“On est inondés par les fake news” : avec son dernier livre, le dessinateur de presse Rodho décrypte et démonte les théories du complot
Sorti fin avril, “résister aux fake news” sonne comme une charge contre l’infox, le complot. En 24 chapitres, le journaliste Thomas Huchon décrypte et démonte autant de complots, parmi les plus célèbres, illustrés au crayon de Rodho. Le dessinateur de presse de Besançon (Doubs) intervient dans les établissements scolaires toute l’année à ce sujet.
“L’approche est pédagogique, c’est un vrai manuel”. Son dernier livre est un nouvel acte de résistance. Rodho, dessinateur de presse résidant à Besançon, co-signe un livre démontant de nombreuses théories complotistes avec Thomas Huchon, journaliste d’investigation.
Dans “Résister aux fake news, comment faire face aux théories du complot les plus courantes” (First éditions), les deux auteurs partent en croisade contre un des maux de notre société : la désinformation. “Ça fait une dizaine d’années qu’on collabore sur ces choses-là, fake news et complotisme”, explique le dessinateur, originaire d’Arbois (Jura).
L’art de “débunker”, ou démonter les complots
Rodho, après avoir travaillé à Paris, dans des journaux comme Marianne ou le Nouvel Obs, a rencontré Thomas Huchon, qui « cherchait un dessinateur à l’époque des attentats de Charlie”, se souvient Rodho. “Il avait fait des vidéos pour débunker ça.”
Dans le livre, 24 chapitres décryptent des théories du complot. • © Rodho
Le complot lié aux attentats du 7 janvier 2015 est justement l’un des sujets abordés dans leur livre. Assassinat du président américain J.-F. Kennedy, l’identité de genre de Brigitte Macron, les attentats du 11 septembre 2001 aux USA, les autres thèmes abordés “reviennent beaucoup chez les jeunes”, souligne le dessinateur.
« Chaque chapitre présente comment elle a été développée, et après il y a un débunkage pour expliquer comment on peut on peut venir à bout de ces théories ».
Dans cet “historique de la théorie du complot”, à chaque chapitre son dessin, sur les chemtrails (le complot sur les trainées d’avion), la construction des pyramides en Égypte, ou encore la théorie du grand remplacement. “On a choisi les plus répandues, la domination mondiale des Juifs, les Illuminati, les platistes”, complète Rodho.
« Ça touche notre sens critique, notre libre arbitre » • © Rodho
Allier la pédagogie du texte à la force de l’image
Pour les deux auteurs, l’objectif a été de décrypter “qui sont les gens qui répandent les complots”, et leur opposer les contre-argumentaires, décrit Rodho. “Les canaux se sont multipliés, on est inondé”, contextualise le dessinateur, pour qui le livre vient démonter cette course à la vérité alternative. C’est de la résistance. C’est pallier ça, avec des petits moyens.
« Ça touche notre sens critique, notre libre arbitre. Avant l’info était donnée par des professionnels. Qui avaient des méthodes de travail qui étaient saines, fiables. Maintenant tout le monde donne son avis. Et des gens ont les moyens de répandre ces nouvelles-là. Les réseaux sociaux sont fabriqués comme ça ».
Dans une collaboration soignée avec le journaliste Thomas Huchon, le dessinateur vient « surligner », « mettre en dessin ce qu’on ne peut pas forcément expliquer en 10, 15 lignes. » » Le dessin fait pivot, réattire l’attention sur le reste », il vient « apporter une pointe humoristique, précise Rodho, pour que ce ne soit pas trop poncif. »
Les deux n’en sont pas à leur coup d’essai, puisqu’ils avaient déjà sorti, en 2022, « Anti fake news : Le livre indispensable pour démêler le vrai du faux (First éditions) ».
Le dessin de presse, un métier sensible
Rodho, qui dessine pour le journal Fakir, le site Bastamag, le mensuel du syndicat agricole la Confédération paysanne, pour le quotidien Le Monde ou France 24, peut passer de 15 minutes à plusieurs heures sur un dessin. “On présente nos dessins 3, 4 fois par semaine, on est pris ou pas.”
« Des dessins de presse sur les réseaux sociaux, il y en a beaucoup, ce n’est pas forcément publié dans des médias. Un dessin de presse, ça doit être dans la presse. Ça montre qu’on met les moyens dans une info critique. »
Dessinateur de presse, un métier aujourd’hui menacé, à l’instar du journalisme d’investigation. Rodho, comme ses confrères et consœurs, doit tirer son épingle du jeu dans un milieu dans lequel la satire est le choix de peu de médias. “C’est compliqué d’avoir des gens critiques, des dessins transgressifs. Les rédacteurs en chefs sont un peu frileux », explique Rodho, faisant référence au dernier rapport de Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, dans lequel la France dégringole à la 25e place.
« Le dessin fait pivot, réattire l’attention sur le reste. » • © Rodho
« Provoquer du débat” en milieu scolaire
Rodho, qui se donne pour mission de “mettre en avant les injustices”, “d’être toujours du côté des faibles”, intervient en milieu scolaire tout au long de l’année, essentiellement dans l’académie de Besançon.
À la base avec le CLEMI (Centre pour l’éducation aux médias et à l’information), puis avec l’association Cartooning for Peace, “avec qui on anime ateliers et rencontres”, Rodho a travaillé le décryptage des fausses nouvelles en collège et lycée, puis auprès d’écoliers en classe élémentaire. « Les ados de 14 à 20 ans font un peu gaffe quand même. On est davantage sur l’argumentation. Dans les CM1, CM2 on reprend vraiment la base. »
« Je leur explique mon travail. Ils vont devoir produire un dessin sur un thème qu’ils choisiront. Faut qu’ils connaissent le sujet, qu’ils puissent avoir des arguments dessus. On va voir sur quels sites ils s’informent. »
« Je suis là pour convaincre personne, mais il faut en parler. » • © Rodho
Harcèlement à l’école, climat, les retraites, qui sont Donald Trump, Vladimir Poutine ou le président de la République, “quand on leur donne la parole, ils la prennent”, assure Rodho. Mais “il faut que ça vienne d’eux.” “On regarde quel site raconte ça, qui a dit ça, on se rend compte que ce ne sont pas des journalistes. »
Pour le dessinateur bisontin, ce travail d’éducation est essentiel, pour son travail à lui, comme pour les équipes pédagogiques. “On travaille beaucoup avec les profs. Il y a une vraie demande de leur part”. Même si parfois, “Il peut y avoir du débat, ça peut être chaud” dans certains établissements où les problématiques de laïcité peuvent être plus sensibles.
“La liberté d’expression, c’est très important. Je suis là pour convaincre personne, mais il faut en parler. Je vois qu’il y a une petite utilité dans ce que je fais”, se réjouit Rodho. Avec son dernier livre, il poursuit sa quête : “Provoquer du débat, sans haine. Il n’y a pas raison que ça s’arrête.”
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