Elles sont les nouvelles « Kandaka », du nom des souveraines nubiennes qui régnaient avant l’ère chrétienne. Depuis le début des rassemblements contre le régime soudanais, les femmes sont majoritaires dans les cortèges. Drapée de blanc, arborant aux oreilles des boucles traditionnelles dorées, l’une d’elle est même devenue, par le biais des réseaux sociaux, le symbole de ce soulèvement .

Juchée sur une estrade improvisée, sur le toit d’une voiture, toute vêtue de blanc, une jeune femme chante et harangue la foule. Cette photo a été prise lundi 8 avril sur la place située devant le quartier général militaire de Khartoum. Le cliché posté sur Twitter par une manifestante, Lana H. Haroun, ainsi qu’une courte vidéo sont très vite devenues virales. La seule photo a enregistré plus de 50 000 j’aime en quelques heures.

Regardez la vidéo en cliquant ICI ou sur la photo.

Selon plusieurs médias arabophones, cette jeune femme s’appelle Alaa Salah. Agée de 22 ans, elle étudie l’architecture à l’université de Khartoum. Quant à la chanson qu’elle interprète, elle s’intitule Thawra, c’est-à-dire révolution. « La balle ne tue pas, ce qui tue c’est le silence de l’homme « , chante la jeune manifestante, avant de répéter :  « Ma bien-aimée est une Kandaka « .

Le président soudanais Omar el Béchir, au pouvoir depuis 1989, a démissionné après plus de trois mois de manifestations contre son pouvoir, et des consultations sont en cours pour former un conseil de transition, a-t-on appris jeudi 11 avril auprès de plusieurs sources gouvernementales à Khartoum et d’un ministre d’un gouvernement provincial.

Les Soudanaises au 1er rang des manifestations

Depuis la mi-décembre, des centaines de milliers de Soudanais.e.s se rassemblent pacifiquement pour dire leur colère contre le président Omar el-Béchir, ainsi que leur envie de « dégagisme » et de démocratie. Impossible de ne pas les voir, ces femmes, car elles sont de toute évidence majoritaires.

Selon la BBC, elles représentent jusqu’à 70 % des manifestants. Ce qui en fait, depuis le début de la contestation, une cible privilégiée pour les policiers qui n’hésitent pas à les brutaliser, à les arrêter, voire à les menacer de viol lors des rassemblements. Pour se protéger, de manifestantes ont décidé de prendre les policiers en photo et de les poster sur internet pour les identifier. « Certaines s’engagent même physiquement dans les affrontements avec les forces de l’ordre », précise Jeune Afrique.

Elles sont aussi les premières à prendre le micro pour clamer haut et fort leurs revendications : le départ du « raïs soudanais », mais aussi un profond changement de société concernant les droits des femmes, plus que mis à mal depuis l’instauration de la charia en 1989, après le coup d’état d’Omar el-Béchir. Au cours de la seule année 2016, près de 15 000 femmes ont été fouettées pour un voile mal ajusté, une balade avec un homme ou un soupçon d’adultère. Pour avoir porté un pantalon, la journaliste Loubna Ahmed Al-Hussein avait été condamnée, en 2009, aux quarante coups de fouets qu’impose la charia ; elle avait échappé de peu à la sanction grâce à une mobilisation internationale.

Regardez le reportage complet de Terriennes / TV5 Monde en Cliquant ICI.  

 

 

 

Lire notre article ► Au Soudan, jupe ou pantalon, même sanction

Comme nous l’apprend dans un reportage du quotidien Le Monde, un professeur d’université, les femmes ne sont pas seulement les plus nombreuses dans les manifestations, elles le sont aussi sur le campus : « Au total, il y a 76 % de filles. Elles sont majoritaires presque partout, même en médecine, en architecture, en agriculture. Elles sont plus éduquées que les hommes et leur place est, à l’inverse, plus petite. Il est évident que c’est intolérable ! »

Dignes héritières des « Kandaka »

Les femmes que l’on voit aujourd’hui au coeur des manifestations sont de toutes générations. Elles s’imposent comme les dignes héritières des reines nubiennes baptisées Kandakas, qui régnaient voici des millénaires sur le royaume du Koush, qui s’étendait du nord du Soudan au sud de l’Egypte, lors de l’Ancien Empire égyptien .

Ces reines noires ou candaces (sœurs), ont régné durant sept siècles, à partir du IIIesiècle av. J-C. Au centre de la famille, les femmes possédaient les biens et choisissaient leur époux. Les historiens ont également baptisé ce régime de « matriarcat nubien ». Candace – kandakè en grec – proviendrait du titre porté par les reines mères de Méroé, qui jouaient un rôle politique déterminant dans un État où la succession au trône était matrilinéaire. La première Candace a dirigé une armée dont les guerriers montaient des éléphants. Elle a stoppé l’invasion d’Alexandre Le Grand en Éthiopie. D’autres reines guerrières ont ensuite durement résisté face à l’invasion romaine. The Washington Post rapporte les propos d’Hala Al-Karib, une militante soudanaise pour les droits des femmes. Pour elle, l’une des sources d’inspiration de l’étudiante en blanc pourrait être « Mihera bint Abboud, une poétesse et guerrière qui a mené les hommes au combat contre l’invasion turco-égyptienne du début du XIXème siècle ».  

Plus récemment, d’autres femmes combattantes soudanaises se sont illustrées dans l’Histoire du pays. Comme le précise le même article du journal Le Monde (cité plus haut)leur tenue immaculée rappelle « les grands mouvements populaires qui ont contribué à jeter à bas deux régimes militaires, en 1964 et 1985, au Soudan » .
Dans un fil de conversation sur Twitter, une internaute explique que cette tenue blanche véhicule tout un lot de symboles : la robe de coton est l’habit porté par les travailleuses au Soudan, les boucles d’oreilles dorées, appelées fedaya, sont aussi des bijoux traditionnels du pays, et les lignes noires peintes sur la joue rappellent les marques ancestrales arborées jadis au Soudan.
« Je suis presque certaine que ce sera l’image de la révolution », estime Hind Makki, une éducatrice américano-soudanaise interrogée par le New York Times. « Qu’est-ce qui rend cette image si puissante ? », s’interroge la journaliste qui signe l’article, Vanessa Friedman. Peut-être parce que cette jeune femme se tient debout, drapée dans un tissu, le bras tendu vers le ciel et l’index dressé, une image qui en rappelle terriblement une autre, celle d’une statue, brandissant une torche de le ciel newyorkais, symbole du combat universel pour la liberté…

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SOURCE DE L’ARTICLE : Soudan : une femme en blanc, icône de la révolte ©TV5monde/SophieRoussi 11 AVR 2019 par Isabelle Mourgere Terriennes