Premier bilan au Bénin, au Kenya, au Sénégal et en Tunisie. C’est sans doute au Kenya, en 2007, qu’il faut chercher les prémices de ce que l’on ne désignait pas encore sous le nom de civic tech en Afrique. Des citoyens engagés (blogueurs et développeurs informatique) décident de créer une plateforme en ligne permettant de recenser les violences post-électorales. Ushahidi (témoignage en swahili) est née, et sera ensuite utilisée aux quatre coins du monde pour mobiliser les citoyens dans des activités de collecte et de mise à disposition d’informations utiles à tous. Ce mouvement se nourrit d’une forte conviction.

Une dizaine d’années plus tard, l’expression civic tech fait son apparition sur les sites web spécialisés et dans les colloques les plus pointus pour désigner les expériences qui se positionnent au croisement des nouvelles technologies (avec leur dimension participative) et d’une revigoration attendue des pratiques démocratiques.
Les outils numériques vont permettre aux populations exclues des processus de décision de prendre leur part dans la définition, la mise en œuvre et le suivi des politiques publiques.
Pour mener cette étude, nous sommes partis à la rencontre de celles et ceux qui animent des actions civic tech au Bénin, au Kenya, au Sénégal et en Tunisie, afin de dresser le portrait-robot de ces jeunes (ils ont souvent moins de 40 ans) qui souhaitent se mêler de politique, au sens le plus noble du terme.

La méthodologie utilisée pour cette étude est inspirée du travail de journalisme d’enquête

Elle se décompose en trois temps :
1. Production d’un recensement et d’une cartographie des projets et initiatives civic tech dans chacun des 4 pays pour identifier les acteurs et les différentes parties prenantes du secteur ;
2. Entretiens approfondis avec des acteurs représentatifs de la diversité des projets mis en œuvre pour identifier et comprendre les facteurs de réussite et d’échec des projets initiés, les bonnes pratiques, les dispositifs d’accompagnement des bailleurs, et les indicateurs de performance utilisés pour mesurer l’impact des projets ;
3. Traitement des informations collectées pour fournir un état de la situation et un diagnostic précis des besoins des acteurs du secteur.

En quelques chiffres, nous avons identifié, dans les quatre pays concernés par l’étude : 69 actrices et acteurs qui animent des initiatives civic tech, 83 initiatives différentes, 47 bailleurs de fonds.
Nous avons également procédé à 34 entretiens approfondis au début de l’été 2018 au Bénin, au Kenya, au Sénégal et en Tunisie.

Qu’est ce que la civic tech ?

L’expression civic tech est tellement récente qu’il est encore impossible d’y associer une définition stable et unanimement acceptée. Elle est d’ailleurs souvent inconnue, y compris des acteurs qui œuvrent dans le champ couvert par les civic tech.
Si, dans une page dédiée, l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipedia définit les civic tech comme l’ensemble des procédés, outils et technologies qui permettent d’améliorer le système politique, la définition la plus complète est celle établie par la Knight Foundation dans son rapport de 2013 mis à jour en 2014.

Selon cette définition, les civic tech recouvrent l’utilisation des technologies pour renforcer :
>> l’ouverture et la transparence du gouvernement et des autorités locales
Par exemple : l’ouverture des données et la transparence, la facilitation du processus de vote, la cartographie et la visualisation des données publiques, l’exploitation et l’utilisation des données publiques, la participation à l’élaboration des lois et des décisions gouvernementales etc.
>> la participation citoyenne
Par exemple : le développement de réseaux citoyens, l’engagement de communautés locales, le financement participatif, le partage de données citoyennes, la création de plateformes de lobbying citoyens et de mobilisation citoyenne etc.

En résumé

Les civic tech, ces initiatives qui mettent les nouvelles technologies au service de l’approfondissement des pratiques démocratiques (participation citoyenne, redevabilité des institutions publiques, transparence et lutte contre la corruption) permettent d’inclure dans la participation à la vie publique une population plus large, plus rapidement, à moindre coût.
Le développement des initiatives civic tech témoigne d’un besoin pour les citoyens de traduire leur frustration, et parfois leur colère.Dans les quatre pays africains (Bénin, Kenya, Sénégal, Tunisie) ciblés par cette étude, et plus largement en Afrique, le développement des initiatives civic tech témoigne d’un besoin pour les citoyens de traduire leur frustration, et parfois leur colère, devant le décalage souvent marqué entre l’affirmation officielle de principes (démocratie et bonne gouvernance) et une réalité de terrain assez éloignée des discours.

Évolution à plusieurs vitesses
En Afrique, le secteur des civic tech connaît une croissance à plusieurs vitesses. Les initiateurs de projets évoluent dans des contextes législatifs et réglementaires très contrastés. Il y a, d’une part, les pays qui disposent d’un cadre favorable au développement des projets numériques en général, et civic tech en particulier et, d’autre part, ceux qui ne se sont pas dotés d’un arsenal particulier dans ce domaine.
La méfiance des pouvoirs publics, les difficultés à mobiliser de larges communautés de citoyens et les difficultés d’accès aux financements entravent significativement le changement d’échelle des projets civic tech qui naissent le plus souvent d’initiatives spontanées.
La formalisation des actions de formation, de partage d’expériences et de compétences, déjà en place dans un cadre informel, devrait permettre de faire émerger des communautés d’experts et de citoyens outillés pour contribuer efficacement à la conception, à la mise en œuvre et au suivi des politiques publiques.

Renforcement de la dimension humaine
Passée la première étape de la mobilisation en ligne, l’amplification de la portée et de l’impact des actions menées passe par un renforcement de la dimension humaine et d’interactions physiques entre acteurs des civic tech, gouvernants et citoyens peu ou pas du tout connectés.
Après dix années d’émergence, l’enjeu crucial des civic tech est aujourd’hui d’aller au-delà de la construction de communautés éphémères autour de causes ponctuelles, pour créer des dynamiques durables d’intelligence et d’action collective impliquant un grand nombre de citoyens.

Sommaire


Auteurs :
Direction éditoriale : Philippe Couve (Samsa)
Coordination éditoriale : Edem Gbetoglo (Samsa)
Expert méthodologie : Jocelyn Grange
Expert (Sénégal, Bénin) : Cédric Kalonji
Experte (Kenya) : Françoise Mukuku
Experte (Tunisie) : Sana Sbouai
Recherchiste (Sénégal) : Lucrèce Gandigbe
Recherchiste (Bénin) : Antoine Osé Coliko
Recherchistes (Kenya) : Elizabeth Orembo et Mwara Gichanga
Recherchiste (Tunisie) : Sana Sbouai
Édition : Ange Kasongo (Samsa)

Une étude labellisée par Digital Africa

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