Le célibat des prêtres est le serpent de mer de l’Église catholique depuis quelques années… Le pape François est pressenti comme celui qui peut ouvrir un peu les portes sur ce sujet, hautement crispant pour la hiérarchie catholique. L’époque d’ailleurs est propice aux scandales. Entre les parties fines au Vatican et les escort boys des prêtres, sans parler évidemment des nombreux scandales liés à des actes pédophiles, autant dire que tout ce qui touche de près ou de loin à la sexualité des prêtres est polémique… Mais en a-t-il toujours été ainsi?
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«Les vierges deviendront des anges de Dieu»
Que les traditionnalistes ne s’étouffent pas: les prêtres catholiques n’ont pas toujours été célibataires! Pendant plusieurs siècles, l’Église accepte sans problème des prêtres mariés, et donc ayant des relations charnelles avec leur épouse légitime. Le célibat n’est pas explicitement imposé par les Évangiles.
Néanmoins, dès l’Antiquité tardive, les auteurs chrétiens valorisent la chasteté et, mieux encore, la virginité. Elle permet d’éviter les passions, qui éloignent de Dieu, et au contraire d’atteindre la paix intérieure (l’apatheia, littéralement l’absence de passion). Les auteurs vantent des animaux comme la colombe ou l’abeille, censées être chastes et se reproduire sans relations sexuelles.
Dès cette époque, le discours officiel interdit aux prêtres de se marier, et même d’avoir des relations sexuelles. Les actes des différents conciles condamnent très fortement toutes les activités sexuelles, hétérosexuelles ou homosexuelles, pour les prêtres comme pour les nonnes. Les actes jugés «contre-nature», comme la zoophilie, sont punis plus lourdement lorsque le coupable est un prêtre que si c’est un laïc.
Mais ces mesures semblent n’être qu’un discours à cette époque, et le mariage des clercs est alors extrêmement courant, et même banal. D’ailleurs, la sexualité des prêtres est condamnée, mais ce n’est pas la faute majeure: un prêtre ivrogne est ainsi plus lourdement puni qu’un prêtre marié!
Laïc ou clerc, mariage ou célibat, il faut choisir
Tout change au XIe siècle, avec la Réforme grégorienne. L’interdiction du mariage pour les prêtres est affirmée en 1059 par Nicolas II puis par Grégoire VII en 1074. Pourquoi ce revirement soudain?
Vous vous rappelez peut-être que c’est à peu près à la même époque que l’Église essaie d’imposer un mariage indissoluble qui soit un sacrement. À cette époque-là, les théologiens cherchent en réalité à mieux distinguer deux catégories de chrétiens: les clercs et les laïcs. Dans cette grande volonté de mettre le monde en ordre, la question de la sexualité va devenir cruciale: on va distinguer des laïcs mariés et des clercs célibataires et chastes. En les mettant ainsi à part, le pape va à la fois affirmer la supériorité des clercs sur les laïcs et imposer l’autorité de la papauté sur tous les clercs, qui sont comme détachés de la société pour mieux être rattachés à leur mère l’Église. C’est d’ailleurs à cette époque qu’on va commencer à dire que les prêtres sont «mariés» avec l’Église.
Ce programme va avec la volonté d’une réforme morale du clergé et de la société, qui répond globalement à de réelles attentes des fidèles. C’est pourquoi le mariage des prêtres –que l’on va alors appeler concubinaires– va être assimilé à de la luxure, un péché mortel qui peut mettre en péril la validité des sacrements que les fidèles reçoivent. À partir des années 1070, la papauté affirme ainsi que les prêtres mariés ne peuvent pas délivrer les sacrements. Elle va même durcir sa position, en interdisant à un prêtre de vivre sous le même toit qu’une femme.
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La sexualité des prêtres: un ressort comique
Comme vous pouvez l’imaginer, les prêtres sont loin d’avoir unanimement accepté ce célibat imposé, que ce soit au XIe siècle, mais aussi pendant tout le Moyen Âge et l’époque moderne. Selon les moments et les lieux, la part de prêtres concubinaires peut être particulièrement importante. Les paroissiens l’acceptent plus ou moins, et le plus souvent ferment les yeux. L’Église elle-même sait rester souple, car elle est bien consciente qu’on ne gagne rien à imposer trop violemment de telles normes. On sait ainsi qu’environ 20% des clients des bordels sont des ecclésiastiques, et que cette fréquentation n’est sanctionnée que par une pénitence assez légère.
«Si vous avez une jolie femme ou une jolie fille, ne laissez jamais un clerc entrer chez vous!»
Morale d’un fabliau du Moyen Âge
Néanmoins, l’Église a bien fait son travail et la sexualité des prêtres devient un sujet de moquerie récurrent. Les prédicateurs le dénoncent en chaire, et cette image revient dans la culture plus populaire, notamment dans les fabliaux, où la figure du prêtre forniquant avec une femme mariée sous le nez de son mari est un des motifs les plus récurrents. Au point qu’un fabliau (De Gombert et des deux clercs) s’achève par une morale, presque un proverbe: «Si vous avez une jolie femme ou une jolie fille, ne laissez jamais un clerc entrer chez vous!».
Derrière ces moqueries, que se cache-t-il? Sans doute le fait que les laïcs reprochent aux clercs, détenteurs d’une autorité morale bien réelle sur l’ensemble de la population, de transiger avec des règles qu’ils se sont eux-mêmes imposés et, surtout, qu’ils imposent aux autres. Car la morale sexuelle médiévale est rigoureuse, et pèse sur tout le monde.
De là à l’accusation d’hypocrisie, il n’y a qu’un pas. C’est ce pas que franchit Martin Luther quand il affirme que le célibat des prêtres n’est en rien évangélique. La vie de famille de Luther, et même l’activité sexuelle dont il témoigne par sa nombreuse progéniture et qu’il justifie dans ses lettres, est un pied de nez à tout ce que l’Église catholique a essayé d’imposer comme ordonnancement de la société depuis le XIe siècle.
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En outre, certains contes passent de l’humour et du ridicule au drame: ainsi un fabliau met-il en scène un ermite excité par le spectacle d’un coq sautant sur une poule (chacun son truc), qui viole une jeune fille avant de la tuer pour dissimuler son crime. On sent bien déjà que les contemporains de ces fabliaux ont conscience que la chasteté rigoureuse imposée aux prêtres peut faire naître d’importantes tensions psychologiques et sociales…
Le sérieux de la vie maritale féconde de Luther et le rire grivois des fabliaux renvoient tous les deux, bien que différemment, à l’incompréhension que suscite le célibat des prêtres, bien présente au Moyen Âge comme aujourd’hui.
Pour en savoir plus:
– Jacques Voisenet, Figure de la virginité ou image de la paillardise : la sexualité du clerc au Moyen Âge, dans Le Clerc au Moyen Âge, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 1995.
– André Vauchez et al., Histoire du christianisme des origines à nos jours, t. V, Desclée, Paris, 1993.
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