J’ai fondé un institut de recherche à but non lucratif en 2008 au sein duquel nous avons mis en place le premier laboratoire de biologie moléculaire affilié à la seule université publique du pays, en République du Congo. Depuis, nous caractérisons les agents pathogènes tels que ceux responsables des gastro-entérites, du paludisme, du VIH, de la tuberculose (TB) et du chikungunya – qui, ensemble, infectent plus de 250 millions de personnes chaque année dans le monde avec une mortalité allant au delà de 2,5 millions. Afin de vérifier l’efficacité des traitements, nous évaluons le développement de la résistance aux antipaludiques, aux antirétroviraux et aux antibiotiques.
Nos programmes de recherche déjà bien en place, nous ont donc permis de passer à l’évaluation des tests de diagnostiques rapides et de réaliser les études séro-épidémiologiques au sein de la population afin d’évaluer la propagation du COVID-19 au Congo et assurer la sécurité des travailleurs de la santé. Depuis mars, les trois quarts de notre temps sont consacrés au COVID-19.
Cela m’a contraint à reléguer au second plan une décennie de recherches consacrée à la lutte contre les autres maladies infectieuses qui, d’ailleurs, ne cessent de mettre à rude épreuve notre système de santé. Et ce n’est pas seulement le cas dans mon laboratoire. En octobre, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a signalé que les progrès contre la tuberculose pourraient stagner: dans les pays ayant une forte incidence, le nombre de personnes diagnostiquées et prises en charge a diminué d’un quart par rapport au chiffre de l’année dernière. Cela est dû en grande partie à la mise en place des mesures de confinement dans beaucoup de pays, avec pour conséquence une baisse significative du taux de consultation dans les hôpitaux et centres de santé.
En Ouganda, la mortalité maternelle a augmenté de 82% de janvier à mars, et en raison du COVID-19, le nombre de nouveaux cas de VIH et de patients commençant un traitement antirétroviral (et un traitement pour prévenir la tuberculose) chutent de 75% ( D.Bell et al . Am. J. Trop. Med. Hyg. 103 , 1191-1197; 2020 ). Ces traitements ne peuvent être bien conduits que grâce à une sensibilisation communautaire active. En septembre, des chercheurs de l’OMS et d’ailleurs ont modélisé ce qui pourrait se passer si la distribution de médicaments antipaludiques et de moustiquaires insecticides pour prévenir le paludisme diminuait jusqu’à 75% (DJ Weiss et al. Lancet Infect. Dis. Https://doi.org/fg3n ; 2020). Si cela se produit, tous les progrès réalisés contre le paludisme au cours des 20 dernières années pourraient être perdus.
Mon message n’est pas de dire que les efforts contre le COVID-19 sont malavisés, mais que je suis plutôt découragée que de tels efforts n’aient pas été ralliés et simultanément consacrés à la lutte contre d’autres maladies infectieuses. Parfois, tout en réalisant des tests de diagnostic pour suivre la propagation du COVID-19 dans mon pays, je continue à me poser des questions fondamentales sur une maladie sur laquelle je travaille depuis 25 ans. Et si le monde s’était attaqué au paludisme avec l’énergie désormais dédiée au coronavirus? Le paludisme aurait peut-être été vaincu?
Des organisations philanthropiques, telles que la Fondation Bill & Melinda Gates à Seattle, Washington, ont accéléré la recherche contre le paludisme et d’autres maladies. Les décès dus au paludisme ont diminué de près de 31% entre 2010 et 2018. Certains traitements ont été développés en Afrique (où des essais pour le vaccin Ebola ont également été menés). Mais ces efforts ne restent toujours pas comparables à ceux consacrés contre COVID-19.
Plus de 90% du taux de mortalité mondial dû au paludisme se trouve en Afrique. Un enfant meurt du paludisme toutes les 2 minutes. Pour les survivants, ces maladies infectieuses enferment un cercle vicieux. Elles rendent difficile l’assiduité au travail et à l’école, favorisant ainsi un cadre propice à la pauvreté et la propagation de la maladie au sein des populations. Malheureusement, les personnes les plus vulnérables n’ont pour la plupart pas de moyens suffisants pour se prendre en charge.
Afin de minimiser ces disparités, je me suis fixé pour objectif d’apporter ma pierre à l’édifice en identifiant des actions concrètes et nécessaires pour renforcer les capacités de recherche en Afrique en général et dans mon pays en particulier.
Un aspect positif de cette pandémie est que les dirigeants africains, qui avaient développé la mauvaise habitude de mettre tous leurs espoirs dans l’aide au développement, ont creusé dans leurs propres budgets pour lutter contre le COVID-19. Le secteur privé, y compris les compagnies pétrolières et les banques locales ont été d’une grande aide. Si cette volonté se poursuit après la pandémie, les capacités de recherche augmenteront dans toute l’Afrique. Ainsi, nous pourrons littéralement «reconstruire en mieux» après la pandémie.
Pendant le confinement, des chercheurs et des ingénieurs ont développé des prototypes de respirateurs fabriqués au Congo à partir de composants recyclés, faisant preuve d’initiative et de créativité qui devraient se retrouver dans d’autres domaines de la recherche en santé. Nous devons mettre en place des laboratoires fonctionnels et bien équipés pour dynamiser ce travail. J’espère également que le dynamisme et la richesse des échanges scientifiques depuis janvier 2020 se poursuivent et s’intensifient. Nous devons établir des collaborations solides au niveau national (avec d’autres instituts de recherche), régional (avec les pays voisins) et avec des réseaux régionaux et internationaux, tels que le Réseau de recherche clinique en Afrique centrale (CANTAM) et le Réseau panafricain pour la recherche rapide, la réponse et Préparation aux épidémies de maladies infectieuses (PANDORA), que je coordonne.
Plus important encore, nous devons former localement la prochaine génération de scientifiques. Je me dis que COVID-19 aidera dans cet exercice. J’ai juste besoin de postuler à de nombreux appels à propositions de subventions pour les recherches sur le SARS-COV-2, en collaboration avec des collègues de toutes les régions du monde. Ce financement sera l’occasion de former des chercheurs qui passeront aux maladies tropicales dès que la nécessité de lutter contre le COVID-19 deviendra moins pressante.
Pour mener à bien mon travail jour après jour, je suis obligée de voir la pandémie du COVID-19: comme une opportunité de construire des structures qui réduisent le fardeau de toutes les maladies tropicales. Je ne veux pas penser à un monde où cela ne se produirait pas.
Francine NTOUMI
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c’est vrai, la covid19 semble nous distraire en laissant croire que nous devons la prendre au premier plan; or c’est un virus co,,e tout autre.
cependant, les gens devront comprendre que vivre avec la covid19 c’est respecter scrupuleseument les mesures barrières pour se protèger et aussi protèger les autres. nous avons beaucoup travaillé dans la lutte contre le VIH/SIDA et la seule solution adéquate était d’apprendre comment vivre avec ce dernier en luttant contre la nouvelle contamination surtout des jeunes. nous pouvons aussi vivre avec cette pandemie corona et se protègeant et protèger les autres, pourquoi le vaccin? avec nos sondages, la population ne comprend rien en cette histoire et aussi pourquoi d’autres virus n’en avait pas. luttons ensemble contre la cavid19.