Le 8 mars 2021, un petit groupe de militant·e·s fĂ©ministes se rĂ©unissait place du TrocadĂ©ro Ă  Paris et, avec la Tour Eiffel en fond, s’attelait Ă  gonfler une masse informe de tissu rouge. Petit Ă  petit, l’objet gonflable prenait forme: deux bulbes pendouillants Ă  la base, accompagnĂ©s d’une paire de pattes. Puis une protubĂ©rance crochue s’érigeait au sommet. LĂ , devant l’un des monuments les plus phalliques au monde, s’affichait, immanquable, un clitoris gĂ©ant.

Un an plus tard, Ă  quelques pas du TrocadĂ©ro, le comitĂ© olympique des J.O. de Paris 2024 rĂ©vĂ©lait ses nouvelles mascottes. Rouges pĂ©tant, triangulaires. Une visiĂšre Ă  capuche. Des pattes grĂȘles et des bras en forme de bulbes. D’aprĂšs les organisateur·ice·s, il s’agissait lĂ  de bonnet phrygiens, symboles de la RĂ©volution Française et, par extension, de libertĂ©. Mais pour beaucoup, ces mascottes qui dansaient fiĂšrement devant la Tour Eiffel ressemblaient farouchement Ă  des clitoris anthropomorphiques. Les rĂ©seaux sociaux se sont enflammĂ©s.

Le buzz a propulsĂ© Julia Pietri, fondatrice du Gang du Clito, le groupe fĂ©ministe derriĂšre l’organe gĂ©ant de 2021, sur le devant de la scĂšne. Depuis des annĂ©es, Pietri milite pour une augmentation de la visibilitĂ© et de la recherche autour du clitoris, notamment en produisant des posters d’un clitoris anatomiquement correct sous le slogan “It’s not a Bretzel”.

“Je me souviens encore Ă  quel point le mot ‘clitoris’ effrayait il y a peu encore,” a-t-elle confiĂ© Ă  la newsletter Impact. “En 2019 lors de ma campagne militante ‘It’s not a Bretzel’, personne ne connaissait l’anatomie du clitoris. C’est une joie de me dire qu’en 2022, le clitoris est rentrĂ© dans la pop culture.”

Photo du clitoris gonfable avec le texte sur l'image :

Image fourni par Gang du Clito

Mais derriĂšre l’amusement qu’ont gĂ©nĂ©rĂ© les bonnets phrygiens clitoridiens se cache une longue histoire d’invisibilisation de cet organe vital, longtemps incompris. Cette histoire est baignĂ©e de misogynie, de violences, et d’un manque d’intĂ©rĂȘt pour le plaisir des femmes. Les consĂ©quences de ce “dĂ©sert clitĂ©ro-mĂ©dical“, comme l’appelle Pietri, vont du fossĂ© orgasmique (orgasm gap) dans les relations hĂ©tĂ©rosexuelles, Ă  des opĂ©rations bĂąclĂ©es par des docteur·e·s sans connaissances de base de la chirurgie gynĂ©cologique, en passant par les horreurs des mutilations gĂ©nitales, qui touchent plus de 200 millions de femmes et des filles dans le monde.

La newsletter Impact a interrogĂ© des militant·e·s qui rĂ©clament une meilleure Ă©tude du clitoris et une plus grande reconnaissance du rĂŽle qu’il joue dans la sexualitĂ© humaine. Elles sont toutes d’accord sur un point: le clitoris est Ă©minemment politique.

Selon Pietri, le clitoris et les bonnets phrygiens n’ont pas que la forme en commun: les deux reprĂ©sentent un enjeu d’égalitĂ©. “Sans parler de ‘sexualité’, ni de ‘plaisir’, mais bien de santĂ© sexuelle et d’égalitĂ© de traitement ; c’est-Ă -dire d’accĂšs aux soins et Ă  l’information pour toutes et tous : un droit fondamental de notre constitution, Â» affirme-t-elle.

“Toutes les parties de l’anatomie gynĂ©cologique sont politiques,” soutient Zoe Williams, du MusĂ©e du Vagin Ă  Londres. “Le clitoris est un champ de bataille pour la reconnaissance du plaisir sexuel, ainsi qu’une zone de violence.”

Le MusĂ©e du Vagin, qui s’affiche fiĂšrement intersectionnel et inclusif des personnes trans, a Ă©tĂ© fondĂ© en 2017 pour “sensibiliser Ă  l’anatomie et Ă  la santĂ© gynĂ©cologiques”. Son Ă©quipe a rĂ©pondu Ă  l’annonce de la mascotte de Paris 2024 en ajoutant aux bonnets phrygiens la lĂ©gende des parties du clitoris qui leur correspondaient. “Ils sont trĂšs anatomiquement corrects“, a dĂ©clarĂ© Williams.

Le fait mĂȘme de pouvoir reconnaĂźtre toutes les diffĂ©rentes parties du clitoris est une avancĂ©e relativement nouvelle.

Ce n’est qu’en 1998 que l’urologue australienne Helen O’Connell a cartographiĂ© l’anatomie complĂšte du clitoris en dissĂ©quant des cadavres. En 2005, O’Connell et ses collĂšgues ont publiĂ© une analyse exhaustive de sa composition. Pourtant, de nombreux manuels de science n’ont pas intĂ©grĂ© ces avancĂ©es, et le clitoris y est souvent rĂ©duit Ă  ses glandes externes (ou le sommet du bonnet phrygien). En rĂ©alitĂ©, le clitoris mesure jusqu’à dix centimĂštres en interne.

Vous avez peut-ĂȘtre entendu le chiffre de 8 000 fibres nerveuses dans le clitoris. Ce qu’on ne vous a probablement pas dit, c’est que cette statistique est tirĂ©e de l’analyse de clitoris
 de vaches. Étant donnĂ© que les vaches ne sont pas des humain·e·s, il n’est pas surprenant que ce nombre soit incorrect. Cette annĂ©e, dans un article scientifique qui n’a pas encore Ă©tĂ© Ă©valuĂ© par des pairs, le chirurgien esthĂ©tique amĂ©ricain Blair Peters a Ă©tudiĂ© le tissu nerveux clitoridien de sept patients volontaires transmasculins et a dĂ©couvert qu’il y avait entre 9 852 et 11 086 fibres nerveuses.

Le manque d’information des soignant·e·s Ă  ce sujet peut entraĂźner de graves erreurs mĂ©dicales. Une chirurgie pelvienne qui ne tient pas compte du clitoris peut entraĂźner des douleurs graves et une perte de plaisir sexuel. C’est pourquoi de nombreuses activistes militent pour mettre Ă  jour les manuels mĂ©dicaux afin d’y inclure une anatomie complĂšte et dĂ©taillĂ©e de l’organe. Comme le dit Pietri : “Est-il normal que ma gynĂ©cologue n’ait pas Ă©tudiĂ© le clitoris ?”

Afin d’éviter ce genre d’erreurs catastrophiques, des chercheur·euse·s de l’UniversitĂ© du Kansas ont rĂ©cemment identifiĂ© une â€zone de sĂ©curitĂ©â€ (safe zone) du pelvis oĂč les chirurgien·ne·s peuvent opĂ©rer sans risquer d’endommager le nerf dorsal du clitoris.

Pourquoi a-t-il fallu si longtemps pour apprĂ©cier, et commencer Ă  comprendre, le   clitoris ? Selon Sarah Chadwick, autrice de The Sweetness of Venus: A History of the Clitoris, cela est dĂ» Ă  une mĂ©fiance Ă  l’égard du plaisir fĂ©minin. ”Pendant des siĂšcles, la dĂ©finition d’une femme respectable n’incluait pas son plaisir sexuel – ça aurait Ă©tĂ© un signe certain qu’elle Ă©tait une sorciĂšre/une travailleuse du sexe/une espionne ou une menace pour la stabilitĂ© de la sociĂ©tĂ©, selon le siĂšcle.”

Chadwick ajoute que toutes les avancées scientifiques qui avaient été acquises au cours des siÚcles précédents ont depuis été oubliées ou ignorées.

”Le chercheur Georg Kobelt a produit des illustrations dĂ©taillĂ©es du clitoris en 1844, pourtant il est constamment reprĂ©sentĂ© sous la forme d’un point sur un diagramme dans les cours d’éducation sexuelle et dans les livres d’anatomie destinĂ©s au public. Il est difficile de ne pas voir cet effacement continu du clitoris comme au mieux de l’ignorance et au pire, de la mauvaise volontĂ©â€, a-t-elle dĂ©clarĂ©.

Ce n’était sĂ»rement pas la volontĂ© du comitĂ© olympique de Paris 2024 de propulser le clitoris sur le devant de la scĂšne internationale de cette maniĂšre. Mais cela n’a pas empĂȘchĂ© les militant·e·s d’adopter les bonnets phrygiens.

”Si c’est comme ça que le clitoris devient visible, je suis tout Ă  fait pour”, dĂ©clare Chadwick. ”Il Ă©tait temps.”

 

— par Megan Clement , rĂ©dactrice en chef de la newsletter Impact.

SOURCE : https://lesglorieuses.fr/bonnets-phrygiens-clitoridiens/