Les mots sont le réceptacle de nos préjugés, de nos croyances et de nos présupposés.

Mais pour lui enseigner cela, tu devras toi-même questionner ton propre langage. Une de mes amies affirme par exemple quelle n’appellera jamais sa fille «princesse». Les gens utilisent ce surnom avec d’excellentes intentions, mais le mot « princesse» est chargé de présupposés sur la délicatesse de la petite, sur le prince qui viendra la sauver, etc. Mon amie préfère appeler sa fille « mon ange » ou « mon étoile ».

Décide donc toi-même des choses que tu ne diras pas à ton enfant. Parce que ce que tu lui dis compte. C’est ce qui lui enseigne la valeur quelle doit attacher aux choses. Tu connais cette plaisanterie igbo, qu’on utilise pour taquiner les filles qui se montrent trop puériles : «Enfin voyons! Tu es pourtant assez grande pour te trouver un mari!» Je disais souvent ça. Mais j ai choisi désormais de ne plus le faire. Je dis : «Tu es assez grande pour te trouver un boulot. » Parce que je ne crois pas que le mariage soit quelque chose que l’on doit apprendre aux jeunes filles à désirer.

Essaie de ne pas employer trop souvent des mots comme «misogynie» ou «patriarcat» avec Chizalum. Nous les féministes, nous utilisons parfois trop de jargon, et ce jargon peut sembler trop abstrait. Ne te contente pas de cataloguer quelque chose comme misogyne, dis-lui pourquoi c’est le cas, et dis-lui ce qu’il faudrait faire pour que ça ne le soit pas.

Apprends-lui que si l’on critique X chez les femmes mais pas chez les hommes, alors c’est que l’on n’a pas de problème avec X, mais que l’on a un problème avec les femmes. Remplace X par des mots comme : «colère», «ambition», «grande gueule», «entêtement», «froideur», «cruauté».
Apprends-lui à poser des questions comme celle-ci : quelles sont les choses que les femmes ne peuvent pas faire parce que ce sont des femmes ? Ces choses possèdent-elles un certain prestige dans notre culture? Si c’est le cas, pourquoi seuls les hommes peuvent-ils faire ce qui a du prestige ?

Prendre des exemples tirés du quotidien peut aider, me semble-t-il.
Tu te souviens de cette publicité à la télé qui passait à Lagos, dans laquelle un homme cuisine et sa femme l’applaudit? Le vrai progrès, ce sera quand elle ne l’applaudira pas lui, mais se contentera de réagir au plat en tant que tel : elle peut complimenter ce plat ou non, tout comme il peut complimenter ou non sa cuisine à elle, mais ce qui est sexiste, c’est qu’elle le félicite pour avoir entrepris de cuisiner, car de telles louanges sous-entendent que cuisiner est une activité intrinsèquement féminine.

Tu te souviens de cette mécanicienne à Lagos, que le portrait du journal présentait comme une « dame mécanicienne»? Apprends à Chizalum qu’une femme est une mécanicienne, pas une «dame mécanicienne».

Fais-lui remarquer à quel point c’est grave de voir un homme qui a embouti ta voiture dans la circulation de Lagos sortir de son véhicule et te dire d’aller chercher ton mari parce qu’il lui est impossible de « traiter avec une femme ».

Au lieu de te contenter de le lui dire, montre-lui à l’aide d’exemples que la misogynie peut être explicite ou qu’elle peut être subtile, et que dans les deux cas elle est odieuse.
Apprends-lui à remettre en cause ces hommes qui ne peuvent avoir de l’empathie pour les femmes qu’à condition de se les représenter comme des proches, au lieu de les considérer comme des individus, êtres humains égaux. Ces hommes qui, quand on parle du viol, diront toujours quelque chose du genre : «Si ç’avait été ma fille, ma femme ou ma sœur. » Pourtant, ces hommes n’ont pas besoin de se représenter une victime de crime de sexe masculin comme un frère ou un fils pour ressentir de l’empathie. Apprends-lui aussi à remettre en cause l’idée que la femme serait une espèce à part. J’ai un jour entendu un politicien américain, désireux de démontrer son soutien aux femmes, évoquer la façon dont il fallait les «vénérer» et «défendre leur cause »… Un sentiment bien trop répandu.

Dis à Chizalum qu’en réalité les femmes n’ont pas besoin qu’on «défende leur cause» ou qu’on les «vénère» : elles ont juste besoin qu’on les traite en êtres humains égaux. Il y a quelque chose de paternaliste dans l’idée que les femmes ont besoin d’être «défendues et vénérées» parce que ce sont des femmes. Cela me fait penser à la galanterie, et le postulât de la galanterie, c’est la faiblesse féminine.