Officiellement en Côte d’Ivoire, la rentrée des classes a lieu lundi 9 septembre pour tous les élèves. Mais Doumbia Tirangué, directrice des maternelles de l’école publique de Gonzagueville, en périphérie d’Abidjan, ne se fait pas d’illusions. « Ici, les parents s’occupent d’abord des plus grands – lycéens, collégiens, primaires – avant d’acheter les fournitures pour les plus petits et de les inscrire en maternelle. Nous ne serons au complet qu’à la fin du mois », estime-t-elle, fataliste. Vingt noms seulement sont notés sur son cahier.

Derniers inscrits peut-être, mais les tout-petits seront les premiers de « Gonzague » à faire leur rentrée dans une école aussi moderne qu’originale : les trois salles de classe pour les petites, moyennes et grandes sections sont construites en briques de plastique recyclé. Le matériau gris est décrit comme résistant aux aléas climatiques, plus facile d’utilisation que les parpaings traditionnels, les fines briques s’emboîtant comme des Lego, ce qui permettrait aux écoles d’être plus solides et bâties en un petit mois seulement.

Cette technologie a été inventée par Oscar Mendez et Cristina Gamez. Le couple colombien a créé son entreprise sociale, Conceptos Plasticos, en 2014 pour faire connaître et vendre ces briques constituées à 100 % des plastiques récupérés dans les zones polluées du pays sud-américain. Désireux d’exporter leur savoir-faire pour la première fois, l’architecte et l’ingénieure de Bogota vont s’installer en Côte d’Ivoire à la mi-septembre pour s’ouvrir au marché ouest-africain.

Surpopulation scolaire

Si la Colombie utilise essentiellement ces briques pour les habitations, la Côte d’Ivoire compte d’abord s’en servir pour ses écoles. « Il y a un manque criant de salles de classe dans le pays, souligne Sophie Chavanel, responsable de la communication au bureau Unicef d’Abidjan, à l’origine du partenariat avec l’entreprise colombienne. Selon le gouvernement, d’ici à 2021, le pays aura besoin de 15 000 salles supplémentaires et d’ici à 2025, ce sont 30 000 salles qu’il faudrait construire pour que tous les enfants aillent à l’école. » L’objectif des deux partenaires est d’inaugurer un peu plus de 500 salles de classe de ce type pour environ 25 000 élèves d’ici à la fin 2020. « Le plastique, explique Sophie Chavanel, on ne peut jamais s’en débarrasser, alors, autant l’utiliser pour ses propriétés principales. »

Alors que certains villages ivoiriens du nord-ouest n’ont tout simplement pas d’équipement scolaire, d’autres n’ont pas les bons matériaux. Avec le temps, les salles faites de bambous, de bâches et de terre ne sont pas assez solides, s’abîment vite puis s’écroulent durant la saison des pluies. Les briques en plastique, elles, sont conçues pour durer et seraient plus en phase avec les réalités du pays. « A cause de la brise de mer ici, nous avons des difficultés, rappelle Setienissio Soro, ancien directeur d’école venu inscrire sa fille Gwénalou. Quand les gens mettent les poteaux en fer, ça rouille, les bâtiments en ciment tombent, il y a des fissures, ça nous fatigue. »

Ce n’est pas un hasard si ce quartier côtier est, avec trois autres villes ivoiriennes (Divo, Toumodi et Sakassou), l’un des premiers ciblés par le projet. L’école fait face à une surpopulation scolaire liée à la croissance démographique de la capitale économique. « Après la crise des années 2000, les Ivoiriens ont quitté les quartiers précaires, les coins dangereux et ceux menacés par les inondations, puis ils sont venus ici, à l’écart, où il y avait de l’espace pour construire », rappelle Doumbia Tiranguié. A tel point que, en 2018, plus de 200 élèves de maternelle s’agglutinaient dans chacune des trois sombres et étouffantes salles de classe, grandes d’à peine 12 m2. La situation était si invivable que les cours étaient très souvent donnés dehors, dans la cour de récréation.

Pour l’heure, les écoles sont construites à l’aide de briques importées de Colombie. Une usine de transformation du plastique est en construction dans le centre industriel de Yopougon à Abidjan, et sera sur pied « d’ici à la fin de l’année », assure l’Unicef. Une fois le matériau produit sur place, le coût d’une salle pour 50 élèves devrait tomber à 10 000 euros en utilisant 5 tonnes de déchets recyclés, contre 15 000 euros avec les matériaux habituels. Opérationnelle, l’usine emploiera 30 ouvriers et, indirectement, des centaines de collectrices.

Faire grandir l’économie circulaire

Depuis déjà plusieurs années, de nombreuses femmes, parfois équipées de simples sacs-poubelles, font le tour d’Abidjan pour collecter toutes sortes de plastiques et de déchets. Namizata Cissé, 30 ans, ramasse « récipients, sachets, bouteilles » six jours par semaine depuis huit ans dans le quartier particulièrement propre d’Abobo-Baoulé. Là-bas, elle travaille auprès de dizaines d’autres femmes, équipée d’immenses sacs rassemblant les plastiques par catégories. Après la collecte et le tri, elle vend ses ballots 150 francs CFA le kilo (0,23 euro) à des intermédiaires, majoritairement des hommes, chargés de les acheminer jusqu’aux usines et entreprises qui les réutilisent ou les recyclent.

Mais ce travail très précaire ne rapporte qu’entre « 40 000 et 50 000 francs CFA par mois » (entre 60 et 75 euros) à Mme Cissé, soit un peu moins du salaire minimum ivoirien établi à 60 000 francs CFA. « Avec mes trois enfants, ça ne me suffit pas », confie-t-elle. A l’usine, ces femmes seront donc formées au lavage et au déchiquetage des plastiques afin de supprimer les intermédiaires et de mieux gagner leur vie. A Bogota, le salaire des collectrices est ainsi passé de 5-10 dollars par jour à 20-25 dollars. Pour commencer, 1 000 collectrices ivoiriennes dont Namizata Cissé bénéficieront de cette formation, l’idée étant, à terme, de faire grandir cette économie circulaire du plastique dans tout le pays. Et des points de collecte seront créés pour centraliser les déchets. A Bogota, 15 000 personnes y prennent part aujourd’hui.

Namizata Cissé est collectrice de déchets plastique à Abidjan : elle trie et revend ses ballots à des intermédiaires qui les acheminent dans les usines de transformation.
Namizata Cissé est collectrice de déchets plastique à Abidjan : elle trie et revend ses ballots à des intermédiaires qui les acheminent dans les usines de transformation. Youenn Gourlay

Cette pratique innovante vise aussi à assainir un peu le pays. Rien qu’à Abidjan, 288 tonnes de déchets s’accumulent chaque mois selon l’Unicef. Une pollution qui menace notamment la santé des enfants de moins de 5 ans. « Les sachets, les bouteilles bloquent les caniveaux, créent des espaces d’eaux stagnantes, attirent les moustiques et entraînent des cas de paludisme, s’alarme Sophie Chavanel. Certains enfants boivent ces eaux et développent des diarrhées. »

En fin de journée à Gonzagueville, Janette Adjoua Kona vient à son tour inscrire sa petite-fille. « Je me pose des questions : c’est joli et ça semble costaud, mais est-ce que ça peut résister aux flammes ? », s’interroge-t-elle. Les agents de l’Unicef sur le terrain assurent que des tests indépendants ont montré que le matériau ne pouvait en aucun cas mettre en danger la santé des enfants. Pas de risque d’incendie ou de propagation de gaz toxiques. Mais la grand-mère d’ajouter : « C’est sûr qu’on ne pourra pas vivre sans le plastique, sans les sachets, sans les seaux, c’est trop important pour nous au quotidien. Et trouver une solution pour le réutiliser, c’est génial, mais il ne faut pas que ça nous crée d’autres problèmes. »

Photo : Doumbia Tirangué, directrice des maternelles à Gonzagueville, l’une des premières écoles ivoiriennes à bénéficier des salles en plastique recyclé, accueille les premiers inscrits, le 9 septembre 2019.

SOURCE : le groupe WhatsApp Le Monde Afrique    

 

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