masculin. Daniel Murillo, gynécologue et andrologue, spécialiste de la fertilité, explique ainsi le refus de cette opération, pourtant bénigne. « Il faut démystifier le concept. Parce qu’on se fait vasectomiser, on devient un eunuque et on se fait châtrer. Le grand fantasme des hommes, c’est qu’on est châtré comme un chat. Un fantasme très présent en Belgique. […] Tout est encore un concept par rapport à la masculinité. »

Une menace pour les femmes ?

Certaines femmes restent réticentes au partage de la contraception, tant il s’agit pour elles d’une victoire fondamentale et très récente. Elles craignent de fragiliser leur autonomie. Le risque est en effet que certains hommes, forts des rapports de pouvoir en leur faveur, instrumentalisent ce partage pour contrôler la contraception des femmes, pour leur imposer une grossesse et limiter leur droit à disposer de leur corps. Là encore, il est primordial de déconstruire ces rapports sociaux de genre qui subordonnent les unes aux autres…

Mais ces rôles de genre ne sont pas immuables, puisqu’ils sont construits. Les domaines d’action sont nombreux : l’éducation des plus jeunes, via notamment une EVRAS (Éducation à la vie sexuelle, relationnelle, affective et sexuelle) égalitaire, la formation des professionnel·les de la santé, l’information des patient·es, le soutien des pouvoirs publics… Assumer chacun·e ses responsabilités et sa fertilité, alterner la charge contraceptive, partager les risques et le plaisir ne pourront donc être envisagés qu’en provoquant une transformation radicale de notre société.

Un article nourri par le mémoire de Master interuniversitaire de spécialisation en études de genre de Laurence Stevelinck, Contraception : où sont les hommes ? Essai sur une responsabilité partagée – L’exemple de Thomas Bouloù, 2018.

Messieurs ? Action !

Les lectrices ne souhaitant pas (ou plus !) endosser la charge mentale et émotionnelle d’informer elles-mêmes leur conjoint sur la contraception masculine pourraient innocemment laisser leur ordinateur ouvert sur cette page, ou envoyer le lien de l’article par mail…

Messieurs, comment pouvez-vous agir concrètement pour partager la responsabilité contraceptive ?

  • En Belgique, il n’existe que deux contraceptifs dits masculins, accessibles facilement aux hommes ne voulant pas ou plus d’enfants : le préservatif externe et la vasectomie (qui peut être réversible mais avec une efficacité relative). En 2008, 8,4 % des hommes en Belgique étaient vasectomisés, contre 21 % en Grande-Bretagne et… 0,8 % en France. Dans notre pays, 10.000 hommes ont été vasectomisés en 2017 (contre 8.000 en 2007), dont une large majorité en Flandre (Source : INAMI et Nations Unies, World contraceptive use 2018).
  • En France, deux autres contraceptions sont disponibles, bien qu’encore marginales : une contraception hormonale par injection, validée pourtant par l’Organisation mondiale de la Santé, et une contraception thermique qui prend la forme d’un slip dit chauffant et qu’il est même possible de confectionner soi-même.
  • Régulièrement, la presse annonce la sortie imminente d’une pilule pour hommes… qui n’arrive jamais. Une piste qui ne serait toutefois pas une solution miracle, vu le nombre d’échecs contraceptifs dus à une mauvaise utilisation déjà constatée pour la pilule féminine.
  • Les spécialistes lui préfèrent des contraceptifs à moyen ou long terme, délaissés par l’industrie car moins rentables. Parmi eux, le Vasalgel, un gel injecté dans les canaux déférents et qui, tel un bouchon, bloque les spermatozoïdes. Il peut ensuite être dissous, sans altération. Cette méthode ne sera sans doute pas disponible avant minimum cinq ans.
  • Les hommes ont toutefois bien d’autres possibilités de s’impliquer : se renseigner sur l’offre contraceptive et participer à la décision, se rendre à la pharmacie, partager les frais, la charge mentale du rappel de la prise de pilule, questionner la pénétration comme condition obligatoire d’un rapport sexuel…
  • Certains vont plus loin : ils prennent en charge leur contraception et militent en faveur de la contraception masculine. C’est le cas en France de l’association ARDECOM qui, dans les années 1980, a développé des contraceptifs hormonaux et thermiques. À nouveau active, elle travaille aux côtés des centres de planning familial. C’est le cas aussi du collectif breton Thomas Bouloù qui organise des ateliers et soirées d’information, et collabore également avec les professionnel·les de la promotion de la santé. Le tout, dans une vision égalitaire de la société.

Par  — AXELLE Hors-série N°215-216 / p. 73-77 • Janvier-février 2019