À en croire la manière dont l’âge est évoqué dans les sociétés dites occidentales, la vieillesse avancée est une malédiction dont il convient de combattre toutes les manifestations possibles. L’âge est ainsi une réelle source d’insécurité pour les femmes. La vieillesse féminine étant particulièrement infamante, il revient aux femmes de déployer des trésors d’ingéniosité pour masquer les signes témoignant d’un processus pourtant inéluctable : l’écoulement du temps. Celui-ci est abordé telle une fatalité provoquant irrémédiablement la dégradation des individus, celle des femmes en particulier.
Les manifestations physiques du temps sont traitées comme de redoutables dangers à repousser dans la temporalité la plus lointaine qui soit. Au point d’avoir créé d’absurdes produits cosmétiques féminins qui assurent être « anti-âge », comme si l’on pouvait raisonnablement ambitionner de lutter contre son âge. Sauf à mettre un terme à sa vie, comment peut-on sérieusement imaginer vaincre son âge comme s’il s’agissait d’un ennemi ? Au fil des années, les signes de vieillissement – comme l’apparition des rides ou la transformation des corps dont les courbes présentent une ligne de moins en moins ferme – semblent réduire leur valeur sociale.
Cette pression est moindre pour les hommes, dont on valorise les marques de vieillesse (tempes grisonnantes, rides au coin des yeux) comme autant de signes de leur maturité, quand, chez les femmes, ces signes sont perçus comme d’odieux stigmates préfigurant la déchéance physique. La quarantaine est d’ailleurs dans notre société un marqueur, qui peut être perçu comme le début de la fin de la vie glamour d’une femme, alors qu’un homme est considéré comme à l’acmé de sa séduction.
Notre société semble enferrer le pic de désirabilité des femmes entre leurs 20 et 25 ans, seuil au-delà duquel leur histoire devient celle d’une lente chute qui les éloigne jour après jour de leurs années les plus glorifiées socialement, les condamnant à tenter désespérément de reproduire les signes physiques de cette période durant le reste de leur vie. La culture populaire dépeint d’ailleurs souvent les vieilles femmes comme de méchantes personnes qu’on imagine aigries de leur décrépitude.
Il faut y ajouter cette idéalisation de la féminité adolescente narrée à l’envi à travers toutes les Lolita de la littérature et les American Beauties du cinéma. L’industrie de la mode ou de la beauté n’hésite pas à solliciter des mannequins à peine sortis de l’adolescence et à les présenter comme des idéaux à des femmes autrement plus âgées. Lorsqu’une influenceuse témoigne de son recours à une vaginoplastie, en vantant : « J’ai rajeuni mon vagin, comme si j’avais 12 ans », l’ensemble des commentateurs·rices semblent effaré·es. Pourtant, elle se contente de reproduire – en l’exagérant à peine – l’idéologie dominante qui hypersexualise des corps féminins extrêmement jeunes et les place dans une forme d’idéal sacralisé. C’est ce processus qui conduit des femmes à penser que leur vagin peut être trop vieux.
Au passage, plaire et séduire n’est pas l’alpha et l’oméga de nos vies. Si les rides sont perçues comme des déformations à bannir, le visage qui se présente empreint de marques porte toutes les expériences qui nous constituent. Accepter les transformations, c’est accueillir tout ce que charrie une trajectoire de vie. Le fait de s’accepter n’interdit pas de prendre soin de cette machinerie complexe que constitue le corps humain.
L’âge situe également les femmes dans leur fertilité potentielle, la ménopause ayant longtemps été perçue comme le comble de l’inutilité, réduisant les femmes au rang d’improductives. Dans de nombreuses cultures, l’âge avancé des femmes n’occasionne pas la création d’un tel stigmate, au contraire, il peut renforcer significativement leur assise sociale. Chez les Aborigènes, les aînées détentrices d’une autorité morale et spirituelle jouent un rôle essentiel dans les rituels communautaires. Dans les sociétés traditionnellement matrilinéaires, comme les Minangkabau en Indonésie, les Mosuo de Chine ou les Akan du Ghana, les femmes jouissent d’une grande autorité sociale et économique, et influent dans la gestion des affaires familiales et des décisions impliquant leur communauté. Avancer en âge offre la possibilité de s’abreuver de connaissances et d’expériences qui, même si elles sont acquises dans la douleur, nous transforment et peuvent constituer le matériau qui rend les individus moins vulnérables. On peut aussi choisir de ne pas donner de signification particulière à son âge. Quoi qu’il en soit, aimer son âge et ce qu’il nous apporte implique un véritable renversement de valeurs.
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SOURCE : Diallo, Rokhaya. Dictionnaire amoureux du féminisme (pp. 20-22).
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