Les avortements clandestins qui exposent souvent des femmes et des jeunes filles à de graves risques ainsi que les abandons de bébés issus des grossesses non désirées, deux sujets importants quasi-oubliés des médias et des acteurs politiques. « Debout Congolaises ! », à l’occasion du décès de Simone Veil, abordent ces questions vitales pour beaucoup de femmes et de filles dans une série d’articles. Ci-dessous, une analyse de Emmanuel Chaco.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, en dehors de l’Afrique du Sud, du Cap-Vert et de la Tunisie dont les lois autorisent l’avortement, plus de 300.000 filles et femmes meurent en silence chaque année suite aux avortements clandestins, notamment à cause des lois très restrictives qui répriment l’avortement.
A Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), à Bukavu, la capitale de la province du Sud-Kivu, dans l’est de la RDC, ainsi qu’à Kikwit, la principale ville du Bandundu, dans le sud-ouest du pays, les chiffres sont inquiétants. Pour le seul mois de mars 2009, «plus de 20 cas d’avortements clandestins suivis d’abandons de fœtus ou de bébés dans des égouts et les rues de Kinshasa» ont été rapportés par le ‘Journal en Lingala facile’, une production satirique diffusée sur la télévision nationale et relayée par plusieurs chaînes privées du pays. Une dizaine de jeunes filles âgées de 18 à 25 ans, interrogées par IPS à Kinshasa, approuvent l’opinion de Tatiana (le seul nom qu’elle a préféré donner). Elle estime, à propos de l’opportunité de libéraliser les avortements en RDC, qu’une «telle initiative serait bonne, à condition de contrôler cette mesure pour éviter les excès de zèle pour les filles et les avorteurs à la seule recherche des revenus». La clandestinité, dit-elle, augmente les risques.
Ce point de vue est partagé par certains hommes à Kinshasa, comme Patrick Senga qui a déclaré à IPS : «L’avortement devrait être autorisé par la loi dès lors que pour des raisons objectives, les deux personnes responsables de la grossesse ne s’accordent pas sur la nécessité de garder l’enfant ou dès lors que telle est la volonté de la femme dont le partenaire nie la grossesse».
Bamba wa Bamba, qui est médecin et responsable du service de gynécologie et obstétrique à l’hôpital général de Kinshasa, a indiqué à IPS que, comme plusieurs autres de ses collègues, avoir «déjà été sollicité par des candidates à l’avortement non thérapeutique». Selon lui, «les lois du pays doivent libéraliser l’avortement et rester ouvertes aux femmes qui sont dans le désarroi pour à la fois les protéger et protéger les médecins qui interviennent. Ceci diminueraient les risques que prennent les médecins et les jeunes femmes dans les avortements clandestins». Pour Bamba, une des solutions aux avortements clandestins serait trouvée «si la loi donne aux médecins et aux femmes enceintes la possibilité de suivre des consultations prénatales sous X et de pouvoir accoucher sous anonymat en confiant à l’Etat, si elles le désirent, la responsabilité d’assumer l’avenir de ces bébés. Avec une telle mesure, les avortements diminueraient».
A Bukavu, ce sont les complications pour avortements clandestins qui ont interpellé Alain Chabo Byaene, médecin et coordonnateur de l’ONG Tous pour le bien-être de la population. Il a «mené une enquête (en février 2009) sur les avortements, notamment sur 100 cas de complications dues aux avortements clandestins dans la ville de Bukavu» en vue de «déterminer leur prévalence, d’identifier les facteurs qui les favorisent, d’identifier les avorteurs et les procédures qu’ils utilisent pour interrompre les grossesses…et de proposer des mesures de lutte contre ces avortements». Selon Dr Chabo Byaene joint au téléphone par IPS, «il est difficile de préciser la prévalence de l’avortement à Bukavu, notamment à cause de l’émotion et du caractère tabou que soulève le sujet». C’est ainsi qu’il a orienté ses recherches dans les milieux hospitaliers «où en six mois, sur 100 femmes approchées, 80 ont été admises dans le service gynécologique pour complications immédiates d’avortements clandestins, et 20 pour des complications survenues quelques jours ou mois après».
L’avortement clandestin ou «criminel» est devenu un phénomène de la société congolaise qui ne devrait plus se voiler la face à propos de la réponse à y donner, selon des activistes de défense des droits humains. Lisa Panzu, avocate et activiste congolaise des droits de l’Homme, interpelle les institutions du pays en ces termes: «Environ une dizaine des fœtus et d’enfants sont retrouvés abandonnés chaque semaine dans différents endroits de la ville de Kinshasa par leurs mères, aux divers motifs de manque de ressources pour les élever, de peur de ne plus jamais se marier si un d’éventuels fiancés apprennent que la fille est déjà mère, pour besoin de continuer la scolarité ou pour irresponsabilité du géniteur disparu ou qui refuse d’assumer la charge». Tel est, par exemple, le cas d’une jeune fille de 20 ans qui a parlé à IPS sous anonymat et qui vient d’abandonner sa fillette de deux semaines qu’elle a eue avec un ressortissant chinois. Selon la fille congolaise, le Chinois, qui serait le père de la fillette, «a refusé de la prendre en charge par peur d’être stigmatisé par ses concitoyens qui n’acceptent pas souvent d’intégrer des enfants faits avec des femmes d’autres races».
Le débat a atteint un niveau considérable sur le plan scientifique, notamment avec trois étudiants en maîtrise en santé publique à l’Université de Kinshasa, qui viennent de faire une étude sur les causes des avortements clandestins dans la ville de Kikwit. Selon ces étudiants, «le phénomène prend de plus en plus de l’ampleur», notamment à cause des facteurs socioéconomiques» ou plus exactement de la pauvreté. «L’âge de la femme et son état matrimonial, bien qu’étant souvent avancés pour expliquer les avortements provoqués, ne sont pas des facteurs significatifs», selon l’étude présentée en 2006 par Eric Mafuta, Paulin Mafuta Musalu, et Mutombo Beya.
Pour sa part, le député national Paulin Bapolisi Bahuga invite les autorités politiques à emboîter le pas aux efforts des activistes et des scientifiques congolais afin que soit trouvée une réponse adéquate à ce problème devant lequel l’hypocrisie de la société fait des centaines et des milliers de victimes innocentes parmi les enfants dès leur création.
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