Selon Amnesty, ces géants technologiques ne sont plus de simples entreprises : ils constituent désormais des « infrastructures de vie », dont même les Etats ne peuvent se passer. Le rapport met en lumière l’ampleur de leur emprise : Google domine le marché de la recherche (13,7 milliards de requêtes par jour), la vidéo (avec YouTube) et les systèmes d’exploitation mobile (avec Android, 72 % de part de marché mondiale). Son pouvoir repose sur une « surveillance omniprésente », collectant de vastes quantités de données pour le profilage et la publicité ciblée, appuie le rapport. Meta, pour sa part, domine les médias sociaux (Facebook revendique plus de trois milliards d’utilisateurs mensuels). Les acquisitions d’Instagram et WhatsApp ont « éliminé des rivaux émergents » et étendu sa portée de surveillance.
Amazon, le plus grand acteur de l’e-commerce mondial (310 millions d’utilisateurs actifs), exerce un contrôle significatif sur les vendeurs indépendants et ses propres opérations, soit « l’ensemble de ses activités commerciales et logistiques directes », comme son infrastructure cloud, la gestion de sa main-d’œuvre et de ses chaînes d’approvisionnement, où des atteintes aux droits humains ont été documentées. Microsoft et Apple verrouillent l’accès aux systèmes d’exploitation et aux applications. « Accéder à internet sans interagir avec leurs services relève de l’impossible », tranche l’ONG.
Collecte massive de données
Pour Amnesty, cette domination ne se limite pas à une distorsion de la concurrence : elle met directement en péril les droits humains. Le rapport dénonce la collecte « massive et intrusive » de données personnelles (matière première du capitalisme de surveillance), l’amplification algorithmique de contenus haineux, les clauses contractuelles « inéquitables » imposées aux utilisateurs et les abus dans les chaînes d’approvisionnement. « Ces modèles économiques sont fondamentalement incompatibles avec le droit à la vie privée, la liberté d’expression et l’accès équitable à l’information », alerte l’organisation.
Pour étayer ses accusations, Amnesty multiplie les exemples concrets : le rôle des algorithmes de Facebook dans les violences contre les Rohingyas au Myanmar, l’exploitation de travailleurs sous-traités dans les entrepôts d’Amazon ou l’entraînement massif de modèles d’intelligence artificielle sur des données collectées sans consentement. La prochaine frontière inquiète particulièrement l’ONG : la domination des Gafam sur l’IA générative, qui concentre encore davantage le pouvoir entre quelques mains, tout en posant de nouveaux risques – biais algorithmiques, violation de la vie privée, exploitation du travail invisible.
Rééquilibrer le rapport de force
Face à ce constat, Amnesty appelle les Etats à « reprendre la main ». Comment ? En s’appuyant sur le droit de la concurrence. Le droit de la concurrence et les cadres antitrust existants fournissent des outils puissants (pouvoirs d’enquête, recours structurels et comportementaux) pour lutter contre les atteintes aux droits humains liées à l’abus de position dominante, appuie l’ONG. Celle-ci n’y va donc pas par quatre chemins : il faut démanteler les Gafam, avance-t-elle explicitement. Elle plaide aussi pour des obligations d’interopérabilité, de portabilité des données, et un contrôle strict des acquisitions afin d’empêcher la reconstitution de monopoles numériques. « Protéger les droits humains impose de rééquilibrer le rapport de force entre les citoyens et ces acteurs privés surpuissants », conclut le rapport.
La recommandation d’Amnesty s’inscrit dans un contexte où les régulateurs, aux Etats-Unis comme en Europe, multiplient déjà les offensives contre les Big Tech. Procès antitrust contre Google, enquêtes de la Commission européenne sur Amazon et Meta, débats sur la régulation de l’IA : la ligne de fracture se durcit. Mais l’appel à « briser » les géants numériques promet d’enflammer le débat. Car, au-delà de la concurrence, c’est désormais la place de ces entreprises dans nos démocraties qui est remise en cause.
Par Philippe Laloux,

SOURCE / Le SOIR : https://www.lesoir.be/695648/article/2025-08-28/demanteler-les-gafam-la-riposte-radicale-damnesty-pour-sauver-les-droits-humains
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