Au Sénégal, sur l’île de Gorée, se cache l’un des internats les plus prestigieux du pays. Il accueille des jeunes filles de la 6ème à la terminale : reportage par Esther, qui s’est rendue sur place !

Depuis la chaloupe qui nous dépose à Gorée, l’île semble belle et calme. On aperçoit les palmiers, les bâtiments aux couleurs vives, la plage…

Et pas de voitures. À peine 2km la sépare de Dakar, mais l’énergie y est toute différente. Les klaxons, les embouteillages, les gaz d’échappement cèdent leur place à de petits ruelles pavées et aux gazouillis des oiseaux.

De quoi donner l’impression de débarquer au paradis, alors même que l’île est un lieu privilégié d’entretien de la mémoire du commerce des esclaves.

Une maison des esclaves ainsi qu’une statue de la libération de l’esclavage entretiennent le souvenir de la traite négrière – même si ce patrimoine est aujourd’hui controversé.

À côté, on trouve aussi une mosquée, une église, un poste de police, des restaurants et auberges, quelques commerces… Et au milieu de tout cela, un internat d’excellence.

La maison d’éducation Mariama Bâ, un « temple de l’excellence »

Pour trouver de l’agitation sur l’île, il suffit éventuellement de franchir la grille de la maison d’éducation Mariama Bâ, en tous cas à l’heure des pauses.

L’île abrite en effet un internat d’excellence dédiée à l’éducation des jeunes filles. L’établissement est public. Mathilde, qui m’accompagne, y a séjourné sept ans – week-ends et vacances exceptées.

Elle est entrée à 12 ans, grâce à ses résultats à l’examen d’entrée en 6ème, par lequel tou·tes les élèves sénégalais·es passent en fin de primaire. Il fallait alors faire partie des 25 premières du pays pour se voir proposer une place dans l’établissement, qui compte environ 200 élèves.

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Depuis 2014, les conditions d’admission ont changé : pour éviter que certaines académies remportent toutes les places en remontant artificiellement le niveau de notes de leurs élèves, il faut passer par un concours d’entrée proposé aux 150 meilleures de l’examen d’entrée en 6ème.

« Il y a des épreuves de français, de mathématiques, qui sont doublement corrigées. Si un écart de plus de quatre points est trouvé, alors on refait corriger par une troisième personne », explique la proviseure.

Un enseignement à taille humaine à la maison d’éducation Mariama Bâ

Elle a immédiatement reconnu Mathilde, si tôt que l’on avait franchi la porte de son bureau, tout comme sa secrétaire.

Je me demande si les effusions de joie sont les mêmes pour toutes les anciennes élèves qui viennent rendre visite, mais j’ai assez peu de doutes.

Alors que j’assiste à leurs retrouvailles, Mme Sarr demande des nouvelles des filles de la promo de Mathilde : elle connaît leur nom, continue d’échanger des mails avec elles, se rappelle avec émotion de leurs caractères et spécificités…

« Ce sont comme mes filles vous savez, je les accompagne de leur 6ème à leur terminale…

Je les reçois, ce sont des petites filles timides et quand elles sortent, elles sont fortes, elles ont confiance en elle ! Je les vois grandir c’est un bonheur. »

Former « l’élite du pays » : l’objectif de l’établissement Mariama Bâ

L’internat a été fondé sur l’idée de Colette Hubert Senghor, l’épouse de Léopold Sedhar Senghor – premier Président Sénégalais à la suite de l’indépendance – qui avait fait son éducation à l’internat de la Légion d’honneur en France.

Il était à l’origine sur ce modèle : les filles qui rentraient avaient des parents ou des grands-parents décorés de l’ordre National du Lion – l’équivalent de la légion d’honneur au Sénégal.

Les écoles sont généralement mixtes, mais pas Mariama Bâ. Elle a été fondée sur la promesse de leur donner une formation aussi solide que celle dont disposaient déjà les élèves qui étudiaient dans d’autres internats d’excellence réservés aux garçons.

C’est l’un des rares à être exclusivement dédié aux filles, le but est de former « l’élite du pays ».

« Faudra revenir hein Mathilde ! », lance Mme Sarr, faisant référence aux études de cette dernière en France, même si elle dit quelques minutes après que l’un des objectifs de l’éducation qui est délivrée dans l’école est de « savoir s’adapter dans toutes les sociétés ».

Et les voilà parties à faire le tour de celles qui sont à Maurice, au Kenya, qui ont étudié au Maroc ou en France, celles qui sont restées au Sénégal, avec l’espoir palpable dans la voix de Mme Sarr qu’elles réussissent toutes.

C’est ici que toutes ont étudié avant de voler vers de nouveaux horizons.

Grandir ensemble à la Maison d’éducation Mariama Bâ

Ça fait 13 ans qu’elle fait partie de la direction de l’établissement,

« Je suis une ancienne sportive, handballeuse de haut niveau. J’ai été prof de sport pendant 20 ans dans un autre lycée.

C’était un bon lycée hein ! Mais c’était pas pareil. Ici ce n’est pas faire son cours et partir, il y a toute une vie autour. Je leur apprends à se tenir comme je le ferai avec mes propres enfants. »

Les filles aujourd’hui en terminale S2 achèvent leur parcours en sciences expérimentales. Est-ce qu’elles ont aimé étudié ici ?

« Oui, oui. On apprend bien, beaucoup de choses, on est dans de bonnes conditions. »

C’est pour cette raison que Khady savait qu’elle voulait faire cette école depuis le CE2 ! Ce n’est pas le cas le cas de tout le monde bien sûr, certaines se sont retrouvées admissibles en 6ème sans même l’avoir prémédité, mais elles sont relativement unanimes sur la qualité de vie ici.

Évidemment quelques rires fusent, « les bons moments c’est quand on fait la fête ! ».

Les devoirs ça ne plaît pas à tout le monde, la surveillance quasi-permanente non plus – les filles peuvent sortir de l’enceinte de l’école un après-midi par semaine, le mercredi.

Mathilde leur conseille tout de même de profiter, « parce qu’après ça nous manque ».

« C’est pas vraiment que ça manque en fait, parce quand on se retrouve rien n’a changé. On a les mêmes souvenirs, les mêmes délires », me raconte-t-elle plus tard.

Des conditions d’étude optimales à Mariama Bâ

Aujourd’hui les conditions se sont améliorées depuis son départ. Alors que l’établissement « tombait en décrépitude », il a été rénové. Les salles de classe disposent de la climatisation alors qu’il n’y avait pas même un ventilo quand elle a eu son bac.

C’est vrai que le cadre est plutôt pas mal.

Mais ce sont aussi les conditions d’encadrement qui rendent l’atmosphère si propice à empouvoirer ces jeunes femmes. Cheikh Faye, professeur d’arts plastiques croisé au détour de sa classe raconte :

« J’ai enseigné dans d’autres collèges et lycées… Il y avait 50 à 60 élèves par classe. Ici, dans mon cours, elles sont 18. J’ai le temps de m’occuper de chacune d’elles ! »

D’ailleurs, six ans après, les professeurs aussi se rappellent bien de Mathilde. « La génération qui a fait exploser l’école ! », expliquent-ils en riant.

Il semble que sa promo ait été particulièrement dissipée… au point qu’elles restent en fait inscrites dans les mémoires.

« Mme Ndao nous parle tout le temps de vous ! », s’exclame une élève rencontrée dans la cours.

Et celle-ci de confirmer sans même qu’on lui ait posé la question lorsque nous la croisons un peu plus tard.

Rien qui n’entravent aujourd’hui leurs parcours uniformément hors-normes, de l’Africa Leadership University à Sciences Po en passant par l’Africa Leadership Academy ou encore l’Université Assas.

L’ambition est une vertu à cultiver

Il est vrai que les élèves de sixième sont un peu plus difficiles à approcher que celles qui les devancent de quelques années et qui nous invitent à manger avec elles.

Dans le réfectoire, les groupes de filles sont assignées à chaque table et elles sont autonomes : l’une va chercher les plats, l’autre installe la nappe, distribution des couverts… Les rôles sont répartis et tournent sans que personne n’ait rien à leur dire.

Partageant le thiep avec nous, il y a Penda qui veut faire de la biotechnologie, Khady qui rêve d’agro-industrie ou de médecine, une deuxième Khady qui a préparé son dossier pour Sciences Po…

Elles visent toutes de prestigieuses écoles, où qu’elles soient. De Polytechnique à l’École Militaire de Santé de Dakar en passant par des prépas diverses, l’ambition est palpable pour la majorité d’entre elles.

Même si évidemment, il reste quelques indécises. Ici comme partout, pas facile de savoir ce qu’on veut faire du reste de sa vie.

Mais ce qui est certain, c’est qu’elles sont bien préparées à la conquérir, avec comme mot d’ordre omniprésent y compris sur les murs de l’école : « l’excellence ».

Par Esther |  |sur mademoiZelle

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