En début de semaine, un comité d’experts a remis au président français Emmanuel Macron un rapport de 125 pages sur l’exposition des enfants et des adolescents aux écrans. Après trois mois de travaux avec « près de 150 jeunes rencontrés et plus d’une centaine d’experts et professionnels auditionnés », 29 propositions ont été établies. Dans sa synthèse, le rapport rappelle d’abord les contributions directes ou indirectes des écrans aux troubles du sommeil, de sédentarité, d’obésité, ou aux problèmes de vue. Il mentionne également les effets délétères possibles sur les personnes sujettes à l’anxiété ou à la dépression, et les dangers d’une exposition à des contenus violents et des représentations stéréotypées.
Pour contre-attaquer face à l’assaut des écrans sur les enfants et les adolescents, le comité d’experts propose des mesures radicales : pas d’écran avant 3 ans, « un accès déconseillé » avant l’âge de 6 ans, et après 6 ans, « une exposition modérée et contrôlée ».Des balises idéales, mais peu réalisables
Ces jalons ne sont pas nouveaux dans le milieu de la prévention. Sur un mode similaire, la règle des « 3-6-9-12 », élaborée en 2008 par le psychiatre Serge Tisseron, détaillait des usages ciblés par âge : pas d’écran avant 3 ans, pas de jeu vidéo avant 6 ans, pas d’internet seul avant 9 ans, un accès à internet possible à 12 ans. Ces recommandations avaient d’ailleurs été relayées par la Fédération Wallonie-Bruxelles dans une campagne de 2023 : « Ne laissons pas les écrans faire. »
Selon Pascal Minotte, psychologue et chercheur au Centre de référence en santé mentale (Crésam), ces recommandations relèvent davantage d’un « point de vue scientifique idéal ». « Dans la réalité des faits, vous vous rendez compte que tous les enfants, à quelques exceptions, manipulent des tablettes, regardent des dessins animés de temps en temps », relève-t-il. Pour lui, ce type de règles entraîne surtout une culpabilisation des parents, et plus particulièrement des mères, en les mettant dans « une dynamique d’échec ».
Reste que les écrans ne doivent pas se mettre en travers du développement des enfants et de leur stimulation. « Le problème avec les écrans chez les tout-petits est la concurrence qu’ils vont faire par rapport à d’autres activités importantes pour leur développement, notamment ce qui relève de la stimulation verbale », pointe le chercheur.
Limiter l’accès à des réseaux sociaux éthiques ?
La Commission française s’est aussi emparée de la question de l’usage des smartphones et des réseaux sociaux. Là aussi, elle recommande des paliers d’âge. Pas de téléphone avant 11 ans, puis à 11 ans, un téléphone sans connexion Internet, à 13 ans, un téléphone connecté sans accès aux réseaux sociaux ni aux contenus illégaux, et à partir de 15 ans, un « accès complémentaire aux réseaux sociaux éthiques ».
« Des balises, il en faut. Un enfant relativement jeune ayant un smartphone connecté à internet, c’est toujours interpellant. Cela pose principalement la question de l’adéquation des contenus auxquels il va avoir accès, notamment la pornographie », commente Pascal Minotte.
Mais le chercheur s’alarme des régulations vis-à-vis des 13 et 15 ans. Selon lui, elles incarnent un durcissement par rapport à d’anciennes balises recommandant un smartphone connecté à partir de 12-13 ans. « On quitte la question des données scientifiques pour arriver à une entreprise quand même très politique et idéologique. Une certaine idée de l’adolescent et d’une jeunesse qu’il faudrait discipliner, dont l’imaginaire a été perverti ou est perverti par les médias sociaux. C’est une musique assez présente en France », s’inquiète-t-il.
Des critères flous
Dans le rapport, la Commission renvoie aux autorités étatiques le soin d’identifier les réseaux considérés comme non éthiques, et qui seraient soumis à « un contrôle strict de non-accessibilité ». Par éthique, la Commission entend des réseaux « fonctionnant selon des principes connus et garantissant l’absence de mécanismes addictogènes et enfermant ainsi que de contenus préjudiciables pour les jeunes ».
Une définition qui laisse le champ large aux interprétations. « Ce qui va être considéré comme éthique par les experts de la Commission, ne sera peut-être pas la même chose que pour les politiques qui vont légiférer, par exemple, au niveau européen. Qui sera en train de légiférer ? Une sensibilité plutôt libérale, plutôt de gauche, plutôt de droite, plutôt extrême ? », interroge Pascal Minotte.
Des modes de vie en cause
Outre les recommandations préconisant des « bornes d’âge », la Commission insiste sur la nécessité de mener une réflexion plus large autour de nos modes de vie, la place et des besoins des enfants dans notre société.
« Les bons parents ne sont plus du tout invités à laisser leurs enfants sortir après l’école, pour aller socialiser avec des copains ou jouer dans la rue. On a des adolescents qui sont “confinés” à la maison et forcément les espaces numériques constituent des nouveaux territoires dans lesquels ils vont retrouver de l’autonomie, de la liberté », précise Pascal Minotte. Et le chercheur de mettre en avant une autre proposition du rapport qui invite à « peupler l’espace public d’alternatives aux écrans pour les enfants, et redonner à ces derniers toute leur place, y compris bruyante » là où la tendance est plutôt de les exclure des hôtels, des restaurants ou encore des avions…
Par Lola Fonta (St.)
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