Qu’avons-nous fait du  Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le Territoire de la République démocratique du Congo ?

 Aujourd’hui, premier octobre 2019,  marque 9 ans jour pour jour depuis la publication, par le Haut-commissariat des Nations-Unies aux droits de l’Homme du Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le Territoire de la République démocratique du Congo.

 https://news.un.org/en/story/2010/10/354522-dr-congo-un-releases-most-extensive-report-date-war-massacres-rapes)

Suite à la  découverte par la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) de trois fosses communes dans le Nord-Kivu à la fin de 2005, s’est imposée comme un douloureux rappel que les graves violations des droits de l’homme commises dans le passé en République démocratique du Congo (RDC) demeuraient largement impunies et fort peu enquêtées. (Page2, Rapport du projet Mapping)

Cette mission d’enquête avaient  pour objectifs de :

  • Dresser l’inventaire des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la République Démocratique du Congo entre mars 1993 et juin 2003).
  • Évaluer les moyens dont dispose le système national de justice pour donner la suite voulue aux violations des droits de l.’homme qui seraient ainsi découvertes.
  • Élaborer, compte tenu des efforts que continuent de déployer les autorités de la RDC ainsi que du soutien de la communauté internationale, une série de formules envisageables pour aider le Gouvernement de la RDC à identifier les mécanismes appropriés de justice transitionnelle permettant de traiter les suites de ces violations en matière de vérité, de justice, de réparations et de réforme ( page 458 et Suivants, Rapport Mapping)

Ce rapport avait documenté 617 incidents auxquels se rapportent les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire sur la période considérée, y compris des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité, et probablement des crimes de génocide ; Cette enquête nomme explicitement des victimes, des lieux, des dates mais élude les auteurs( discours, Prix Nobel de la paix 2018).

Le rapport propose une série d’options pour faire face aux conséquences de ces crimes, notamment en termes de Justice Transitionnelle (Vérité, justice, réconciliation et la garantie de non répétition (Page 458, Rapport du projet Mapping)

Les Accords de Sun City (avril 2002) avait préconisé :

  • L’institution d’un Tribunal pénal international pour la RDC pour juger les crimes  de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis depuis le 30 juin 1960 (résolution DIC/CPR/05).
  • La création d’une Commission nationale Vérité et Réconciliation chargée de  rétablir la vérité et de promouvoir la paix, la justice et la réconciliation nationale (résolution DIC/CPR/04).
  • La création d’un Observatoire national des droits de l.’homme
  • La suppression des juridictions d’exception, notamment la Cour d’ordre militaire et l’abolition de la compétence des cours militaires pour juger les civils et la reconnaissance du droit d’appel devant ces juridictions (résolution DIC/CPJ/06).
  • L’affirmation de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance effective du  pouvoir judiciaire (résolution DIC/CPR/06)( page459 et suivant ;  Rapport du projet Mapping

Le Constat est que ce rapport est en train de moisir dans le tiroir  d’un bureau  à New York.

Il a été rédigé à l’issue d’une enquête professionnelle et rigoureuse sur les crimes de guerre et les violations des droits humains perpétrés au Congo( Discours Prix Nobel de la Paix 2018, Oslo, 10 décembre 2018).

Dans l’entretemps, de nouveaux crimes  continuent à être commis sur le sol Congolais, y compris par les mêmes acteurs des années 1993-2003, forts de l’impunité dont ils sont assurés et de l’influence militaire, politique et/ou économique qu’ils ont conservée.

De ce constat amer, nous réclamons :

La mise en œuvre  des recommandations contenues dans  le Rapport du projet Mapping  afin de mettre fin à l’impunité des crimes internationaux.

« La paix en RD Congo passe par la fin de l’impunité ». « Il n’ya pas de paix durable sans la justice or la justice  ne se négocie pas » « Pas de paix sans vérité, pas de paix sans justice ni réconciliation ». « Comment construire la paix sur des fosses communes ? Comment construire la paix sans vérité ni réconciliation ?
Comment construire la paix sans justice ni réparation ? » « La violence en RD Congo, trop c’est trop, la paix maintenant »  (Extraits du discours Prix Nobel de la Paix 2018, Oslo 10 décembre)

Me Thérèse Kulungu, avocate Coordinatrice du Chemin de la Paix

 

La justice et la réparation sont toujours attendues depuis la publication du Mapping report

Fruit d’entretiens avec plusieurs centaines d’interlocuteurs tant congolais qu’étrangers, le Rapport du Projet Mapping a eu l’ambition de documenter les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire congolais. 9 ans après sa publication, les victimes attendent toujours réparation.

« L’impact final de ce projet dépendra des actions de suivi par le gouvernement et le peuple de la RDC, à qui ils appartient de définir et mettre en œuvre une approche sur la justice transitionnelle », expliquait déjà, en 2010, Navanethem Pillay, Haut-Commissaire des Nations unies auxdroits de l’homme entre 2008 et 2014.

9 ans après : quel bilan?

« Je crois qu’il faut dire la vérité. Il n’y a pas de progrès par rapport à l’application du Rapport Mapping »
, indique Juvenal Munubo.

Après la publication de ce rapport, rappelle l’élu de Walikale, « l’ancien Président de la République, Joseph Kabila, avait même demandé, en 2003, à la tribune des Nations-Unies la création d’un Tribunal spécifique pour ces crimes ».

Pour sa part, Jonas Tshiombela note que la question des droits de l’homme, depuis la publication du Mapping report jusqu’à ce jour, ne s’est pas améliorée. « Vous savez qu’il y a des officiels qui sont plongés dans ces violations, il y a aussi des groupes armés qui écument dans la partie Est du pays. On a connu dans le Kasaï le phénomène de Kamuina Nsapu. On nous a parlé même dans cette ville des fosses communes, il s’est passé beaucoup des choses. La situation des droits de l’homme s’est tellement détériorée qu’on ne sait pas à quel moment elle pourra être redressée dans notre pays », s’inquiète coordonnateur de la nouvelle société civile congolaise.

Le drame est, poursuit-il, que « toutes ces violations sont faites en toute impunité. Il n’y a aucune initiative, ni de la communauté internationale ni de la part de notre pays ».

L’incompétence de la Cour pénale internationale

Les violations décrites dans le Mapping report cadrent avec une période qui n’a pas été couverte par la Cour pénale internationale, compétente pour les crimes commis après l’entrée en vigueur de son Statut (de Rome).

« À un moment donné, il y avait des disccusions ainsi que des propositions pour la création des chambres mixtes au niveau de la juridiction congolaise, dans lesquelles on pourra trouver des magistrats congolais aux côtés de leurs collègues étrangers. L’idée avait même été proposée à l’Assemblée nationale au cours de la législation passée. Il y avait eu un projet de loi dans ce sens mais qui n’avait pas été appuyé largement par les députés », se souvient l’élu de Walikale.

Contrairement à l’avis des députés de l’époque, qui évoquaient l’absence dune fenêtre dans la constitution pour aborder cette piste, Juvenal Munubo pense que cette initiative vaut la peine: « j’estime que si nous devons même toucher à la loi fondamentale pour donner la possibilité aux magristrats congolais de travailler avec leurs collègues étrangers, dans le but de lutter contre l’impunité et de donner une réponse judiciaire aux crimes qui ont été commis entre 1993 et 2003, si la solution doit passer par une révision constitutionnelle, je n’y trouve aucun inconvenient », était-il savoir.

Réagissant aux sanctions et autres mesures initiées contre certaines personnalités en matière de violation des droits de l’homme en RDC, Jonas Tshiombela déplore de son côté de voir que « cette même communauté [internationale] a pris des sanctions sans penser à créer un Tribunal pénal international ».

Qui rappelle aussi qu’à la publication de ce rapport, « nous avons appelé de tous nos vœux la mise en place de cette juridiction pour la RDC. Aujourd’hui, nous saluons la position du Prix Nobel pour la Paix, Dr Denis Mukwege qui appelle aussi, plusieurs années plus tard, à la création de ce Tribunal », insiste l’activiste.

Pas de prime à l’impunité 

Considérant que « la reforme de la justice dans notre pays n’a pas connu des grandes avancées, en dehors de l’éclatement des juridictions en trois ordres (la Cour constitutionnelle, le Conseil d’Etat et puis la Cour de Cassation) », l’élu de Walikale se « demande si les magristrats congolais sont devenus indépendants et en mesure de se saisir des cas qui ont été commis pendant cette période décrite par le Mapping report ».

« Nous savons qu’à l’époque, par exemple, il y avait les campagnes militaires de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL), soutenues par le Rwanda et l’Ouganda, les attaques notamment le camp des réfugiés de Mugunga, le massacre de Tingi-Tingi. Par rapport à tous ces cas, il y a lieu de se demander si les juridictions congolaises sont en mesure de se saisir de ces problèmes ».

Après la publication de ce rapport, l’Ouganda avait été condamné par la Cour internationale de justice. « L’idée pour Kinshasa était aussi d’accuser Kigali mais le pays s’est buté à une difficulté d’ordre juridique : le gouvernement rwandais ne reconnaissait pas la compétence de la Cour internationale de Justice. Mais malgré la condamnation de l’Ouganda, les réparations n’ont jamais été versées par l’Ouganda à la partie congolaise. Là encore, ça demande un suivi par les autorités de notre pays », explique-t-il.

Intervenant à l’issue d’un entretien avec le chef de l’État à Washington, Peter Pham venait de déclarer que « les sanctions américaines contre des personnalités de l’Administration Kabila ne sont pas liées à l’issue des élections de décembre 2018 mais concernent tout ce que le pays a connu comme entrave au processus électoral, à la corruption et aux violations des droits de l’homme ».

Pour Jonas Tshiombela, « les sanctions américaines sont des mesures administratives. Est-ce qu’elles sont accompagnées des réparations ? ».

Comptant sur la présomption d’innocence pour toutes les personnes indexées par ces mesures, l’activiste constate que rien n’est réparé. « Les victimes cohabitent avec leurs bourreaux. De telles sanctions n’ont eu d’impact que sur les présumés coupables mais il n’y a rien au niveau des victimes. Il y a des gens qui sont accusés des violations des droits de l’homme mais qui sont promus à des hautes fonctions du pays et circulent en toute impunité », déplore-t-il.

« Je n’ai pas le temps de fouiner dans le passé » : prime à l’impunité ?

Revenant sur la position du successeur de Joseph Kabila, qui a soutenu récemment ne pas vouloir fouiner dans le passé, Jonas Tshiombela n’oublie pas que le Président de la République s’était engagé, depuis son investiture, à lutter contre la corruption et l’instauration d’un État de droit: « Comment peut-il lutter contre tous les fléaux décriés dans notre pays si il n’y a aucune volonté politique d’accompagner ce processus là ? », s’interroge-t-il « même si nous avons le principe de la séparation des pouvoirs ».

« Nous proposons qu’on puisse mettre en place une Commission Vérité et Reconciliation. Nous suggérons même que soit nommé un Médiateur de la République. Nous avons vu cela en Afrique du Sud et même au Burkina Faso. Sa mission serait de voir dans quelles mesures il est possible d’apporter réparation à toutes ces violations des droits de l’homme. Nous devons absolument chercher à savoir comment faire pour que les bourreaux et les victimes puissent s’entendre. Nous devons chercher à voir comment faire pour que ce genre des réalités ne se reproduisent plus dans notre société »
, explique Jonas Tshiombela.

« Il faut relancer les discussions sur les chambres mixtes, accélérer la reforme de la justice congolaise, mettre les magistrats congolais à l’abri de la corruption. Il faut une impulsion politique forte pour que la justice s’occupe de ces cas là contenu dans le Mapping report pour qu’il ne reste pas dans les oubliettes », suggère Juvenal Munubo.

Quel rôle du Parlement pour obtenir réparation des victimes congolaises?

Par rapport aux réparations, estime-t-il, « il y a moyen d’initier le contrôle parlementaire. Il faut interroger le Ministre de la Justice par exemple, ou son collègue des affaires étrangères pour savoir où en sommes-nous avec la condamnation de l’Ouganda ».

Une autre piste est de recourir au moyen législatif. « Nous devons savoir où on peut toucher dans l’arsenal juridique de notre pays pour insérer la possibilité des chambres mixtes. Personnellement, je suis favorable à cette approche car elle permet au magistrat congolais de bénéficier d’un renforcement des capacités ou d’un appui. J’estime que ces cas ne doivent pas être impunis. Si notre pays n’est pas en mesure d’obtenir la création des chambres mixtes, nous pouvons relancer au niveau des Nations-Unies et demander, via notre représentation diplomatique à New York, la création d’un Tribunal pénal international sur le Congo », a-t-il proposé.

Alain Tshibanda 

By TopCongo FM 88.4 La Frequence Utile  2, Octobre, 2019

 

RDC-Justice : Président Félix Antoine Tshisekedi et Dr Mukwege, des avis divergents.

La transparence et le respect des lois sont deux piliers de la bonne gouvernance dans un Etat de droit. La justice en RDC à l’instar d’autres secteurs de la vie souffre de nombreuses irrégularités. Tenez, plus de 10 ans après la promulgation de la Constitution de la 3ème République, la justice accuse nombreuses incohérences.

Dans son discours d’investiture, le Président de la République s’est exprimé en ces termes au sujet de la justice : « Nous appelons les détenteurs de l’autorité, à tous les échelons de notre pays, au respect strict et infaillible des droits des personnes et de leurs biens conformément à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, en leur demandant de réaliser leur mission dans le cadre légal. Dans ce contexte, le Gouvernement initiera une campagne de sensibilisation de tous les agents de l’Etat sur leurs responsabilités vis-à-vis de nos populations.

Ainsi, le Ministre de la Justice sera chargé de recenser tous les prisonniers politiques, d’opinion ou assimilés sur l’ensemble du territoire national en vue de leur prochaine libération. Sous notre mandat, nous veillerons à garantir à chaque citoyen le respect de l’exercice de ses droits fondamentaux. Nous nous engageons à bannir toutes formes de discriminations…Renforcer les moyens de nos provinces pourra garantir l’accès du citoyen à une justice équitable et de proximité. Notre pays compte un magistrat pour environ 26.000 habitants. Ce déficit fragilise l’équité et l’efficacité de la justice de notre pays tout en légitimant la défiance des citoyens congolais.

Les actes de procédures judiciaires sont parfois rendus en contrepartie de divers paiements pour certains, en dehors de toutes règles établies. La grande majorité des justiciables est désemparée. Un cadre juridique efficace permet de renforcer en premier lieu la lutte contre la corruption, fléau qui dévaste notre pays, ses institutions et ne protègent pas les créateurs de richesse ». (Extrait du discours de Félix Tshisekedi, 24 janvier 2019).

Partant de ce passage consacré à la justice, on ne voit nulle part le Président de la République évoquer les crimes contre l’humanité commis en RDC, encore moins la mise sur pied d’un Tribunal pénal international pour la RDC comme ne cesse de le réclamer le Prix Nobel de la Paix 2018. En reprenant le discours prononcé par Dr Mukwege lors du biennal de Luanda, on se rend compte que les deux personnalités sont loin de rapprocher leurs thèses.  Cet extrait du Professeur Mukwege se passe de tout commentaire : « Depuis les années 90, les cycles de violence en RDC ont entrainé plus 6 millions de morts, provoqué le déplacement de 4 millions de personnes et occasionné le viol de centaines de milliers de femmes et de jeunes filles, parfois même des bébés.
La paix ne se construit pas sur des fosses communes. Nous sommes convaincus qu’il n’y aura pas de paix durable sans justice, et nous appelons les chefs d’Etats ici présents, l’Union Africaine, les Nations Unies et la société civile à soutenir la mise en œuvre des recommandations du Rapport Mapping du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les droits de l’Homme sur les graves violations des droits humains et du droit international humanitaire commises entre 1993 et 2003 en RDC, publié il y a presque 10 ans.
Ce rapport est une cartographie de 617 crimes internationaux et appelle au recours à des mécanismes de la justice transitionnelle, tels que l’établissement d’un tribunal pénal international ou de chambres spécialisées mixtes, une commission de la vérité, des programmes de réparation et des garanties de non-répétition.
En nous soutenant sur ce chemin, vous répondrez non seulement à la soif de vérité et de justice des Congolais, mais vous contribuerez aussi à réaffirmer les valeurs africaines de solidarité et de fraternité et à consolider la paix et la stabilité au cœur de notre grand continent, qui continue de saigner tous les jours ».

Ces deux extraits de discours prouvent à suffisance que nous sommes là, en face d’un politique d’une part et d’un défenseur de droits humains d’autre part. Ceci étant, malgré leur divergence de vues, les deux acteurs peuvent arriver à se compléter.

Une analyse de Bernardin SEBAHIRE
Expert Médias
Chercheur au CERPRU/ISDR