Le féminisme est plus que jamais en questions : il connaît une indéniable actualité, une diffusion mondiale, en même temps qu’il n’est jamais apparu aussi fragmenté qu’aujourd’hui. On assiste à une forte implication des féministes (avec parfois des divisions) autour de la question écologique, de la justice sociale, de l’antiracisme, des religions et de la laïcité. Si le mouvement #metoo a mis sur le devant de la scène les questions de harcèlement et de violences sexuelles ou encore de représentations des femmes dans les cultures, d’autres combats dans d’autres espaces que l’Europe ou les Etats-Unis ou concernant d’autres sphères de la vie sont peu ou mal connus. En effet, les femmes sont sur plusieurs fronts à la fois : elles participent ou ont participé à de nombreuses luttes de libération, en même temps qu’elles se battent pour leurs droits dans des contextes historiques, géographiques et culturels variés. L’objectif de l’Université d’automne organisée le 26-27 novembre 2022, a donc été d’échanger sur les évolutions de la condition des femmes, de leurs luttes dans différentes régions, et sur les débats théoriques et pratiques.
« Debout Congolaises! », le média en ligne féministe édité par L’Observatoire de la parité et de l’égalité H/F considèrent que ces échanges et ces débats sont d’un grand intérêt pour le mouvement féministe congolais et compte bien publier plusieurs des interventions de cette Université d’automne ( TÉLÉCHARGER le dossier de présentation des intervenantes et intervenants).
Si l’égalité entre les femmes et les hommes n’est acquise nulle part, son principe est aujourd’hui plus largement établi dans les pays où le patriarcat comme système juridique familial a été aboli. Mais malgré ces évolutions juridiques récentes (en France, par exemple, le principe de l’égalité entre les femmes et les hommes n’est inscrit dans la constitution qu’en 1946, le droit de travailler et gérer ses biens propres sans l’accord du mari en 1966, la notion de chef de famille ne disparaît qu’en 1970, l’interruption volontaire de grossesse est autorisée temporairement en 1975, légalisée en 1980, etc.), de nombreux droits comme celui à l’avortement sont remis en cause dans plusieurs pays. La culture patriarcale reste dominante et les discriminations systémiques subies par les femmes, de même que les violences, en témoignent. Cette situation exige de porter un regard décentré sur les formes de la domination masculine et/ou patriarcale dans le monde, et sur les luttes des femmes.
En effet, dans de nombreux pays, le patriarcat est encore inscrit dans la loi, et les droits des femmes dans leur ensemble ne sont pas reconnus. En outre, la condition des femmes est aggravée par la pauvreté, les guerres et l’émergence de mouvements conservateurs, qu’ils soient religieux ou non. Si les femmes subissent des oppressions communes liées à leur condition de femme, ces oppressions s’imbriquent à d’autres inégalités ou discriminations liées à leur classe sociale, situation de minorités, origine, cultures, etc.
Par ailleurs, la place des femmes comme actrices de l’histoire est un enjeu politique. Quelle part leur est faite dans l’historiographie ? Faut-il considérer que les luttes pour les droits des femmes commencent à partir du moment où s’est forgé le concept de féminisme, ou que ces luttes pour l’égalité sont une constante de l’histoire avec des systèmes juridiques qui évoluent vers une plus grande ou une moins grande égalité ?
Ensemble, grâce à la publication sur Debout Congolaises de plusieurs présentations de cette Université d’automne, nous espérons échanger sur les évolutions de la condition des femmes, de leurs luttes dans différentes régions, y compris celle des Grands Lacs africains, sur les débats théoriques et pratiques en cours dans le mouvement féministe.
Qu’est-ce que le patriarcat ? Approche anthropologique et historique
— Présentation résumée de l’intervention de Christophe Darmangeat (maître de conférences à l’université Paris Cité).
La question des violences faites aux femmes et, plus généralement, celle du genre et des inégalités auxquelles il donne lieu, suscitent de nos jours un intérêt renouvelé. C’est donc bien naturellement que celles et ceux qui aspirent à l’émancipation complète des femmes cherchent à comprendre les mécanismes de la domination masculine. Pour cela, l’anthropologie sociale, de même que l’archéologie, fournissent un éclairage irremplaçable en élargissant la perspective à l’ensemble des sociétés humaines, y compris les plus différentes des nôtres.
La masse considérable de données accumulées par ces disciplines fait apparaître les éléments suivants :
1. Toutes les sociétés humaines jusqu’à nos jours ont été genrées, c’est-à-dire qu’elles prescrivaient, d’une manière ou d’une autre, des rôles sociaux spécifiques aux hommes et aux femmes – au-delà des contraintes liées à la biologie. De ce point de vue, l’aspiration contemporaine à ce qu’on appelle « l’égalité des sexes », conçue comme l’absence de toute discrimination, représente une complète nouveauté.
2. Les rapports de genre observés sont d’une considérable diversité, et ne sont pas liés à une configuration technique ou économique particulière. Des sociétés très proches par leur structure ou leur géographie peuvent diverger fortement sous cet aspect.
3. On a observé nulle part de matriarcat au sens strict – c’est-à-dire une domination sociale des femmes sur les hommes – et il n’existe aucun indice en faveur de l’existence passée d’une telle configuration. Autrement dit, quelque soit le niveau technique ou les autres structures sociales, les rapports entre genres vont d’un relatif équilibre entre les sexes à une domination masculine plus ou moins prononcée, formalisée et brutale. Cette domination masculine marque la très grande majorité des sociétés.
4. Les éléments qui permettraient de déterminer l’origine de cette configuration font défaut et, sur ce point, on ne peut émettre que des suppositions.
5. On peut en revanche souligner le rôle central joué dans les rapports de genre par la division sexuée du travail – une spécificité humaine – et en particulier, dans les sociétés traditionnelles, par le monopole masculin des armes les plus létales, de même que celui de la chasse au gros gibier, de la guerre et de la politique extérieure. Là encore, les revendications féministes actuelles visant à mettre fin, dans le droit comme dans les faits, à cette division sexuée du travail, apparaissent comme résolument inédites.
— Publications récentes :
• Augereau Anne et Darmangeat Christophe (dir.), Aux origines du genre, Paris, Puf – La vie des idées, 2022.
• Darmangeat Christophe, Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était – Aux origines de l’oppression des femmes
(3e édition), Toulouse, Smolny, 2022.
• Darmangeat Christophe, Justice et guerre en Australie aborigène, Toulouse, Smolny, 2021.
• Mon blog : La Hutte des classes (lahuttedesclasses.net)
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