Le cardinal Monsengwo : « Tshisekedi aurait dû reconnaître sa défaite »

Le cardinal Monsengwo : « Tshisekedi aurait dû reconnaître sa défaite »

Le cardinal Laurent Monsengwo est à Bruxelles cette semaine. L’occasion d’une rencontre avec cet acteur majeur de la scène congolaise depuis plus de trente ans. L’homme n’a rien perdu de sa conviction.

Vous avez confirmé, au Sénat belge, que pour la Conférence épiscopale congolaise (Cenco), le vainqueur de l’élection présidentielle était Martin Fayulu. Que peut faire celui-ci pour que soit reconnue sa victoire ? Y a-t-il encore de l’espoir pour lui ?

Oui. Nous avons bien fait de diffuser les chiffres. Ceux qui ont financé le déploiement de nos observateurs l’ont fait pour que ceux-ci récoltent les résultats affichés bureau de vote par bureau de vote. Malheureusement, l’occasion d’afficher ces résultats n’a pas été totalement donnée aux agents de la Ceni (Commission électorale nationale indépendante) mais nos observateurs ont pu prendre environ 73 % des procès-verbaux. Nos chiffres ont été compilés pour être diffusés, pas pour être cachés. D’autant qu’ils sont similaires à ceux rapportés par Cach (NdlR : la coalition Tshisekedi/Kamerhe) et à ceux des Églises protestantes. Martin Fayulu doit continuer à faire ce qu’il a fait jusqu’ici – soit le contraire de ce qu’on veut lui faire faire. Il doit s’efforcer de faire éclater la vérité des urnes. Son combat, c’est celui du peuple.

Mais de quels leviers dispose-t-il, concrètement, alors que la Cour constitutionnelle a dit sa requête non fondée ?

La Cour constitutionnelle est inféodée. Le peuple voulait que disparaisse le système de gouvernance de Kabila ; ce n’est pas une affaire de personne, c’est une affaire de système. C’est ce que dit le peuple.

Mais personne ne l’entend…

Nous ne pensons pas. On a dit que l’Union africaine avait reconnu Tshisekedi. Or, quand M. Tshisekedi s’est rendu à Luanda, le président Joao Lourenço avait fait déployer le drapeau angolais, pas celui du Congo. Et lorsque leurs entretiens ont été terminés, qu’a-t-il donné à Félix Tshisekedi ? Il lui a dit : puisque le régime a changé, reprenez vos réfugiés. Ces gestes, cela voulait dire : je reçois un commerçant, avec lequel je fais des accords.

À l’Union africaine, on l’a cependant élu comme un des vice-présidents de la Commission africaine.

Oui. (Rire) Cela ne veut rien dire…

Comment se fait-il que la population n’ait pas protesté devant le tour de passe-passe électoral ?

La population proteste par sa manière d’accueillir Martin Fayulu en triomphe, partout où il est passé après les élections – Kinshasa, Beni, Butembo, Goma, Kikwit, Masi-Manimba, Matadi.

Mais cela ne change pas les choses.

Après les élections, la Cenco, les confessions religieuses, les acteurs politiques et Fayulu lui-même ont appelé le peuple au calme ; c’est très important pour comprendre pourquoi le peuple est resté calme malgré sa déception. Plusieurs fois, d’ailleurs, le peuple a réclamé des armes mais Martin Fayulu a dit : c’est un combat démocratique. Il faut se rappeler qu’avant les élections, il y a eu beaucoup de morts lors des protestations (NdlR : contre le maintien au pouvoir de Joseph Kabila). La seule réaction de Joseph Kabila a été la répression dans le sang. Il est encore là ; son gouvernement est encore là ; sa police est là, son armée est là… Donc on voit la volonté du peuple dans sa mobilisation lorsque vient Martin Fayulu.

Que pensez-vous de l’attitude de l’Union européenne (qui a félicité Félix Tshisekedi) ? De la Belgique (qui l’a « félicité » malgré ses « nombreux doutes ») ?

Si vous ne comprenez pas les signaux qui vous sont envoyés, que voulez-vous qu’on vous dise ?

© reporters

Comment pouvaient-elles agir si les Congolais eux-mêmes n’organisaient pas les protestations violentes auxquelles les capitales étrangères s’attendaient ?

Pour qu’on les tue ? Qu’on les tue jusque dans les églises, comme cela s’est déjà fait ? La mobilisation, aujourd’hui, tient compte des précédents ; les manifestations sont donc pacifiques.

En Europe, on a l’impression que, pour la majorité des Congolais, même si Fayulu n’a pas vu sa victoire reconnue, il y a quand même alternance et qu’ils se contentent de ça. Tshisekedi est-il l’alternance pour la population ?

Il est nommé. Est-ce ce que la population attendait ? Je ne le pense pas.

Jusqu’à quand durera le mouvement de manifestations pacifiques ?

Tant que Fayulu réclamera la vérité des urnes.

Que pensez-vous qui va changer au Congo avec le passage d’un régime Kabila à un attelage Kabila-Tshisekedi ?

C’est le même régime. Rien n’a changé. Au contraire : c’est un Président nommé. Si vous vous contentez de cela, bon. Mais Fayulu va continuer à réclamer la vérité des urnes.

On sent un malaise au sein de la plateforme Lamuka (NdlR : qui appuyait Martin Fayulu lors de la campagne électorale). Kyungu, Endundo, Lutundula prennent leurs distances.

Ce n’est pas à partir de ceux qui s’en vont qu’on juge Lamuka ; les politiciens ont leur stratégie. Il faut une approche globale de la situation. (Il prend un ton sarcastique.) Croyez-vous que les positions des Européens soient si claires que ça ?

© AFP

Selon l’abbé Nshole, porte-parole de la Cenco, celle-ci reconnaît Tshisekedi comme Président. Comment peut-on reconnaître quelqu’un qui n’est pas élu ?

La Cenco a dit qu’il fallait commencer par afficher les résultats bureau de vote par bureau de vote et on trouvera une solution. Mais quand on a passé son temps à recevoir les gens pour faire une médiation et que, après, celle-ci n’est pas observée de bonne foi, qui est en faute ? Celui qui a fait la médiation ou celui qui ne l’a pas observée de bonne foi ?

En tant que cardinal, vous pensez que la Cenco n’a pas reconnu Tshisekedi ?

La Cenco, en son temps, avait donné sa position : il ne lui appartient pas de refuser l’investiture de M. Tshisekedi. L’Église accompagne les institutions pour y mettre la vérité. Et c’est cette vérité que nous voulons. Parce que c’est cette vérité qui apportera la paix au Congo.

Les élections au Congo se passent de plus en plus mal : celles de 2011 ont été plus mauvaises que celles de 2006 et celles de 2018 pires encore que celles de 2011. Comment l’expliquer et comment y remédier ?

Il y a une personne qui est la cause de cette organisation des élections…

La RDC est-elle condamnée à vivre en marge de la démocratie ?

Non. Et effectivement, la victoire de Kabila en 2011 ne correspondait pas à nos chiffres. Si on voulait mettre fin une fois pour toutes au système de gouvernance de Kabila, M. Félix Tshisekedi aurait simplement dû reconnaître sa claire et nette défaite, ne pas se faire nommer, féliciter le vrai vainqueur et le régime de Kabila se serait effondré.

On se focalise sur la présidentielle mais les résultats des législatives interpellent aussi…

Ces résultats, tels que proclamés par la Ceni, ne vont pas dans le sens de la logique du résultat de l’élection présidentielle, car quelqu’un qui vote pour un candidat Président ne va quand même pas voter aux législatives contre les partisans de ce candidat présidentiel !

© AFP

Que pensez-vous de l’attitude de l’Église au Kasaï (qui s’est réjouie de la « victoire » de Félix Tshisekedi, originaire du Kasaï) ? Elle a fait sécession ?

(Très sec) Elle n’a pas fait sécession. L’Église du Kasaï est celle qui nous a fourni l’ensemble des données. C’est l’archevêque de Kananga qui nous a donné l’ensemble des chiffres. C’est lui aussi qui nous a donné l’ensemble des dégâts au Kasaï.

Vous parlez de la rébellion Kamuina Nsapu. L’Église y était-elle ciblée ?

Les infrastructures sociales, à l’intérieur du Congo, appartiennent à l’Église. Piller les écoles, c’est s’en prendre directement à l’Église. Depuis un certain temps, l’Église est ciblée quand elle accomplit sa mission d’accompagner la population et les institutions.

S’en prendre aux infrastructures de l’Église était un pas impressionnant dans le manque de respect…

Ceux qui ont pillé les écoles sont ceux qui pensent que ces écoles ne sont pas importantes. Et on sait qui le pense. Ceux qui ont vandalisé les infrastructures appartenant à l’Église, ce n’est pas la population. Vous avez vu à Kinshasa comment les églises ont été traitées.

On a tué dans les églises lors des trois marches de décembre 2017, janvier et février 2018 à Kinshasa (contre le maintien au pouvoir de Kabila). Et elles n’ont plus eu lieu…

On leur a demandé d’arrêter ces marches parce que des gens ont été empêchés de prier alors qu’ils voulaient juste prier ; ils ont été entraînés dans le mouvement des autres ou bien n’ont même pas pu sortir des enclos des églises.

Mais vous comprenez le malaise du peuple ?

Jusqu’à ce jour, le peuple crie justice et attend que les commanditaires et les auteurs de ces tueries perpétrées lors de ces marches et des autres viols et assassinats soient jugés et condamnés. Il est absurde que l’on passe l’éponge sur tous les massacres qui continuent à endeuiller des milliers de familles du Congo, en espérant que cela soit la voie efficace pour faire la paix et la réconciliation.

© AP


Cet arrêt des marches n’a pas été bien compris par la population.

C’est vrai. La population l’a vu comme une demi-mesure ; ça lui a laissé une impression d’inachevé. On a alors décidé de changer de stratégie.

Pour quelle stratégie ?

Les prières. Sonner les cloches tous les jeudis…

L’accord de la Saint-Sylvestre a donné à certains Congolais l’impression que l’Église, qui patronnait cet accord, faisait le jeu de Joseph Kabila.

L’Église a fait alors ce qu’elle a toujours fait. Mais ce n’est pas du goût de tout le monde. Ce qui est clair, c’est que Joseph Kabila ne veut pas partir. La Cenco a insisté pour une véritable alternance. Aux amis de Kabila de cesser de le soutenir et de viser le bien du peuple.

Mais l’accord n’a pratiquement jamais été respecté ?

C’est vrai. Mais cela ne signifie pas que la Cenco ait été manipulée ! Cela ne veut pas non plus dire qu’il ne fallait pas signer cet accord. La faute revient à ceux qui ne voulaient pas appliquer l’accord : suivez mon regard !

MARIE-FRANCE CROS 
Publié le 
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