Pour les parents dont l’éducation se détourne du sexisme systémique de notre société, l’arrivée de leurs fils à l’école peut être difficile à vivre, voire décourageante. En cause, notamment, les stéréotypes de genre toujours présents dans les milieux scolaires.
«La société apprend aux garçons à être violents, à être égoïstes, à ne pas avoir d’émotions… Donc toi, t’es là en tant que maman à essayer d’inculquer ces valeurs-là, mais la société te fait un push back», lâche l’influenceuse Claire-Lise Laplace (alias «Maman Froggy»), sur le réseau social TikTok.
Dans une vidéo publiée en novembre 2024 (à retrouver ci-dessous), elle détaille les difficultés concernant l’éducation de ses fils depuis leur arrivée à l’école: «Il y a plein de choses que j’avais mises en place qui sont, j’ai l’impression, doucement grappillées et détruites par la société.» Une peur notamment centrée autour de la recherche de «la validation masculine et extérieure», qui deviendra de plus en plus forte à mesure que ses fils grandiront, s’inquiète-t-elle.
Mais Claire-Lise Laplace n’est pas la seule à ressentir cela. Dans l’espace commentaires sous la vidéo, plusieurs autres mamans, qui essaient d’adopter une éducation non genrée et féministe, se livrent elles aussi sur leurs inquiétudes. «J’ai un petit garçon et cette montée du masculinisme me fait peur, alors j’essaie qu’il développe au maximum son esprit critique et son empathie… pendant que je le peux encore», confie l’une d’entre elles. «Mon garçon adorait le rose avant d’aller à l’école et au bout de deux semaines en maternelle, il m’a dit “non, ça c’est pour les filles”», témoigne une autre.
Des milieux de socialisation «poreux»
Face aux stéréotypes de genre et à la montée des idées masculinistes, le sentiment d’impuissance peut décourager certains parents. Pourtant, Maëlle Challan Belval, spécialiste en éducation affective et sexuelle, conseille de «persévérer dans la transmission des valeurs qui sont importantes pour nous». «L’éducation familiale est constante et s’inscrit dans la durée», assure-t-elle.
Pour la présidente de Comitys, un organisme qui intervient en milieu scolaire auprès de 13.000 enfants et adolescents par an, «ces repères genrés s’atténueront avec le temps». Selon elle, il faut garder en tête que la socialisation des enfants et adolescents évolue au fil du temps et se base non seulement sur l’éducation au sein de la famille, mais aussi à l’extérieur du foyer: à l’école, sur les réseaux sociaux, auprès des amis, etc.
«Les stéréotypes de genre et de sexe sont partagés dans toutes les écoles. On est quand même dans un système fondé sur le sexisme.» Johanna Dagorn, docteure en sciences humaines et sociales
C’est d’ailleurs ce que précise la sociologue Gabrielle Richard, spécialiste des questions de genre et de sexualité, dans l’épisode «Comment élever les garçons?» du podcast Un podcast à soi d’Arte Radio, mis en ligne en juin 2023. «En matière d’éducation, on n’est pas en capacité d’isoler l’effet d’une variable [de la socialisation d’un enfant, ndlr] au-delà d’une autre. On est sur des milieux qui sont poreux», indique la sociologue.
Une porosité qui se retrouve donc tout particulièrement entre le milieu scolaire et le cadre familial, deux piliers de l’éducation des enfants. «Quand je forme du personnel éducatif, on me dit systématiquement: “Oui, mais ça se joue en amont dans la famille”. Et quand je fais des entretiens avec des parents, eux me disent: “Oui, oui, je mets plein de choses en place, mais tout fout le camp à l’école”.»
«Une progression des droits, mais aussi une progression des stéréotypes»
Pour Johanna Dagorn, docteure en sciences humaines et sociales, qui a été responsable de la lutte contre les violences sexistes au sein d’une délégation ministérielle chargée de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, toutes ces réflexions autour de l’éducation féministe des garçons est «plutôt une bonne nouvelle» et l’attention des parents sur ce sujet est quelque chose de «très nouveau». «Jusqu’à présent, les parents ont toujours dit, dans les enquêtes et entretiens que j’ai menés, qu’ils expliquaient à leurs filles comment faire attention, etc. À chaque fois, je rétorquais: “Et qu’est-ce que vous dites à vos garçons?”. Généralement, je n’avais pas de réponse.»
Selon la coautrice du Petit guide du genre (avec Arnaud Alessandrin, paru en juin 2025), ces réactions montrent bien qu’un changement est en cours au sein de la société. «Depuis la Manif pour tous et l’après-#MeToo, les choses bougent, retrace Johanna Dagorn. Jusque-là, on avait enlevé des droits élémentaires. Maintenant, on rétablit des droits», notamment pour les femmes et les minorités. Mais comme tout changement, «il y a forcément des résistances». «Certains parents “traditionnels” sont réactionnaires, parce qu’ils se sentent particulièrement en danger, analyse la sociologue. Les stéréotypes de genre et de sexe sont partagés dans toutes les écoles. On est quand même dans un système fondé sur le sexisme.»
Si ce type d’idées reçues est particulièrement ancré, c’est également à cause du contexte actuel, précise la sociologue. «En période de crise, on a besoin d’être réconforté et les stéréotypes, ça ne bouge pas. Ce sont des “prêts-à-penser” qui rassurent. Il y a donc à la fois une progression des droits, mais aussi une progression des stéréotypes.»
Une intégration essentielle pour leur bien-être
Pour l’intervenante en milieu scolaire Maëlle Challan Belval, l’intégration sociale, bien souvent influencée par l’effet de groupe et le mimétisme, reste malgré tout centrale pour le développement de l’enfant. «Il faut garder à l’esprit que les enfants doivent s’intégrer dans un monde de pairs, rappelle-t-elle. C’est parfois compliqué pour eux. Ils font face à des clans, avec des forces de jugement et baignent dans une culture qui répartit les rôles de manière très caractérisée.» Au fur et à mesure qu’ils grandissent, ces «catégorisations faciles» deviennent ainsi les repères que les garçons recherchent pour se construire, ajoute l’autrice de Oser parler d’amour et de sexualité avec ses enfants (janvier 2024).
Un point également soulevé par la sociologue Johanna Dagorn. «Les enfants et adolescents construisent leur identité en étant les mêmes, détaille-t-elle. La question de la sociabilisation pour les enfants est primordiale. Il faut qu’ils aient des copains, sinon la scolarité peut mal se passer.»
Mais, lorsque les enfants essaient petit à petit d’assumer leur individualité, la spécialiste reconnaît cependant qu’il est «plus difficile pour un garçon d’exprimer ses émotions, d’être ramené au féminin, que pour une fille d’être ramenée au masculin. Car le masculin est toujours valorisé, aussi bien financièrement et économiquement, que physiquement ou mentalement.»
Mais cette volonté d’intégration ne doit en aucun cas freiner la fermeté à avoir en réaction aux propos grossophobes, sexistes ou encore homophobes, estiment les deux expertes. Le tout est de continuer les démarches visant à expliquer et faire réfléchir l’enfant sur la situation, tout en leur montrant plus d’«images de ce qu’est être un mec bien», avance Maëlle Challan Belval.
Afin d’aider les parents dans ce processus, l’intervenante en milieu scolaire livre trois conseils. «Tenez bon comme dans tout effort éducatif; continuez à cultiver leur esprit critique, à réfléchir avec eux quand vous voyez une série sur leurs écrans ou entendez des propos qui méritent réflexion; et ne mettez pas sur leurs épaules les combats des adultes. Ce sont encore des êtres en formation. Ils vont faire des pas en avant, des pas en arrière, mais c’est normal.»
Elena Gillet – Édité par Émile Vaizand –
SOURCE : https://www.slate.fr/enfants/pourquoi-education-garcons-valeurs-feministes-devenu-complique-parents-societe-ecole-stereotypes-genre-sexisme
Commentaires récents