En revanche, pour que des femmes puissent accéder au diaconat (qui est le premier degré du sacrement de l’ordre, le deuxième étant la prêtrise et le troisième l’épiscopat), comme l’ont réclamé de nombreux Amazoniens lors des consultations préparatoires, il faudra sans doute encore attendre longtemps : les évêques se sont limités à renvoyer aux travaux d’une commission ad hoc qui, jusqu’à présent, est restée paralysée par ses divisions.
En attendant, ils proposent de créer une fonction officielle – un « ministère » – de « la femme leader de la communauté », une reconnaissance institutionnelle du fait que plus de la moitié des communautés catholiques amazoniennes sont prises en charge par les femmes.
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Les quelque 180 évêques et religieux, majoritairement issus des neufs pays d’Amérique du Sud concernés par l’Amazonie, qui avaient le droit de vote à ce synode (aucune des 35 femmes participantes ne l’avait) ont adopté, article par article, un document final qui comporte ces propositions, après trois semaines de délibérations à huis clos. Il revient maintenant au pape François de décider de leur faire droit, ou non, à l’occasion d’une exhortation apostolique que le pontife argentin espère publier d’ici à la fin de l’année.
L’Amazonie, un désert clérical
Si elles sont retenues par le chef de l’Eglise catholique, ces orientations ouvriront une brèche dans la tradition millénaire du célibat des prêtres, généralisé dans l’Eglise latine après la réforme grégorienne du XIe siècle.
Certains courants conservateurs redoutent qu’elles fassent tache d’huile. L’article de la résolution finale propose « d’ordonner prêtres des hommes mariés idoines et reconnus par la communauté, qui ont un diaconat permanent fécond et reçoivent une formation adéquate au presbytérat, pouvant avoir une famille légalement constituée et stable ».
Il ajoute que « certains », au cours du synode, « se sont prononcés en faveur d’une approche universelle du sujet ». Ce qui peut vouloir dire que la faculté d’ordonner des hommes mariés pourrait être utilisée par d’autres zones géographiques en carence de prêtres.
Du reste, le Vatican avait pris soin d’avertir, au début du synode, que même consacré à un territoire particulier, « chaque synode concerne toujours l’Eglise universelle ». Or on sait déjà qu’une partie de l’Eglise allemande, par exemple, réfléchit à la question. C’est sur cet article que le vote a été le plus serré.
A quels besoins répondait ce synode ? En Amazonie, les distances sont grandes entre les communautés autochtones et les moyens de circulation bien souvent réduits à la navigation en pirogue. Parallèlement, le nombre de prêtres autochtones est quasi nul et celui des prêtres itinérants est insuffisant. Les communautés les plus reculées ne reçoivent donc parfois la visite d’un prêtre que deux à trois fois par an, voire moins. C’est peu quand on considère que l’Eglise catholique réserve aux hommes ordonnés certains des actes essentiels de sa vie de foi, comme l’eucharistie et l’absolution des péchés. C’est peu aussi au regard de la concurrence des Eglises évangéliques qui, elles, établissent plus facilement des ministres du culte parmi les autochtones.
D’où l’idée, défendue par de nombreux prêtres et évêques qui exercent dans la zone, d’autoriser, au moins ponctuellement, l’ordination d’hommes mariés, à condition qu’ils soient déjà diacres. En réalité, il existe déjà des prêtres mariés dans l’Eglise catholique. C’est le cas, traditionnellement, des prêtres des Eglises de rite oriental (maronites, chaldéens, melkites…). Il y a aussi, dans l’Eglise latine, d’anciens ministres du culte anglicans qui ont rejoint Rome et ont obtenu une dispense, bien que mariés, pour être prêtres. Mais ordonner des hommes mariés hors de cette situation particulière serait une nouveauté.
Différence de traitement entre hommes et femmes
En revanche, la petite ouverture en direction des femmes décevra probablement celles qui, religieuses ou laïques, constituent les cadres de bien des communautés.
Une religieuse colombienne, sœur Alba Teresa Cediel Castillo, a ainsi témoigné de son activité : « Quand un prêtre ne peut être là, nous baptisons. S’il faut un mariage, nous sommes là. Et souvent nous avons dû écouter en confession un malade, parfois proche de la mort. Nous n’avons pas donné l’absolution [qui est un sacrement réservé aux prêtres] mais dans le fond de notre cœur, nous croyons que Dieu agit. »
L’organisation catholique attache tous les « pouvoirs » sacramentels à l’ordination, et donc aux hommes, et ne donne aux femmes aucun rôle en la matière. Rien ne changera donc substantiellement tant que la commission vaticane sur le diaconat est au point mort. Le document synodal demande en attendant plus d’équité dans la répartition des ministères entre hommes et femmes, afin que les femmes puissent participer aux instances de gouvernement de l’Eglise.
La portion congrue réservée aux femmes dans l’Eglise a d’ailleurs fait l’objet d’une initiative inhabituelle au synode, auquel participaient à titres divers (dont des expertes) trente-cinq femmes. Alors que les supérieurs d’ordre religieux masculins, bien que non-évêques, avaient le droit de vote, les dix supérieures d’ordres féminins ne l’avaient pas. Elles ont donc écrit au pape François pour se plaindre de cette différence de traitement et demander à pouvoir voter. En vain.
« Péché écologique »
Le texte affirme en outre « rejeter une évangélisation de type colonial », exprime son engagement aux côtés des communautés qui luttent pour que leurs « droits fondamentaux soient garantis », propose de « définir le péché écologique » et de créer un organisme épiscopal qui couvre la région.
L’ordination d’hommes mariés et l’institution d’un rite amazonien étaient redoutées par des courants conservateurs de l’Eglise, qui sonnent l’alarme contre elles depuis des semaines. Durant le synode, ils n’ont cessé de s’insurger contre la place faite à la culture indigène, certains accusant même le pape d’être tombé dans « l’idolâtrie ». Ils ont critiqué une cérémonie religieuse initiale qui a mêlé prières catholiques, rituels autochtones et objets traditionnels amazoniens.
Des statuettes en bois apportées d’Amérique du Sud, qui étaient exposées dans une église voisine du Vatican, ont même été dérobées en fin de semaine dernière et jetées dans le Tibre. Une vidéo diffusée en ligne a montré les pilleurs jetant à l’eau, du pont Saint-Ange, les cinq sculptures. L’une d’elles représente une femme enceinte, qui, avait précisé le Vatican, n’était en rien une référence à la vierge Marie, mais une représentation de la fécondité de la Terre Mère, la Pachamama. Vendredi, le pape François a « demandé pardon » pour ce vol, en tant qu’évêque de Rome. Les statuettes ont finalement été repêchées par les carabinieri.
SOURCE : Le Monde
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