Le Journal Officiel (JO) de la RDC vient ENFIN de publier en date du 14 mars 2018 le Protocole a la Charte Africaine des Droits de l’homme et des Peuples relatif aux Droits de la Femme en Afrique (appelé fréquemment « Protocole de Maputo ») qui est le principal instrument juridique de protection des droits des femmes et des filles.Pourquoi ENFIN ? Parce que ce protocole a été adopté le 11 juillet 2003 par l’Union africaine et qu’il a fait l’objet d’une Loi N° 06/015 du 12 juin 2006autorisant l’adhésion de la RDC à ce protocole et d’un Acte d’adhésion à ce même protocole signé par le Président J. Kabila Kabange (textes publiés également au JO). Il a donc fallu attendre plus de 10 ans pour voir ce Protocole publié ENFIN au JO.

Pourquoi la publication au JO est-elle importante ?

Parce qu’il existe depuis longtemps une controverse sur le moment de l’entrée en vigueur d’une loi. Certains juristes invoquent l’article 142 de la Constitution qui stipule : « La loi entre en vigueur trente jours après sa publication au journal officiel à moins qu’elle n’en dispose autrement ». Ils en déduisent que « l’application des traités ratifiés dans les Cours et tribunaux congolais est facteur de leur publication au journal officiel »Donc pas de publication au JO = pas d’entrée en vigueur ! D’autres juristes plus audacieux considèrent que si l’absence de publication est utilisée comme une mesure dilatoire avec la volonté d’ empêcher l’entrée en vigueur de la loi adoptée (et dans ce cas du protocole), elle ne doit pas bloquer indéfiniment l’entrée en vigueur d’une loi votée par le Parlement. Un peu comme lorsque le Président de la République ne promulgue pas la loi votée dans les 15 jours de sa transmission, l’article 140 prévoit que « A défaut de promulgation de la loi par le Président de la République dans les délais constitutionnels, la promulgation est de droit ».

En ce qui concerne le Protocole de Maputo, cette controverse n’a plus lieu d’être puisque la loi d’adhésion et le protocole ont été tous deux publiés au JO et que le protocole de Maputo est aujourd’hui bel et bien entré en vigueur.

L’Article 215 de la Constitution du 18 Février 2006 dispose : « Les traités et accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie ». Cela signifie en clair que la R.D.C appartient au système moniste et que par conséquent tous les instruments juridiques internationaux et régionaux adoptés dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies et de l’Union Africaine, dûment ratifiés par la R.D.C font partie intégrante de l’ordonnancement juridique interne.

ETAT DES RATIFICATIONS DU PROTOCOLE

Pourquoi l’entrée en vigueur du Protocole de Maputo est-elle importante ?

Parce que le Protocole est, en Afrique, le principal instrument juridique de protection des droits femmes et des filles comme on le comprendra aisément en lisant l’article Protocole de Maputo : Changer la situation de marginalisation et d’infériorisation des femmes  qui explique comment le protocole combat l’infériorisation, la marginalisation de la femme et la négation de ses droits et garantit la promotion, la réalisation et la protection des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des femmes ainsi que de ses droits sexuels et reproductifs.

De plus, la Constitution congolaise prévoit à son article 215 que « Les traités et accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois… ». Selon le Rapport périodique de la RDC relatif au Protocole de Maputo : « Cela signifie en clair que la R.D.C appartient au système moniste et que par conséquent tous les instruments juridiques internationaux et régionaux adoptés dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies et de l’Union Africaine, dument ratifiés par la R.D.C font partie intégrante de l’ordonnancement juridique interne ».De plus, la Constitution leur confère une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque Traité ou Accord de son application par l’autre partie

La question de l’applicabilité

Le protocole de Maputo, aujourd’hui publié, ceci entraine donc de multiples conséquences, entre autres en matière d’applicabilité directe de ce texte. « Applicabilité directe » signifie qu’«est directement applicable la règle de droit international qui, sans requérir aucune mesure interne d’exé­cution, peut être appliquée dans l’Etat où cette règle est en vigueur » (Joe Verhoeven). Ainsi est en cause la possibilité pour un juge national d’ « appliquer » la règle internationale, c’est-à-dire d’emprunter à son dispositif la solution du litige dont il est saisi, On peut donc envisager aujourd’hui, par exemple, qu’un juge congolais fasse application directe de l’article 21 « Droit de succession » : 1. La veuve a le droit à une part équitable dans l’héritage des biens de son conjoint. La veuve a le droit, quel que soit le régime matrimonial, de continuer d’habiter dans le domicile conjugal. En cas de remariage, elle conserve ce droit si le domicile lui appartient en propre ou lui a été dévolu en héritage.                      2. Tout comme les hommes, les femmes ont le droit d’hériter des biens de leurs parents, en parts équitables. »

Dans la question de l’applicabilité dite « directe », l’on entend par « direct » le fait que la règle internationale, dans ce cas la règle concernant la succession, puisse être appliquée alors même que les autorités nationales congolaises n’ont adopté aucune mesure particulière d’exécution.

Toutefois, d’autres articles du protocole ne sont pas « self executing » mais nécessitent des mesures d’exécution.

Par « mesure d’exécution », il y a lieu d’entendre des interventions lé­gislatives, réglementaires ou administratives destinées à donner concrètement effet à la règle internationale et non des interventions dont le seul objet est d’ « introduire » celle-ci dans l’ordre interne de l’autorité saisie, conformément aux exigences propres de son droit constitutionnel.(Joe Verhoeven).

Ainsi plusieurs articles du protocole débutent par des formules comme : « Les Etats s’engagent à prendre des mesures appropriées et effectives pour ... », « Les États s’engagent à adopter les dispositions législatives appropriées pour … », etc. Il ne peut s’agir de vœux pieux jamais réalisés maisbien d’engagements clairs et précis qui doivent se traduire en mesures d’exécution concrètes sous la forme d’ interventions lé­gislatives, réglementaires ou administratives.

Prenons seulement deux exemples dans des domaines où l’État Congolais n’a pris jusqu’à présent aucune des mesures d’exécution qu’il aurait déjà pu prendre.

1er exemple : Le Droit de participation au processus politique et à la prise de décisions (Article 9)

« 1. Les États entreprennent des actions positives spécifiques pour promouvoir la gouvernance participative et la participation paritaire des femmes dans la vie politique de leurs pays, à travers une action affirmative et une législation nationale et d’autres mesures de nature à garantir que :

a)  les femmes participent à toutes les élections sans aucune discrimination;

b)  les femmes soient représentées en parité avec les hommes et à tous les niveaux, dans les processus électoraux;

c)  les femmes soient des partenaires égales des hommes à tous les niveaux de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques et des programmes de développement de l’État.

2. Les États assurent une représentation et une participation accrues, significatives et efficaces des femmes à tous les niveaux de la prise des décisions. »

Le Protocole demande donc à chaque État partie d’entreprendre des « actions positives spécifiques » appelées aussi parfois « mesures de discrimination positive » . 

Or, la RDC est un des pays de l’Afrique centrale qui s’obstinent, contrairement à la plupart de ses voisins, à n’entreprendre aucune de ces actions positives spécifiques, comme par exemple l’imposition de quotas de femmes. Pire, la Cour Suprême de justice a déclaré contraire à la Constitution plusieurs articles de la « Loi sur la parité » qui introduisaient justement ces quotas de femmes ! Conséquence absurde : la Loi n° 15/013 du 1eraoût 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité définit ce qu’est la discrimination positive mais ne contient elle-même aucune mesure de discrimination positive ou action positive spécifique !

2ème exemple : Le Droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction (Article 14) y compris la dépénalisation partielle de l’avortement.

« 1. Les États assurent le respect et la promotion des droits de la femme à la santé, y compris la santé sexuelle et reproductive. Ces droits comprennent :

a)  le droit d’exercer un contrôle sur leur fécondité;

b)  le droit de décider de leur maternité, du nombre d’enfants et de l’espacement des naissances ;

c)  le libre choix des méthodes de contraception ;

d)  le droit de se protéger et d’être protégées contre les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA ;

e)  le droit d’être informées de leur état de santé et de l’état de santé de leur partenaire, en particulier en cas d’infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH/SIDA, conformément aux normes et aux pratiques internationalement reconnues ;

f)  le droit à l’éducation sur la planification familiale.

2. Les États prennent toutes les mesures appropriées pour :

a)  assurer l’accès des femmes aux services de santé adéquats, à des coûts abordables et à des distances raisonnables, y compris les programmes d’information, d’éducation et de communication pour les femmes, en particulier celles vivant en milieu rural ;

b)  fournir aux femmes des services pré et postnatals et nutritionnels pendant la grossesse et la période d’allaitement et améliorer les services existants ;

c)  protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé, en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère ou du fœtus. »

Il est important de relever que le Protocole de Maputo est le tout premier traité, ratifié par la RDC, à reconnaître l’avortement, dans certaines conditions, comme un droit humain des femmes, dont elles devraient jouir, sans restrictions ni crainte de poursuites judiciaires. (Observations générales N°2). Le droit à l’avortement médicalisé dans ces cas limitativement énumérés, se trouve expressément consacré, par un instrument international juridiquement contraignant.

L’État congolais s’est donc engagé non seulement à respecter et promouvoir les droits sexuels et reproductifs des femmes (le droit pour elles d’exercer un contrôle sur leur fécondité ; le droit de décider de leur maternité ; du nombre d’enfants et de l’espacement des naissances; le droit de choisir librement une méthode de contraception ainsi que le droit a l’éducation sur la planification familiale) mais aussi à autoriser l’avortement médicalisé dans les cas limitatifs évoqués ci-dessus.

Cet engagement (pris il y a une douzaine d’années!) implique évidemment de modifier le Code pénal congolais en ses articles 165 et 166 sur l’avortement pour au minimum le décriminaliser dans les cas cités par le Protocole de Maputo. Comme le précise les Observations générales (publiées aussi au JO) : « Les États parties doivent assurer un environnement juridique et social favorable à l’exercice, par les femmes de leurs droits sexuels et reproductifs. Ceci implique la relecture des lois restrictives, et si nécessaires, des politiques et procédures administratives relatives à la planification familiale / contraception et à l’avortement médicalisé dans les cas prévus au Protocole, ainsi que l’intégration des dispositions dudit instrument juridique dans le droit interne. »

En attendant, un juge congolais qui serait confronté à une femme qui se sera fait avorter en étant dans un de ces cas ou qui serait confronté à celui qui l’aura fait avorter, ne pourrait-il pas, dès à présent, les acquitter, en faisant application directe de l’article 14 §2 (c). du protocole sur les droits de la femme en Afrique ?

Nous attendons avec impatience de voir une telle affaire venir devant un tribunal congolais.

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Auteur : Prof. Luc Henkinbrant  /  luc.henkinbrant@gmail.com