Le terme générique « acteurs/trices citoyen.ne.s » ou encore « e-citoyen.ne.s » désigne l’ensemble des personnes exploitant les possibilités des outils et services numériques pour renforcer et approfondir les pratiques démocratiques en favorisant la participation, la transparence et la redevabilité.

Ces acteurs peuvent être journalistes, blogueurs, membres d’OSC (Organisations de la Société Civile), développeurs informatique, etc. En faites-vous partie ?

Le rapport « Citoyenneté numérique : ce que l’Afrique prépare » que nous vous avons déjà présenté, essaye de dresser le profil des activistes du numérique.  Dans le cadre de cette étude, les auteurs ont identifié près de 200 acteurs citoyens dans les sept pays africains concernés, dont la RDC. Parmi eux, 75 ont répondu à un sondage en ligne et  40 ont été rencontrés pour des entretiens approfondis (environ une heure). Synthèse de cette enquête.

Génération « action citoyenne »

Les premiers acteurs citoyens engagés sur le terrain numérique sont apparus il y a une dizaine d’années en Afrique francophone. Les plus anciens ont fait leurs premiers pas en ligne (souvent en ouvrant des blogs) entre 2005 et 2010. C’est à cette époque que le lycéen sénégalais Cheikh Fall commence à mettre ses cours en ligne pour partager ce qu’il apprend avec ses pairs qui sont encore rares sur l’internet à cette époque.

A l’orée de la décennie 2010, le mouvement des printemps arabes donne le signal, en Afrique subsaharienne, qu’une action est possible via l’internet et les réseaux sociaux dont l’audience ne cesse de croître. Les pionniers, qui ont fait leurs armes et forgé leurs outils numériques au cours des années précédentes, se retrouvent alors en première ligne dans les actions citoyennes. Le Sénégal ouvre la voie avec le mouvement #Sunu2012 (mobilisation à l’occasion de l’élection présidentielle de 2012 pour la surveillance citoyenne de la régularité des opérations de vote). Dans chaque pays, une avant-garde de pionniers de l’internet et des réseaux sociaux apparaît et s’engage dans l’action citoyenne. Des jeunes (surtout des hommes) qui viennent du journalisme, des ingénieurs, des informaticiens ou des spécialistes des sciences sociales composent ce groupe de « vétérans » aujourd’hui rejoint par une nouvelle génération qui ne se souvient pas qu’un monde sans l’internet a bel et bien existé

Des acteurs citoyens bien formés qui deviennent formateurs

En parcourant les communautés engagées dans l’action citoyenne en ligne et en rencontrant les animateurs de ces mobilisations, c’est d’abord leur niveau de formation initiale qui frappe. La plupart des acteurs ont suivi des études universitaires souvent assez poussées (bac + 5 et au-delà).

      Niveau d’études initial des acteurs citoyens 

Réponses des 75 acteurs citoyens interrogés en ligne en juin 2016

Au Bénin, deux des jeunes acteurs citoyens les plus actifs (Maurice Thantan et Mylène Flicka) sont issus de l’École nationale d’administration. C’est une frustration face au peu d’impact que leur action aurait pu avoir dans l’administration qui les a conduits à choisir d’autres voies, comme le raconte Mylène Flicka : « J’ai éprouvé beaucoup de déception après mon diplôme de l’École nationale d’administration. En allant faire un stage au ministère des Affaires étrangères du Bénin, j’ai eu la plus grande désillusion de ma vie en raison de la lenteur administrative, des méthodes employées et toute cette panoplie des petites erreurs dans l’administration qui m’a beaucoup énervée. C’est ce qui m’a conduit sur l’internet pour montrer que des gens font des choses bien au Bénin. »

Les activistes citoyens recensés dans le cadre de ce rapport (et qui ont répondu au sondage en ligne lancé par les auteurs) ont fait leurs études dans différents domaines : journalisme, communication, informatique, commerce.

Motivé.e.s

Les acteurs citoyens que nous avons rencontrés nous ont souvent parlé d’une mission dont ils se sentaient investis. Leur engagement doit peu au hasard mais plutôt à la rencontre d’une opportunité technologique et d’une conviction profonde. Et les motivations qui sous-tendent l’engagement des acteurs citoyens sont de plusieurs ordres. Pour l’ingénieur réseau (sa formation initiale) ivoirien Cyriac Gbogou , c’est une motivation de journaliste citoyen qui impulse, au début, le lancement de son blog : « Je sentais une insatisfaction parce qu’il y a des informations dont tout le monde est plus ou moins informé mais dont les médias ne parlent pas. Je trouvais ça anormal. Par exemple, quand j’étais jeune, il y avait des grèves et des personnes qui ont été tuées ou emprisonnées. Même chose à l’université où les étudiants avaient reçu la visite nocturne des forces de l’ordre, ça a été passé sous silence dans les médias, mais, avec internet, nous avions pu voir et comprendre ce qui se passait réellement avec des photos et des vidéos à l’appui. Voici pour moi, le sens d’être un vrai citoyen, celui qui partage l’information qu’il a vécue. »

Disposant d’une solide formation initiale, l’objectif affiché par de nombreux activistes est de contribuer à la formation de leurs pairs. Pour Joël Nlepe  au Cameroun, il s’agit « d’ouvrir les yeux aux gens, pour dire “voilà ce qui se passe en ce qui concerne la marche du monde”

Au Sénégal, Alexandre Gubert Lette , journaliste, blogueur et fondateur de l’espace de coworking Rufisque Tech Hub motive son engagement par sa volonté de faire entendre sa voix dans son pays, mais aussi au-delà. « Mon engagement en ligne découle d’une forte envie de parler, de m’exprimer et d’une forte envie de casser les stéréotypes qu’on colle sur le dos de ce continent qu’est l’Afrique. Du coup, l’internet a été une brèche pour moi pour pouvoir exprimer tout ce que je pense de l’évolution du monde, tout ce que je peux apporter dans le concert des nations. »

Pour beaucoup des activistes rencontrés, notamment les plus âgés, la question de la formation de leurs pairs est centrale. Partager son savoir et ses compétences, fait partie du comportement de l’activiste numérique. Au Sénégal, avec l’incubateur Jiggen Tech, Awa Gueye, diffuse le savoir auprès des femmes : « Ces femmes ont plusieurs profils, mais le point commun c’est que tout ce qu’elles font se rapporte à la technologie, il faut leur donner l’envie de coder, de créer des applications, par exemple. Avec l’incubateur Jiggen Tech, on fait des formations un peu partout dans des écoles avec les plus jeunes, dès le lycée, pour les former au codage, à l’algorithme, tout ce qui se rapporte à l’informatique en gros, ce qui permet à ces jeunes filles, après le lycée, d’avoir envie de se lancer dans une formation scientifique. » La capitalisation sur l’expérience reste l’un des meilleurs moyens de transmission du savoir-faire. C’est le cas au Sénégal où une partie des activistes engagés dans l’opération #Sunu2012 (surveillance du processus électoral) sont parvenus à prolonger leur action à travers #SunuCause (« sensibiliser les internautes à des problèmes de société et récolter des fonds grâce à des appels lancés sur Facebook et Twitter  ») puis #SenStopEbola (« mener des campagnes de prévention auprès des populations.