Les hommes sont responsables de l’écrasante majorité des comportements asociaux et violents, liés à une éducation virile, qui représente un surcoût énorme pour la société, selon Lucile Peytavin*. Et la chercheuse de suggérer : n’aurions-nous pas tous intérêt à nous comporter comme les femmes ? Combien coûtent à la société les conséquences de la virilité érigée en idéologie dominante ? L’historienne Lucile Peytavin s’interroge dans son essai Le coût de la virilité, sorti début mars en Livre de poche, sur les raisons de la surreprésentation des hommes parmi les auteurs de violences et de comportements à risques. Elle chiffre le prix de cette violence associée à une supposée nature masculine, pour les hommes et les femmes, avant de proposer des pistes pour y remédier.
Comment définissez-vous cette virilité ?
Je ne parle pas des hommes. La virilité est un idéal normatif qui s’inculque à travers l’éducation, et je remets d’ailleurs en cause dans mon livre la façon dont on éduque les garçons et les hommes. Je me suis appuyée sur les travaux de la philosophe Olivia Gazalé qui définit la virilité comme une norme à atteindre qui définit ce que doit être un « vrai homme » dans la société – c’est-à-dire ne surtout pas être une femme finalement. Cette notion rassemble les attributs de force et de puissance, à la fois physiques et moraux. Certains sociologues expliquent que la virilité engendre la violence parce qu’il y a un recouvrement entre le courage, la force morale, l’absence d’état d’âme et l’exercice du mâle. Finalement, la virilité s’exprime par des comportements de domination, de haine, de rejet, de violence, de non-respect des règles au détriment de l’ensemble de la société, des femmes et des hommes eux-mêmes.
Vous chiffrez le coût de la virilité à près de 100 milliards d’euros par an pour la société française. Comment avez-vous calculé cette somme ?
Je suis partie d’un constat chiffré statistique : aujourd’hui en France, les hommes sont responsables de l’immense majorité des faits de violence, de délinquance, de criminalité, et de comportements à risque. Si on regarde les chiffres, les hommes représentent 83 % des mis en cause par la justice, 90 % des personnes condamnées, la population carcérale masculine représente 96,3 %. En un mot, les prisons sont remplies d’hommes, qui sont surreprésentés dans tous les types d’infractions : 99 % des auteurs de viols, 97 % des auteurs d’agressions sexuelles, 88 % des auteurs de meurtre, 84 % des auteurs d’accidents mortels sur la route, etc. La liste est très longue et tout cela a des coûts faramineux pour l’État et la société chaque année parce que d’une part, nous investissons dans des services de justice, de police, de santé ; et d’autre part, parce que les coûts liés aux souffrances physiques et psychologiques des victimes, aux pertes de productivité, aux destructions de biens, sont supportés par la collectivité. En ayant les taux de responsabilités entre les hommes et les femmes par type d’infraction et les budgets dépensés pour faire face à ces infractions, j’ai calculé un surcoût. En fait, le coût de la virilité est un surcoût qui correspond à ce que la France (NDLR : ou la RDC ?) économiserait si les hommes se comportaient comme les femmes, c’est-à-dire s’ils commettaient aussi peu de délits et d’infractions de criminalité qu’elles. Ce différentiel entre les deux est estimé à près de 100 milliards par an ! C’est colossal, le budget global de la France atteint presque 400 milliards d’euros par an, à titre de comparaison. Cette estimation donne un ordre de grandeur et permet de quantifier les conséquences de la virilité pour la société.
(NDLR : un pareil exercice de chiffrage du « coût de la virilité » pourrait être réalisé pour la RDC par l’Observatoire de la parité et de l’égalité H/F. Encore faudrait-il qu’un partenaire technique et financier (PTF) puisse apporter les moyens humains et financiers nécessaires à la réalisation d’une telle étude)
Comment ce coût est-il invisibilisé ?
Les études sur la violence, la délinquance, la criminalité par les ministères de la Justice et de l’Intérieur ne disent pas que ce sont les hommes qui sont les premiers responsables de ces comportements et passent à côté du premier critère qui définit le profil des délinquants et des criminels. D’autres critères sont souvent pris en compte comme l’âge des auteurs ou les niveaux de vie et ciblent la jeunesse ou certains quartiers populaires. Mais dans une même situation, dans la pauvreté par exemple, les femmes ne commettent pas ou peu de faits de délinquance et de criminalité. On passe véritablement à côté des causes puisqu’on considère que la norme est masculine et donc que les comportements des hommes représentent les comportements de toute la population. En plus, il subsiste encore des arguments biologisants, essentialisants, qui justifient la violence des hommes par une question de nature.
On a déjà dû vous rétorquer que des femmes peuvent être violentes, et que tous les hommes ne sont pas délinquants…
Évidemment, les femmes sont capables de violence au même titre que les hommes et il y a des hommes pacifiques toute leur vie. C’est bien le cœur du sujet : ce n’est pas une question de biologie, lié à un sexe, mais à une éducation, et notamment cette éducation virile, cette éducation à la domination. On la transmet davantage aux garçons qu’aux filles et cela se construit dès les premiers jours de la vie des enfants. Des dizaines d’études de sociologie montrent que les adultes ont des rapports physiques beaucoup plus toniques avec les bébés garçons, qu’ils valorisent beaucoup plus leur force physique. On verbalise moins les sentiments mais on valorise davantage la colère chez les petits garçons : lorsqu’on lit une histoire à un petit garçon, on surjoue davantage la colère que lorsqu’on la lit à une petite fille. La famille est aussi plus permissive avec les garçons qui sont plus libres de leurs mouvements, les comportements perturbants sont moins sanctionnés. Et enfin, la violence s’exprime très rapidement dans les jeux des bagarres et de bataille des garçons. C’est culturel ! Dans les catalogues de jeux, lorsqu’il y a une arme factice, elle est tenue par un petit garçon dans 92 % des cas. Cette acculturation à la violence chez les garçons, au non-respect des règles qui passent par toutes ces valeurs viriles, se met en place dès les premiers jours.
La testostérone est souvent avancée pour légitimer tous ces comportements mais les études récentes sur le sujet montrent que des niveaux de testostérone élevés chez un même individu peuvent être aussi bien liés à des comportements agressifs qu’à des comportements altruistes. La testostérone n’est pas à l’origine de la violence, de la délinquance, de la criminalité des hommes.
Et puis, les hommes aussi paient un prix à cette virilité. Prouver sans cesse qu’on est fort moralement et physiquement, ça a un coût sur la vie des hommes. Par exemple, sur les prises de risques : à l’âge de quatorze ans, les garçons ont déjà 70 % de risques de plus que les filles de mourir dans un accident, 78 % des morts sur la route sont des hommes et les cancers liés à des comportements addictifs concernent des hommes. Les hommes ont 2 à 3 fois plus de risques de mourir de façon prématurée, soit avant 65 ans, d’une mort évitable, c’est-à-dire liée à un comportement à risque. On paye tous le prix de cette éducation virile.
Quelles sont les solutions que vous proposez pour réduire le coût de cette virilité ?
On voit dans les statistiques que la moitié de la population, à savoir les femmes, est peu ou pas éduquée avec des valeurs viriles. Et qu’elles ont des comportements beaucoup plus en adéquation avec la société de droit dans laquelle on vit. Les femmes, qui ne représentent que 17 % des mis en cause par la justice, apprennent davantage l’empathie, l’altruisme, le respect des règles. La solution, on l’a sous les yeux ! On l’applique déjà pour la moitié de la population. Il faudrait davantage éduquer les garçons comme les filles : leur permettre de jouer avec des poupées pour qu’ils apprennent à s’occuper d’autrui, les contraindre suffisamment pour qu’ils respectent aussi les règles, développer leurs sentiments… Bref, tout ce que nous faisons déjà avec les filles et qui a des effets tellement plus positifs sur l’ensemble de la société. Quand je dis « éduquer les garçons comme les filles », ça fait un peu grincer des dents parce que le féminin est toujours dévalorisé, mais cela revient à dire de donner une éducation plus humaniste à l’ensemble des enfants. Si ce système viriliste n’existait plus, il y aurait des économies financières colossales qui permettraient d’investir dans des politiques beaucoup plus porteuses pour une société plus apaisée.
Entretien réalisé par Fanny Declercq – Journaliste au service Forum du journal Le Soir
Un pareil exercice de chiffrage du « coût de la virilité » pourrait être réalisé pour la RDC par l’Observatoire de la parité et de l’égalité H/F. Encore faudrait-il qu’un partenaire technique et financier (PTF) puisse nous apporter les moyens humains et financiers nécessaires à la réalisation d’une telle étude.
Accessible sur les plateformes de vente en ligne : Lucile Peytavin, «Le coût de la virilité», Poche, 192 p., 7,70 €, ebook 12,99 €
*Lucile Peytavin
Historienne, Lucile Peytavin est spécialiste de l’histoire des femmes. Membre du Laboratoire de l’égalité, une organisation partageant les mêmes objectifs que l’Observatoire de la parité et de l’égalité H/F (OPE) : Partager une culture de l’égalité commune entre les femmes et les hommes et lutter contre les discriminations de genre au sein de la société.
Lucile Peytavin a publié son premier essai, Le coût de la virilité, en 2021.
En France, les hommes sont responsables de l’écrasante majorité des comportements asociaux : ils représentent 84 % des auteurs d’accidents de la route mortels, 92 % des élèves sanctionnés pour des actes relevant d’atteinte aux biens et aux personnes au collège, 90% des personnes condamnées par la justice, 86 % des mis en cause pour meurtre, 97 % des auteurs de violences sexuelles, etc.
La liste semble inépuisable. Elle a surtout un coût. Un coût direct pour l’État, qui dépense chaque année des milliards d’euros en services de police, judiciaires, médicaux et éducatifs pour y faire face. Et un coût indirect pour la société, qui doit répondre aux souffrances physiques et psychologiques des victimes, et subit des pertes de productivité et des destructions de biens. Pourtant, cette réalité est presque toujours passée sous silence.
Lucile Peytavin, historienne et membre du Laboratoire de l’égalité, s’interroge sur les raisons de cette surreprésentation des hommes comme principaux auteurs des violences et des comportements à risque, et tente d’estimer le coût financier de l’ensemble de ces préjudices pour l’État et donc pour chaque citoyen.ne. Quel est le coût, en France, en 2020, des conséquences de la virilité érigée en idéologie culturelle dominante ? L’autrice nous pose la question : n’aurions-nous pas tous intérêts à nous comporter… comme les femmes ?!
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