Beaucoup pensent que donner son mot de passe à son conjoint est une marque de grande confiance au sein du couple, mais c’est souvent un besoin de contrôler », estime d’emblée Pierre Nantas, psychothérapeute, spécialiste du couple et du cyberespace. Son analyse fait suite à une récente étude Express VPN dévoilée par 20 Minutes. A en croire les chiffres, plus de la moitié des Français partageraient ainsi leurs identifiants (codes de téléphone, ordinateur et réseaux sociaux) avec leur partenaire. Si près de 80 % des sondés assurent que cela est fait dans un souci de confiance et d’honnêteté mutuelles, le constat pose néanmoins question. « Ce fonctionnement amoureux dit beaucoup sur notre rapport à l’amour, à la vie à deux et à notre sens de l’intimité », reprend Pierre Nantas. « Partager son mot de passe, c’est accepter l’intrusion. »
Le chiffre très élevé de cette étude vous surprend-il ?
Pas du tout ! A l’heure des réseaux sociaux, la confiance au sein du couple est mise à rude épreuve. C’est une ère de l’exhibitionnisme et de la tentation. Nombreux sont alors les couples à s’échanger leurs mots de passe en guise de marque de confiance.
Plusieurs associations ont néanmoins alarmé sur les dérives de telles pratiques au sein du couple. Quelles en sont les limites ?
Si beaucoup prêchent la marque de confiance, c’est en fait rarement le cas. Il est davantage question, en réalité, d’un besoin de contrôle et de justification. Les deux partenaires se pistent et se rassurent mutuellement, mais ce faisant, ils s’assujettissent l’un à l’autre. Je remarque que les couples qui fonctionnent ainsi sont, la plupart du temps, dans des relations très fusionnelles. Ils croient s’aimer plus parce qu’ils savent tout l’un de l’autre. Mais c’est une erreur.
Ce comportement amoureux est-il générationnel ?
C’est surtout une façon de vivre le couple qui est très infantile. Souvent, ce sont les adolescents et les jeunes adultes qui vont vivre leur histoire d’amour de cette manière. Une histoire d’amour comme on en voit dans les livres, faite de passion et de perdition. L’expérience, les coups de bâtons sur la tête, fait qu’en grandissant, on s’écoute bien plus et on se protège de la fusion. Lorsque l’on observe ces schémas amoureux dans des couples adultes, c’est-à-dire 30, 40 ou 50 ans, les enjeux sont différents. Ici, il est alors question d’emprise et de manipulation. C’est un comportement assez toxique, en réalité.
La demande du partage de mot de passe doit-elle être perçue, en début de relation, comme un « red flag » ?
Quelqu’un d’à peu près sain ne rentrera pas dans cette dynamique, surtout en début de relation. Il arrive, dans les relations longues, que les partenaires en viennent à échanger leurs mots de passe, de manière un peu anodine au fil des années. Mais cela s’appuie sur une forme de contrat tacite : « Tu as mes codes, mais je sais que tu ne les utiliseras pas. » Si cette règle est enfreinte, qu’il y a abus, le contrat s’annule. A l’inverse, si un partenaire demande les codes après trois semaines, c’est le signal d’une personne malsaine, qui va provoquer en testant le niveau d’éthique et de vulnérabilité de l’autre. S’aimer, au sens noble, c’est savoir dire, au contraire : « Je t’aime et je peux me passer de toi, car je suis dans ton cœur et tu es dans le mien. Je n’ai donc pas besoin de te priver de ton intégrité. »
Accepter de donner son mot de passe signifie-t-il que nous avons perdu le sens de notre « intégrité » ?
Je le crois, oui. Le mot de passe, qui peut s’apparenter au jardin secret, est une protection contre l’invasion de l’autre et se compose de trois niveaux : la tête, le cœur et le corps (numériquement, vos discussions, vos émotions et vos photos, NDLR). Dans notre ère numérique, où tout est déjà montré, la notion d’intimité ne fait plus vraiment sens. Pourtant, elle est indissociable de la notion d’intégrité. Entrer dans la sphère privée de l’autre, on l’en dépouille. On le prive de son autonomie, de sa liberté d’être.
Faut-il changer notre mot de passe dès que le contrat de confiance est brisé ?
Faire intrusion dans l’espace privé de l’autre, c’est, en quelque sorte, l’infantiliser, et cela peut mener à des relations basées sur l’emprise et la manipulation narcissique. Si la personne en face a une tendance à être dépendante affectivement, cela peut réellement nuire à sa santé mentale. On va passer de l’obligation à détenir le mot de passe de l’autre à la surveillance généralisée : messages intempestifs et, même, demandes de géolocalisation.
Comment réagir lorsque notre conjoint demande notre mot de passe ?
Selon moi, il est nécessaire de ne pas le donner. Demandez-lui pourquoi, et s’il insiste, refusez. Généralement, si la personne est toxique, c’est elle qui partira, parce que la requête n’est pas acceptée. Un mal pour un bien.
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