Les inégalités économiques s’appuient sur les inégalités de genre, et la majorité des personnes qui se trouvent à la base de la pyramide économique sont des femmes.

Les filles et les femmes sont majoritaires dans les emplois précaires et mal rémunérés, et ce sont elles qui assument la majeure partie du travail de soin peu ou non rémunéré. Le modèle dominant du capitalisme ignore la contribution économique des femmes et des filles, et alimente des croyances sexistes qui entravent la pleine réalisation du potentiel de femmes et filles, comptant sur elles pour réaliser ces tâches, mais refusant de les rétribuer.

QUI ASSUME LE TRAVAIL DE SOIN ?

Le travail de soin est indispensable pour nos sociétés et pour l’économie. Il regroupe des tâches diverses, de la garde d’enfants à l’accompagnement des personnes âgées et des personnes en situation de handicap ou atteintes d’une maladie physique ou mentale, en passant par tout un éventail de tâches domestiques quotidiennes (cuisine, ménage, lessive, raccommodage, gestion des factures, collecte d’eau et de bois de chauffage) .

Si personne n’investissait du temps, des efforts et des ressources dans ces tâches quotidiennes essentielles, les communautés, les entreprises et des pans entiers de l’économie seraient paralysés. Partout dans le monde, le travail de soin peu ou non rémunéré est assuré de façon disproportionnée par des filles et des femmes pauvres, notamment celles vivant dans des groupes qui, en plus de la discrimination fondée sur le genre, sont confrontés à des discriminations fondées sur la couleur de peau, l’origine ethnique, la nationalité, l’orientation sexuelle et la caste .

Les femmes réalisent plus des trois quarts du travail non rémunéré et représentent deux tiers de la main-d’œuvre assurant un travail de soin rémunéré .

Shienna Cabus et sa fille collectent de l’eau à une source locale dans le Samar oriental, aux Philippines. Elles utilisent un chariot pour transporter la lourde charge jusque chez elles. Shienna est membre de l’association d’entraide Bangon Pangdan. Photo : Aurélie Marrier d’Unienville/Oxfam (2017)

Graphique  : La lourde responsabilité du travail de soin non rémunéré est assumée de façon disproportionnée par les filles et les femmes :

En plus d’effectuer gratuitement le travail de soin dans leur foyer, de nombreuses femmes pauvres travaillent également au service d’autres personnes, par exemple en tant que travailleuses domestiques, l’un des secteurs où la main-d’œuvre est la plus exploitée dans le monde. Seulement 10 % de la main-d’œuvre domestique est couverte par le droit du travail au même titre que les autres travailleuses et travailleurs , et seulement près de la moitié bénéficie d’un salaire minimum .

Pour plus de la moitié de la main-d’œuvre domestique, la législation nationale ne prévoit aucune limite d’heures de travail. Dans les cas les plus extrêmes de traite et de travail forcé, les travailleuses et les travailleurs domestiques se retrouvent littéralement piégés par leur employeur, où chaque aspect de leur vie est contrôlé, ce qui les rend invisibles et les prive de toute protection. On estime que les 3,4 millions de travailleuses et de travailleurs domestiques victimes de travail forcé à travers le monde sont spoliés de 8 milliards de dollars chaque année, ce qui équivaut à 60 % des salaires dus .

Graphique 5 : Main-d’œuvre domestique : parmi les travailleuses et les travailleurs les plus exploités au monde

Une main-d’œuvre domestique maltraitée

« Regina » (le prénom a été changé) a fait l’objet d’une traite vers le Royaume-Uni pour travailler dans le logement privé de son riche employeur. À son arrivée à Londres, Regina était contrainte de travailler de 6 h 00 à 23 h00 tous les jours dans l’appartement de standing de son employeur, dans le centre de Londres. Elle n’a jamais été payée pour son travail là-bas et n’avait pas l’autorisation de contacter sa famille ou de parler avec des personnes extérieures au foyer de son employeur. Elle dormait dans la buanderie et mangeait les restes. Son passeport lui avait été confisqué et elle raconte avoir souvent fait l’objet d’insultes de la part de ses employeurs, qui la qualifiaient de « stupide » et d’« inutile » .

La responsabilité du travail de soin, aussi lourde qu’inégale, perpétue les inégalités de genre et économiques. Elle fragilise la santé et le bien-être des personnes assurant un travail de soin (majoritairement des femmes) et entrave leur prospérité économique en creusant les disparités entre les femmes et les hommes en matière d’emplois et de salaires. Elle prive également les filles et les femmes de temps, ce qui les empêche de répondre à leurs besoins essentiels et de participer à des activités politiques et sociales.

Par exemple, en Bolivie, 42 % des femmes déclarent que le travail de soin est le principal obstacle à leur participation politique  .

« La pauvreté en temps » en Inde : « Je n’ai pas de temps, pas même pour mourir »

Buchhu Devi se lève à 3 h 00 du matin pour cuisiner, faire le ménage et préparer le petit déjeuner et le déjeuner pour sa famille. Il y a un puits à proximité, mais elle n’y a pas accès du fait de son appartenance à la caste des intouchables. Elle doit donc parcourir 3 km pour collecter de l’eau. Ce qu’elle fait, trois fois par jour. Elle explique travailler sur un chantier de construction d’une route de 8 h 00 à 17 h 00, puis doit s’occuper des tâches ménagères du soir, à savoir collecter de l’eau et du bois de chauffage, faire des lessives, cuisiner, faire le ménage et aider les enfants avec leurs devoirs. Elle finit ses journées à minuit. Si elle n’a pas le temps de collecter du bois, sa famille ne mange pas et il n’est pas rare que son mari la batte pour la punir. « Je n’ai pas de temps, pas même pour mourir, sinon ils vont tous me maudire… Qui prendra soin d’eux et qui ramènera de l’argent dans la famille quand je serai partie ? »

Source : Dutta, Diya (2019), No Work is Easy! Notes from the Field on Unpaid Care Work for Women, Mind the Gap: The State of Employment in India 2019, Oxfam Inde. Disponible sur : https://www.oxfamindia.org/Mind-GapState-of-Employment-in-India

Alors même qu’il est le socle sur lequel repose une société prospère, le travail de soin peu ou non rémunéré est fondamentalement invisible. Il perpétue et est perpétué par les inégalités économiques et de genre.

Le travail de soin est très largement sous-évalué et tenu pour acquis par les gouvernements et les entreprises. Il n’est souvent pas considéré comme un travail, et les sommes qui y sont consacrées sont traitées comme un coût et non un investissement, si bien qu’il devient invisible dans les mesures des progrès économiques et dans les agendas politiques.

La crise latente du travail de soin

Le monde fait face à une crise du travail de soin à cause de l’impact du vieillissement de la population, des coupes réalisées dans les services publics et les systèmes de protection sociale, et des effets des changements climatiques, qui menacent d’aggraver la situation et d’alourdir le fardeau pesant sur les aidant-e-s. D’après l’Organisation internationale du Travail (OIT), il devrait y avoir 100 millions de seniors supplémentaires et 100 millions d’enfants âgés de 6 à 14 ans supplémentaires requérant un service de garde ou d’accompagnement dans le monde à l’horizon 2030 . Les seniors auront besoin de soins plus intensifs et plus longs avec l’âge, avec des systèmes de soins de santé qui ne sont pas préparés pour les soutenir .

Ayan va collecter de l’eau dans un puits. Elle vit dans un camp de déplacés internes à Garadag, au Somaliland. En raison de la sécheresse prolongée dans la région, sa famille a perdu son troupeau, qui constituait son moyen de subsistance, et peine à trouver de l’eau et de quoi se nourrir. Photo : Petterik Wiggers/Oxfam (2017)

Graphique  : La crise latente du secteur du soin

Plutôt que d’étoffer les programmes sociaux et les dépenses pour investir dans les services de soin et lutter contre les inégalités, les pays augmentent les impôts de la frange pauvre de la population, réduisent les dépenses publiques et privatisent l’éducation et la santé, en suivant souvent les recommandations d’institutions financières comme le Fonds monétaire international (FMI).

Oxfam a récemment démontré comment les programmes du FMI adoptant cette approche en Tunisie, en Égypte et en Jordanie ont eu des répercussions négatives sur les femmes, menaçant d’exacerber les inégalités . Les gouvernements continuent de s’appuyer sur la TVA alors même qu’il s’agit d’un impôt régressif qui affecte le plus durement les plus pauvres  et fait peser une charge disproportionnée sur les aidantes .

Les coupes budgétaires effectuées par les gouvernements mettent également sous pression les organisations de défense des droits des femmes. En 2017, au Brésil, des coupes dans les dépenses sociales se sont traduites par une réduction de 66 % du financement fédéral destiné au budget initialement alloué en 2017 aux programmes sur les droits des femmes qui promeuvent l’égalité entre les genres49 . La crise climatique alourdit d’ores et déjà le fardeau pesant sur les femmes. On estime qu’à l’horizon 2025, jusqu’à 2,4 milliards de personnes pourraient vivre dans des zones où les réserves d’eau sont insuffisantes. Les filles et les femmes devront donc parcourir à pied des distances toujours plus longues pour collecter de l’eau . Le changement climatique réduira également la quantité de denrées alimentaires produites et les maladies seront plus nombreuses, ce qui accentuera la pression et la somme de temps demandée aux filles et aux femmes, qui devront assurer la charge de travail supplémentaire et y consacrer encore plus d’heures dans leur journée.

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