À Madagascar, la Gen Z bouscule les modes de contestation

À Madagascar, la Gen Z bouscule les modes de contestation

La vie politique de la Grande Île est émaillée de contestations populaires, rappelle cet éditorialiste de “La Tribune de Madagascar”. Lassée, déçue, paupérisée, la Gen Z veut se faire entendre et utilise tous les moyens qu’elle a à sa disposition. Le 7 octobre, un militaire est nommé Premier ministre, “une provocation” de plus pour la jeunesse.

 

Le mouvement Gen Z Madagascar ne s’inscrit dans aucune lignée. Il ne descend pas de Wake Up [mouvement citoyen né à Madagascar sur les réseaux sociaux, en 2013] ni des luttes de 1972 [la rotaka, ou révolution malgache, mouvement d’agriculteurs et d’étudiants qui a vu la chute de la première république malgache]… Celles que j’ai vécues jeune et auxquelles Gen Z me fait, avec un peu de nostalgie, penser.

Et il descend encore moins (et c’est heureux) des mouvements de 2009. Il est vrai que le drapeau pirate de Luffy [venu du manga One Piece] détourné à la gasy [à la malgache] est quand même autrement plus créatif et plus gai que des tee-shirts orange.

Il est né ailleurs : dans le monde numérique, dans les réseaux, dans la colère. Cette jeunesse ne lit pas nos manifestes, elle regarde des mangas. Elle ne croit plus aux partis, elle croit aux crews. Elle ne suit pas des leaders, elle suit des principes. Et c’est là que j’ai découvert le socle symbolique de cette génération : le manga One Piece (oui, je sais… je suis has been).

 

“One Piece”, un manifeste politique sans le dire

 

One Piece, c’est bien plus qu’un manga ou un dessin animé, ou même aujourd’hui une série (réjouissante) sur Netflix. C’est une épopée politique déguisée en histoire de jeunes pirates. On y apprend que : la liberté vaut plus que la gloire ; l’amitié est une force révolutionnaire ; le pouvoir corrompt toujours ; la dignité se conquiert par la loyauté ; et que le rire est une arme contre la peur.

Luffy et ses compagnons incarnent le refus du conformisme, le courage joyeux de ceux qui se battent sans haine, et la foi dans une fraternité horizontale. Pas besoin de lire Marx ni Fanon. Ils ont Luffy. Et dans un monde saturé de mensonges, cela suffit pour rêver juste. Aujourd’hui, les jeunes agissent – et les anciens commentent. Je me souviens ici de Wake Up Madagascar en 2013. C’était magnifique. C’était sincère. Mais ça n’a pas pris comme a pu prendre Gen Z. Pourquoi ? Peut-être parce que Wake Up était trop raisonnable, trop “citoyen”, trop confiant dans les principes et la vertu de la morale publique. Wake Up croyait peut-être qu’il fallait convaincre. Les Gen Z savent qu’il faut bousculer.

Leur force, la viralité. Leur arme, la sincérité

 

Wake Up Madagascar, c’était une jeunesse urbaine, connectée, éduquée. Une élite qui rêvait d’un État meilleur. Mais qui ne parlait peut-être pas assez la langue du peuple. Et qui n’avait pas encore les outils d’aujourd’hui et leur diffusion pour se propager. Gen Z Madagascar, c’est la rue, le téléphone, la vidéo, le hashtag. C’est la foule qui apprend à dire non, à filmer la violence, à rire de ses oppresseurs. Wake Up voulait “réveiller les consciences”. Gen Z veut “réveiller le pays”.

En 2013, Wake Up imprimait encore des tracts. En 2025, ils font un live TikTok et atteignent 100 000 personnes. En 2013, les caméras appartenaient aux journalistes. En 2025, chaque smartphone est une caméra de vérité. Leur force, c’est la viralité. Leur arme, c’est la sincérité. Leur champ de bataille, c’est la Toile. Et quand ils enflamment la Toile, ce sont les puissants qui tremblent.

Ce qui me frappe dans ce mouvement, c’est que malgré la rage, malgré la violence à laquelle il est confronté, malgré les tentatives de décrédibilisation et les pillages, il reste digne et enthousiaste. Pas de violence gratuite, pas de vengeance. Une colère nette, claire, assumée. Ils ne veulent pas brûler le pays : ils veulent qu’on arrête de le voler. Leur “non-alignement” n’est pas un slogan. Leur “non-alignement” est une éthique. Et cette éthique-là, le peuple la sent. C’est ce qui explique leur crédibilité spontanée.

L’avenir est dans les yeux de ces jeunes

 

Notre rôle à nous, les has been, n’est pas de les juger. Ni de leur donner des leçons. Et encore moins de les récupérer. Notre rôle, c’est de les accompagner. De leur prêter un peu de notre expérience – sans leur voler leur horizon. Nous avons nos cicatrices. Ils ont leur foi. Et c’est leur foi qui fera avancer le pays.

Le Journal de l’île Rouge avait prévenu : “La manifestation prévue ce 25 septembre 2025 s’annonce comme l’une des plus importantes de ces dernières années”, alors que le président de Madagascar, Andry Rajoelina, était à New York pour l’Assemblée générale de l’ONU. Après deux semaines de contestation, au moins 22 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre et une centaine d’autres blessées. À l’origine du mouvement de colère, des coupures de courant à répétition – les Malgaches pouvant se retrouver huit heures durant sans eau ou électricité. Madagascar-Tribune.com a parlé, dès le lendemain, d’un “jeudi noir” dans ce pays où plus de 70 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Au bout de cinq jours de contestation, “le gouvernement est remercié”, titre L’Express de Madagascar et le général Ruphin Fortunat Zafisambo est nommé Premier ministre le 6 octobre. Considéré comme un cacique du pouvoir, il risque de ne pas faire l’unanimité alors que les manifestations se poursuivent.

Excédé et incapable de rassembler, Andry Rajoelina semble fébrile après ces semaines de contestation. Le site 2424.mg rapporte les propos du chef de l’État qui accuse, sans les nommer, des “organisations, pays et agences qui paient des gens pour mener les manifestations actuelles”.

On ne peut pas parler d’avenir sans parler au futur. Et on ne peut parler au futur qu’avec ceux qui le portent. Ce futur n’est pas dans les programmes ni dans les institutions, mais dans les yeux de ces jeunes qui filment, dessinent, chantent, dénoncent, codent et rêvent. Alors, laissons-les naviguer (ce sont des pirates). Même si la mer est agitée. Même si nous ne comprenons pas toujours leur cap. On a rêvé de Libertalia [république pirate mythique située dans le nord de Madagascar au XVIIIe siècle], ils le réinventent peut être. Car, à la fin, c’est eux qui peuvent ramener Madagascar vers la lumière. Et ce jour-là, peut-être, nous pourrons sourire et dire, avec tendresse et humilité : nous avons vécu 2009, pas eux. Mais c’est bien eux qui vivront 2030.

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