MESSAGE DU Dr DENIS MUKWEGE 
AUX FEMMES A L’OCCASION DE LA 
JOURNEE INTERNATIONALE DE LA FEMME .  Bukavu le 08 mars 2019

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Mesdames et Mesdemoiselles
Mes chères mères, mes chères sœurs, mes chères filles,
Vous êtes, en ce moment, nombreuses à vous réunir à la place de l’indépendance, à Bukavu, comme dans plusieurs autres villes de notre pays et du monde, pour célébrer la journée internationale de la femme.
Je voudrais tout d’abord vous saluer chaleureusement et vous remercier pour l’invitation que vous m’avez adressée.
Je voudrais ensuite m’excuser de ne pas être physiquement avec vous. Je suis en ce moment retenu à l’hôpital de Panzi pour prodiguer des soins urgents.
Toutefois, même au loin, je suis de cœur avec vous. Comme ces deux dernières décennies, je m’associe à vos joies, à vos douleurs, à vos luttes et à vos espérances.
Mesdames,
Vous célébrez aujourd’hui la journée internationale de la femme ; c’est une très bonne chose. Mais, que signifie cette journée du 8 mars 2019 pour la femme Congolaise ?
Doit-elle être une simple journée de fête où l’on s’habille bien, on boit, on mange et on se réjouit et le lendemain la souffrance recommence ?
Doit-elle être une journée de méditation où l’on réfléchit sur sa propre situation et son avenir en tant que femme ?
Ou une journée de célébration de l’indépendance et de la dignité de la femme ? Pourtant, vous le savez bien, cette indépendance est encore loin, très loin pour nombreuses parmi vous.
Ou, devrait-elle être une journée mémorielle, pendant laquelle on réfléchit sur les souffrances endurées par la femme Congolaise depuis des décennies ?
S’il m’était permis de donner un sens à cette journée, j’aurais souhaité qu’elle soit une journée de conscientisation de la femme Congolaise afin qu’elle comprenne une fois pour toutes qu’il y a belle lurette que ses droits sont bafoués et qu’il est temps qu’elle occupe la place qu’elle mérite dans notre société.
Mesdames,
Nous avons une des meilleures Constitutions de la planète en ce qui concerne les droits de la femme. Mais malheureusement, vous ne jouissez pas des droits que vous garantit cette Constitution.
Récemment, j’ai été aux Etats-Unis. J’y ai rencontré des amies américaines appartenant à l’ ERA (EQUAL RIGHTS AMENDMENT). Ce mouvement se bat depuis des années pour que la femme soit reconnue comme l’égale de l’homme dans la Constitution américaine.
En effet, selon leur Constitution, la femme américaine n’est pas reconnue égale à l’homme. Les femmes américaines ont arraché le droit de vote depuis 1920. Mais depuis, elles se battent pour que la Constitution reconnaisse l’égalité du genre ; hélas sans succès à ce jour.
Dans la vie quotidienne il y aura bientôt 100 ans que cette lutte se poursuit, mais les femmes américaines attendent toujours de jouir d’une égalité du genre qu’une femme Congolaise a déjà de droit. Certainement que la femme Congolaise envierait la femme américaine quant à la jouissance de l’égalité du genre dans son pays.
En effet, pour vous, femmes congolaises, non seulement la Constitution vous reconnaît comme égales à l’homme, mais surtout elle exige l’effectivité de la parité dans toutes les institutions et à tous les niveaux.
La Constitution consacre, dans son article 14, la représentation équitable des femmes au sein des institutions nationales, provinciales et locales. Elle stipule même que l’Etat garantit la mise en œuvre de la parité homme-femme dans lesdites institutions et que la loi fixe les modalités d’application de ces droits.
Cependant, dans la pratique, l’Etat congolais n’a jamais assuré la mise en œuvre de cet article malgré les modalités d’application des droits de la femme et de la parité, fixées dans la Loi n°15/013 du 1er août 2015 signée et promulguée par l’ancien Président de la République.
Dans le domaine de la représentation politique des femmes, la Loi électorale actuelle a carrément ignoré ces dispositions. A mes yeux, cela constitue une preuve flagrante de l’absence de la volonté du pouvoir public de faire respecter la Constitution de la République. Cette Loi électorale est discriminatoire et n’a pas permis la majorité de la population que constituent les femmes d’accéder de façon paritaire aux postes de responsabilité et de décision politique.
Malgré les discours démagogiques des hommes politiques de notre pays sur la parité (50/50) consacrée par notre Constitution, les statistiques sont là pour nous rappeler la triste réalité. Les droits des femmes sont en régression. Pour ne parler que des droits à la représentation des femmes dans les institutions politiques congolaises, lors des dernières élections, seulement 50 femmes sur un total de 485 ont été élues députées nationales. Quelle honte! Cela représente 10,3 % de l’Assemblée Nationale.
Ici au Sud-Kivu, c’est encore pire ; seules 3 femmes sur un total de 44 députés ont été élues comme membres de l’Assemblée Provinciale. Cela ne représente que 6,8%.
Ces chiffres nous montrent que dans ce domaine comme dans tant d’autres, le combat pour le droit reste d’une actualité brûlante.
Le droit des petites filles à vivre dans un environnement sécurisé, loin des risques de viols et d’autres violences sexuelles.
Le droit d’accéder à l’école.
Le droit pour les femmes de s’exprimer, de travailler, de vivre sans peur, aller au champ sans peur, aller chercher de l’eau sans craindre qu’on puisse être violée. Vivre sans peur de ne pas subir la violence des hommes et de la société.
Mesdames,
Au regard de ce qui précède, il est évident que cette journée consacrée aux droits de la femme devrait aller au-delà de la forme classique dans laquelle elle a été célébrée les années antérieures.
Les nouveaux dirigeants qui président aux destinées de notre pays doivent s’engager de manière concrète et maintenant.
J’en appelle à la conscience, au sens de responsabilité et au patriotisme du nouveau Président, Son Excellence Félix Tshisekedi.
Monsieur le Président, si vous voulez remplir votre mission et non la trahir, vous devez éviter de trahir la lutte et la mémoire d’Etienne Tshisekedi, le Père de notre démocratie. Vous devez éviter de trahir l’aspiration du peuple congolais au changement réel et profond.
Malgré la signature des accords entre votre plate-forme politique Cap pour le Changement (CACH) et celle de l’ancien président, Front Commun pour le Congo (FCC), il n’est pas tard pour vous de vous ressaisir et mettre en place une cohabitation politique susceptible de vous permettre d’assumer pleinement les prérogatives de votre fonction de Président de la République, garant de la Constitution et sans contrainte de ceux qui ont géré hier de façon médiocre.
En ce qui concerne les droits des femmes, comme ceux de l’ensemble de la population congolaise, nous vous demandons de les respecter et de faire respecter la Constitution.
Au regard des dégâts causés par les injustices liées à la Loi électorale, aux élections chaotiques du 30 décembre 2018, avec toutes les femmes engagées pour un Etat de droit au Congo, nous demandons que toutes les institutions qui ne sont pas encore mises en place soient paritaires comme l’exige la Constitution et les lois de notre pays ; à savoir : le Senat (devrait être paritaire), le Gouvernement central (devrait être paritaire), les Gouvernements provinciaux (devraient être paritaires), les pouvoirs locaux devraient même être cédés aux femmes pour compenser l’injustice qu’elles ont subie au niveau des assemblées provinciales et à l’Assemblée Nationale, les entreprises publiques, etc.
C’est ça l’innovation pour le changement.
Cette compensation est légitime pour parvenir à une équité que promeut notre Constitution. Vous aurez ainsi rempli votre devoir de garant de la Constitution.
Mesdames,
Vous ne devez pas considérer cela comme une faveur ou un cadeau. C’est légal, c’est votre dû.
Le système mis en place par le régime passé était non seulement excessivement patriarcal, mais il n’a jamais respecté la Constitution de notre pays.
Nous espérons que le pouvoir actuel va changer les choses pour enfin restaurer un Etat de droit.
C’est ainsi que nous lui recommandons de ne pas opter pour une coalition mais pour une cohabitation politique qui lui permettrait d’avoir la liberté nécessaire pour faire respecter la Constitution, mettre en place les mesures politiques capables de redresser la vie sociale, économique et culturelle de notre pays. C’était l’aspiration des Pères de notre indépendance, c’était l’aspiration des pionniers de notre démocratie, c’est l’aspiration du peuple congolais aujourd’hui.
Mesdames,
Je conclue en encourageant les femmes du monde entier qui luttent aux côtés des hommes positifs pour la dignité de la femme de ne pas baisser pavillon, de poursuivre le combat, car la victoire de l’égalité femme-homme est à notre portée.
Ne gagnent que ceux qui luttent. Notre engagement commun aura abouti lorsque la Journée Internationale de la Femme n’aura plus de raison d’exister car chaque jour sera le jour de la femme et de l’homme unis dans la dignité.
Je vous remercie.
Dr Denis MUKWEGE

Médecin Directeur de l’Hôpital de Panzi
Prix Nobel de la Paix 2018.

CE QU’IL FAUT RETENIR DU DISCOURS DU PRIX NOBEL DE LA PAIX A L’OCCASION DE LA JIF DU 8 MARS

  1. Pour le Dr Mukwege, le 8 mars est une journée de lutte, de combat et non pas une simple « journée de fête où l’on s’habille bien, on boit, on mange et on se réjouit et le lendemain la souffrance recommence« . Il encourage   » les femmes du monde entier qui luttent aux côtés des hommes positifs pour la dignité de la femme de ne pas baisser pavillon, de poursuivre le combat, car la victoire de l’égalité femme-homme est à notre portée. Ne gagnent que ceux qui luttent« .  Et il ajoute : «  il est évident que cette journée consacrée aux droits de la femme devrait aller au-delà de la forme classique dans laquelle elle a été célébrée les années antérieures ». C’est exactement ce qu’a proposé l’Observatoire de la parité en appelant les femmes à boycotter le « 8 mars officiel » et à faire la grève, particulièrement la grève du travail domestique pour sensibiliser les hommes et les garçons à la problématique de l’inégalité femme/homme et à ses causes, ses racines profondes. 2019 n’a été qu’un début, le 8 mars 2020 sera véritablement, comme le souhaite le Dr. Mukwege « une journée de conscientisation de la femme Congolaise ».
  2. Ce combat doit être mené « aux côtés des hommes positifs », c’es-à-dire ceux qui mettent en pratique la « masculinité positive ». C’est aussi ce que préconise l’Observatoire de la parité comme en témoigne la vingtaine d’articles publiés dans la rubrique HEFORSHE de son magazine en ligne féministe « Debout Congolaises ». Il est temps que les hommes congolais deviennent féministes eux aussi et contribuent à mettre fin à un système « excessivement patriarcal« .
  3. Pour le Prix Nobel, la  « Loi électorale est discriminatoire et n’a pas permis la majorité de la population que constituent les femmes d’accéder de façon paritaire aux postes de responsabilité et de décision politique ». Et il en donne pour preuves quelques uns des chiffres et statistiques que l’on peut trouver dans le Rapport final de l’Observatoire de la parité sur l’implication de la femme dans les élections. C’est aussi dans ce but de mettre fin aux « dégâts causés par les injustices liées à la Loi électorale » que l’Observatoire de la parité à introduit, à deux reprises, une requête en inconstitutionnalité de la loi électorale ( Cliquez ici REQUETE0001 )et exige que cette loi soit modifiée pour en supprimer les obstacles à la participation politique de la femme et pour y introduire des mesures de discrimination positive.
  4. Le Dr Mukwege préconise aussi cette « discrimination positive » (en d’autres mots) puisqu’il demande « que toutes les institutions qui ne sont pas encore mises en place soient paritaires » et qu’il propose une formule de « mesure spéciale temporaire » (autre nom de la discrimination positive) ou encore de « compensation » en déclarant que  » les pouvoirs locaux devraient même être cédés aux femmes pour compenser l’injustice qu’elles ont subie au niveau des assemblées provinciales et à l’Assemblée Nationale, les entreprises publiques, etc. »  L’Observatoire de la parité le rejoint totalement quand il dit : « Cette compensation est légitime pour parvenir à une équité que promeut notre Constitution ». Pour nous, cette compensation n’est pas seulement « légitime », elle est la voie obligée pour faire progresser la parité en RDC.
  5. Enfin, il recommande au « pouvoir actuel » « de ne pas opter pour une coalition mais pour une cohabitation politique »   Le Prix Nobel n’a pas été entendu. Le « pouvoir présidentiel », non élu démocratiquement mais nommé, a préféré se coaliser avec un pouvoir législatif, lui aussi en grande partie nommé plutôt qu’élu. Il n’aura donc pas « la liberté nécessaire pour faire respecter la Constitution, mettre en place les mesures politiques capables de redresser la vie sociale, économique et culturelle de notre pays ». Et nous ajoutons pour mettre fin, selon les mots du Dr., à « un système mis en place par le régime passé » qui  » était non seulement excessivement patriarcal », mais aussi qui « n’a jamais respecté la Constitution de notre pays ».