À la suite du mouvement #MeToo, les diverses formes de violences envers les femmes interrogent la façon dont, dans notre société, les hommes construisent leur identité.
Les scandales se suivent, selon des modalités diverses. Dernier en date, l’affaire française de la “Ligue du LOL”. Des jeunes journalistes ont, au début de carrières aujourd’hui confortables, utilisé Twitter pour, parfois pendant plusieurs années, harceler confrères mais surtout consœurs. Comment ces hommes travaillant dans des médias dits progressistes ont-ils pu en toute impunité faire preuve d’homophobie et de sexisme ? L’explication avancée par l’un deux lance sur une piste: “Je voyais ce Twitter comme un grand bac à sable, une grande cour de récré où rien n’avait de conséquence”. Une réaction, sinon malheureuse, en tout cas révélatrice, relevait la journaliste Louise Tourret dans un article pour le média français Slate. Depuis quand le harcèlement scolaire serait banal et sans conséquences pour ses victimes?
Pour en contrer les effets dévastateurs, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est d’ailleurs dotée depuis 2015 d’une plateforme de prévention et de prise en charge, sur laquelle sont listées les caractéristiques de la mécanique : intention de nuire, répétition et disproportion des forces. Ce dispositif se voit renforcé par la présence, silencieuse, du troisième acteur: les témoins. Dont l’absence de réaction fonctionne comme un encouragement au(x) harceleur(s).
“Lorsqu’un enfant, à trois ans, en insulte un autre, le traite de “pédé”, ou de fillette, par exemple, on va dire qu’il répète quelque chose qu’il ne comprend pas, constate la docteure en psychologie et en éducation Rosine Horincq Detournay, mais, à cet âge, un enfant comprend déjà très bien qu’il se met au-dessus de l’autre et le rabaisse pour installer une domi– nation. Ce qui implique aussi qu’il est tout à fait capable de comprendre un comportement égalitaire. La réaction des adultes s’avère déterminante.” En d’autres mots, expliquer, faire réfléchir et ressentir, et ne pas laisser faire.
Les “vrais hommes”
“L’école est un haut lieu de reproduction des rapports de domination selon le genre et le sexe”, soutient Rosine Horincq Detournay, renforçant – ou inhibant – certains comportements et certaines représentations stéréotypées des rôles associés au masculin et au féminin. Dans la répartition des espaces de jeu, par exemple. “La norme dans la cour de récréation est la non-mixité, (et) le lieu qui cristallise le mieux cet état de fait est le terrain de football”, analysait en 2011 la spécialiste française des questions d’égalité dans l’espace urbain, Édith Maruéjouls. Au centre et en mouvement, les garçons. Specta-trices discutant entre elles, les filles se répartissent autour par petits groupes statiques (voir les vidéos sur www.matilda.education).
Les garçons jouent, les meilleurs plus longtemps que les autres, dans une logique forts/moins forts, cool/pas cool, supérieurs/inférieurs, rejetant à la périphérie les filles, et les garçons n’aimant pas le sport ou préférant d’autres passe-temps. Déjà, certains se sentent plus légitimes d’occuper la majeure partie de l’espace, d’exercer un pouvoir, une domination sur les autres, y compris par la violence, au nom de caractéristiques associées au masculin et valorisées: autonomie, action, comportement compétitif… “Les deux genres sont très tôt organisés de façon binaire, mis en boîtes exclusives et sur-différenciées, explique Rosine Horincq Detournay. Et les privilèges, accordés et assignés à la classe des garçons et des hommes, leur donnent le sentiment de la légitimité de leur domination et son impunité. Les hommes voient ces privilèges comme des droits à perdre et non une opportunité de briser un schéma restreint, qui se confond avec la virilité, elle-même confondue avec la violence… Ce qui pose un vrai problème pour la répartition équitable du pouvoir.”
“Dans cette immense cour d’école qu’est notre monde, prolonge dans un article l’essayiste québécoise Martine Delvaux, on imagine les hommes, tournés les un vers les autres, formant un cercle fermé, liés les uns aux autres par une relation qui a tout à voir avec le pouvoir, la fabrique d’un pouvoir qui dit qui est le plus fort.” Également autrice d’un livre passionnant, Les filles en série, tout récemment réédité, elle y montre que les filles, par contre, ne s’organisent pas entre elles en cercles mais sont “mises en ligne pour faire joli”, dupliquées, clonées, exposées aux regards et sommées de plaire.
Mais la résistance s’organise. Le refus de la jeune activiste flamande pour le climat, Anuna De Wever, de se voir catégorisée dans un genre, la mobilisation en France autour du jeune garçon exclu de son lycée pour un trait d’eyeliner jugé trop féminin, ou encore la chanson Mon kid d’Eddy de Pretto, abordant le sujet de la virilité abusive, subvertissent le modèle dominant et, en inventant de nouvelles expressions de la diversité des genres, développent une société plus égalitaire et saine.
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