L’école africaine à l’heure du coronavirus. Depuis le 18 mars et la fermeture de tous les établissements, WhatsApp, l’application de téléphonie mobile, s’est imposée quel que soit le niveau scolaire.
Joy Ngong Tsinghe est concentrée. Ses yeux naviguent entre l’écran de son ordinateur posé sur une table en verre et son smartphone. Ses doigts passent d’un clavier à l’autre sans qu’elle ne lève jamais la tête. Par moments, elle s’interrompt, fronce les sourcils et pianote à nouveau. Joy est étudiante en troisième année de journalisme à l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la communication (Esstic), situé à Yaoundé, la capitale du Cameroun.
Ce soir, la jeune femme âgée de 21 ans est en plein cours. Elle assiste à une leçon de journalisme numérique depuis le salon de l’appartement de sa sœur aînée dans le quartier Bonabéri, à l’ouest de Douala, la cité économique du Cameroun.
Sa salle de cours est virtuelle, un groupe WhatsApp du nom de « Tic-J3 ». A l’instar de Joy, les apprenants et l’enseignant, le docteur Baba Wame, sont chez eux, répartis partout sur le territoire. Pour lutter contre la propagation du coronavirus au Cameroun, qui compte, vendredi 24 avril, 1 334 cas confirmés et 43 décès, les autorités ont pris plusieurs mesures, dont la fermeture des établissements primaires, secondaires et universitaires depuis le 17 mars.
« J’ai paniqué »
« Quand on a annoncé le premier cas de coronavirus le 6 mars, j’ai paniqué. Avant qu’on ordonne la fermeture des écoles, j’allais en cours la peur au ventre », se souvient la jeune femme, toujours focalisée sur ses écrans. Après la décision du gouvernement, Joy Ngong Tsinghe a quitté sa chambre d’étudiante et rejoint sa sœur à Douala. Et comme pour beaucoup, les premiers jours ont été difficiles, elle s’est inquiétée, s’interrogeant sur son avenir. Sur la validité de cette année d’études.
De son côté, le docteur Baba Wame, enseignant de journalisme numérique et chef de département des TIC à l’Esstic, a très vite réfléchi à la suite à donner à ses cours, se demandant de quel outil l’intégralité de ses étudiants disposait et quel réseau social de messagerie était le plus connu et le plus facilement téléchargeable. Une double réponse s’est imposée : le téléphone portable et la messagerie WhatsApp étaient les plus accessibles.
« J’ai créé un groupe WhatsApp par classe : J1 [première année ], J2 et J3. J’envoie un chapitre par fichier pdf au groupe et leur donne rendez-vous trois jours après sur le réseau pour une séance de questions-réponses », détaille l’enseignant qui précise que les cours en téléenseignement sont les mêmes que ceux qui auraient dû être dispensés en présentiel. Le premier cours virtuel des étudiants de troisième année (licence) a eu lieu le 24 mars et depuis, deux fois par semaine, rendez-vous est pris entre 20 heures et 22 heures.
Lundi 13 avril, le cours commence par la citation du jour qui parle de sagesse et de richesse et sur laquelle les étudiants échangent pendant quinze minutes. « Ça me permet de voir qui est là et qui est absent », expose Baba Wame. Il enchaîne avec les questions-réponses sur « l’écriture en ligne », leçon qu’il a postée soixante-douze heures plus tôt.
Durant presque une heure et demie, quatre séries de cinq questions sont posées. Il faut être rapide pour intervenir, car les étudiants sont nombreux et l’enseignant restreint au fur et à mesure la fonctionnalité de discussion afin d’avoir le temps de répondre. Joy Ngong, concentrée, note toutes les réponses sur son ordinateur.
Deux incertitudes, inhérentes à la formule, gênent Baba Wame. D’abord, il n’est « jamais certain que derrière le clavier du smartphone, c’est bien son étudiant qui est présent ». Et puis, il ignore totalement le niveau de concentration des élèves. Avant la pandémie, sa salle de classe accueillait 120 étudiants. En ligne, seuls 94 sont inscrits et une soixantaine actifs durant les leçons, soit « une déperdition de quasiment 47 % par cours », déplore l’enseignant, qui explique cette situation par le coût de la connexion Internet et l’indisponibilité aux heures d’apprentissage.
« Très déterminée »
Même constat chez Edith Mbeng Chuo, la sœur aînée de Joy dont deux des enfants inscrits en école primaire reçoivent des cours via la même application. L’école a créé un groupe WhatsApp pour les parents et leur envoie les exercices qui seront à rendre à la reprise des cours, dont la date a été fixée au 1er juin par le gouvernement camerounais.
Enseignante de lycée, Edith Mbeng Chuopointe aussi le manque de concentration dû à l’absence de cadre d’apprentissage strict. Cette mère, qui veut multiplier les occasions d’apprendre pour ses enfants, les place devant la télévision ou la radio à chaque diffusion de cours de leur niveau, puisque le Cameroun a mis en place cette formule à distance à l’attention des élèves du primaire et du secondaire. Mais c’est chaque fois le même scénario, « au bout de quinze minutes, ils veulent passer à autre chose, soupire Edith Mbeng. Au début, je pensais que Joy non plus n’allait pas tenir avec ces cours sur WhatsApp. Mais, en définitive, elle semble très déterminée. »
Dans le groupe « Tic-J3 », c’est la fin de la leçon. Pour marquer sa présence, chaque étudiant doit rédiger ce qu’il a retenu et signer de son nom. Joy Ngong parle de journalisme de « curation » et du fait qu’il faut toujours citer la source originale de l’article repris et modifié. Son « plus grand rêve » est pourtant de produire ses propres contenus et de les voir diffuser sur CNN, la chaîne de télévision américaine. « Mais, avant, il faut que le coronavirus cesse », conclut-elle en nous raccompagnant à la porte. Il est 22 h 17. Sa journée d’étudiante se termine.
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