Je suis la fille d’une mère qui ne savait ni lire ni écrire, mariée contre son gré à 12 ans à un homme qui avait 3 fois son âge, et qu’elle n’avait jamais vu avant leurs « noces ». Après avoir eu 2 fils avant l’âge de 16 ans, ma mère a rencontré à la vingtaine passée, un homme dont elle est tombée éperdument amoureuse, et avec lequel, elle a choisi d’avoir une fille… moi.
Quand on me demande pourquoi je milite en faveur de l’abolition des mutilations sexuelles, alors que je ne suis moi-même pas excisée[1] , je raconte l’histoire de ma mère. Car elle illustre pourquoi lire, écrire, choisir et jouir sont à mon sens, des droits fondamentaux. Des droits dont toutes filles et les femmes sur la planète devraient disposer. Certains de mes interlocuteurs (et interlocutrices, aussi) s’étonnent que je mette sur la même échelle l’accès à l’instruction, le droit pour chacune à unir son sort au partenaire de son choix, et la satisfaction sexuelle.
Comme si jouir ne pouvait pas être digne de figurer au nombre des libertés fondamentales des femmes. 6 fillettes sont excisées chaque minute dans le monde, soit un peu plus de 8000 par jour. Une grande partie d’entre elles vivent sur le continent d’où je viens, le continent africain [2]. L’Unicef dénombre aujourd’hui 200 millions de femmes et de filles actuellement en vie ayant subi une forme de mutilation sexuelle. Dans la plupart des pays, la majorité des filles sont excisées avant leur cinquième anniversaire. D’après les données, 44 millions du total des personnes excisées sont des filles de moins de 14 ans. Sous nos contrées, selon une étude récente du Haut Conseil à l’Égalité, une fille de 13 ans sur deux et une fille de 15 ans sur 4 ne sait pas qu’elle a un clitoris. Et 83% des filles et 68% des garçons de 3ème et 4ème, ne connaissent pas la fonction de ce dernier.
Si l’excision qui existe physiquement dans les chairs des unes, fait écho à celle psychique des autres, c’est bien parce que dans un cas comme dans l’autre, il est dénié aux femmes tout intérêt pour leur sexualité, toute accession à leur propre désir. Car nous vivons toujours dans des sociétés où les femmes ne peuvent pas s’intéresser au sexe, domaine communément réservé aux hommes. Face à ce constat, le sexe des femmes (au sens propre comme figuré) n’est pas une simple question de sexualité ou de plaisir, c’est aussi une question politique car il convient d’opérer une révolution du désir dans nos sociétés, en vue de forger un avenir sexuel meilleur pour les générations à venir. Nous sommes depuis trop longtemps dans l’histoire, celles qui semblent toujours avoir quelque chose à perdre dans la sexualité, celles qui subissent le sexe. Il est temps que cela change. Que notre sexe soit pour nous aussi, synonyme d’expression et d’épanouissement, de volupté, et de bien-être. L’heure de militer pour une féminité joyeuse et accomplie, droit inaliénable pour toutes, a sonné.
Une féminité porteuse d’une liberté réelle pour nos filles, les autorisant à devenir sujets plutôt qu’objets sexuels, campées dans leur corps charnel, avec la possibilité d’accéder à toute l’amplitude de leur être.
Nous devons bien sûr, continuer à mettre à jour ce qui est souillé, caché, meurtri et interdit dans le domaine sexuel et qui est en lien direct avec le corps des femmes, mais aussi nous réapproprier le discours en matière de sexualité, en affirmant le droit des femmes, des mères et des filles, au désir, au plaisir. Soutenir le droit des femmes à disposer d’une sexualité qui leur appartient en propre, c’est préserver la vie de trente millions de fillettes risquant d’être victimes d’excision, dans les dix prochaines années. Et nous rappeler aussi, que Notre sexe est l’origine du monde. Le siège de l’intime et le fondement du politique.
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[1] – le taux de prévalence de la pratique au Cameroun est d’ 1,4 % sur l’ensemble du territoire national. Et de 20 % dans les zones de prédilection, soit les régions de l’Extrême-nord et du Sud-ouest du pays. La pratique tend à prendre de l’ampleur dans les villes comme Yaoundé et Douala.
[2] – La moitié des filles et des femmes ayant été excisées vivent dans trois pays : l’Égypte, l’Éthiopie et l’Indonésie.
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