Cette « loi sur les réparations », adoptée dans la précipitation et sans débat démocratique, fait-elle réellement progresser la mise en oeuvre de la justice transitionnelle en RDC ? Fait-elle plutôt partie d’une stratégie gouvernementale de mise en œuvre d’une justice transitionnelle tronquée, limitée aux seuls mécanismes non-judiciaires (la recherche de la vérité et la réparation) aux dépens des mécanismes judiciaires (les poursuites pénales) et quasi-judiciaires (l’assainissement ou vetting du secteur de sécurité) ? Ou encore, le processus d’adoption de cette loi sur les réparations, « piloté » par la première dame, s’inscrit-il dans une stratégie aux relents électoralistes ?

Comme son intitulé l’indique, l’objectif de cette loi est de fixer les principes fondamentaux relatifs à la protection et à la réparation

  • des victimes de violences sexuelles liées aux conflits et
  • des victimes de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité

          Le texte de la loi : 065 Loi FONAREV

L’exposé des motifs ne parle que de la deuxième catégorie des victimes de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité,  appelés aussi « crimes internationaux » tels les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre, de génocide et d’agression. Les victimes de violences sexuelles liées aux conflits ne sont, en réalité, qu’une partie de cette catégorie plus large des victimes de ces crimes internationaux définis dans le Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale.

L’intitulé de la loi « fixant les principes fondamentaux » est  trompeur puisque, en réalité, la loi ne consacre qu’un seul article sur 57 à fixer ces principes. Elle est donc essentiellement consacrée à créer une pléthore d’institutions  et à déterminer « les modalités de protection et de réparation au profit de ces victimes » comme précisé en son article 1, qui énonce son objet et son champ d’application :

Ensuite, la loi énonce 26 définitions en son article 2 (points a. à z.) dont plusieurs posent question.

Par ex. : i. GENOCOST : journée commémorative du génocide congolais. (pourquoi une telle « définition » alors qu’aucune loi n’a reconnu jusqu’à présent l’existence d’un génocide congolais et qu’aucune juridiction nationale ou internationale n’a condamné pour crime de « génocide congolais »).

Beaucoup plus grave, les définitions essentielles de « réparation (t.) et de « victime » (y.) posent aussi problème (voir plus bas).

 Un seul article est consacré aux principes fondamentaux

Il s’agit d’un véritable « melting pot » où l’on retrouve quelques principes très fondamentaux mélangés à des généralités :

  • l’adhésion au principe du « do-no-harm » (1. ne pas porter préjudice aux survivants et autres victimes) ;
  • l’adoption d’une approche centrée sur la victime (5. La valorisation des victimes, particulièrement les plus vulnérables; La non-exclusion de la victime ; 11. La participation des victimes à tout le processus de réparation ; 13. Le respect de la différence et l’acceptation de la victime). 
  • les principes d’une grande généralité ( Le respect de la dignité et de l’autonomie individuelle).

Ces principes fondamentaux coexistent avec des « principes » beaucoup plus concrets qui, pour ne pas en rester au stade de pur vœux pieux, nécessitent d’être suivis de modifications légales ou règlementaires et donc de mesures d’application (qui pourraient bien ne pas voir le jour…) :

  • l’ouverture très large du droit d’accès à la justice (principes 2,3 et 4).
  • L’institution des critères d’éligibilité larges et des standards de preuves assouplis, centrés sur les victimes;

Le champ d’application

Comme on l’a vu, le champ d’application de la loi couvre deux catégories de victimes.

  • La 1ère catégorie est celle des victimes de violences sexuelles liées aux conflits
  • La 2ème catégorie est celle des victimes des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité

La 1ère catégorie est relativement circonscrite – victimes de violences sexuelles liées aux conflits – tandis que la 2ème catégorie est beaucoup plus  large – victimes des «crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité » c’est-à-dire les crimes internationaux (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de génocide) commis de 1993 à nos jours ( justification de ce point de départ ?) La 2ème catégorie englobe par ailleurs la 1ère catégorie

Si les principes fondamentaux peuvent s’appliquer aux deux catégories, les modalités d’application des réparations peuvent être fort différentes pour les deux catégories, celles concernant les victimes de violences sexuelles liées aux conflits pouvant ou même devant comporter des spécificités liées au genre.

Il  aurait été aussi nécessaire d’identifier à l’intérieur de la catégorie large  – victimes des « autres crimes graves » – non seulement la catégorie des « victimes de violences sexuelles liées aux conflits » mais aussi d’autres catégories. Par ex. : la catégorie des victimes d’atteintes à leur intégrité physique (personnes décédées, blessées, etc.) et la catégorie des victimes d’atteintes aux biens. Cette catégorisation est indispensable pour pouvoir procéder, de façon réaliste, à la détermination des bénéficiaires d’un programme de réparation ainsi que des différents types de réparation dont les différentes catégories de victimes devraient bénéficier : individuelles, collectives, matérielles,  symboliques, etc.

Champ d’application : Une mauvaise définition de « victime » entraine un nombre incalculable de victimes des crimes

Le statut de la victime et des ayants-droits est défini à l’article 4 (et suivants) qui renvoie à la définition de « victime » formulée à l’article 2 point y .

L’article 5 vient, de manière redondante, préciser qui sont les « personnes victimes de conflits » :

Les articles 7 et 8 opèrent la distinction entre les « victimes directes » et les « victimes indirectes » :

L’article 9 vient préciser qui sont les « ayants droit des victimes » :

Sur base de ces définitions de « victime », de « victime liée aux conflits », de « victimes directes » , « victimes indirectes » et « ayants droit des victimes », ce n’est pas « seulement » 6, 10 ou 12 millions de victimes[1] qui devraient être bénéficiaires de réparations mais la quasi-totalité de la population congolaise. Aucun programme réaliste de réparations ne peut être construit sur une telle base.

On ne sait pourquoi, la loi sur la protection et la réparation des victimes ne reprend pas la définition de l’’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies qui a défini les victimes comme : « les personnes qui ont subi individuellement ou collectivement un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, par suite d’actes ou d’omissions constituant des violations flagrantes du droit international relatif aux droits de l’homme ou des violations graves du droit international humanitaire. Le cas échéant et conformément au droit interne, on entend aussi par victimes les membres de la famille proche ou les personnes à charge de la victime directe et les personnes qui, en intervenant pour venir en aide à des victimes se trouvant dans une situation critique ou prévenir la victimisation, ont subi un préjudice»[2].

Une procédure d’identification des victimes confuse et irréaliste

Au regard de cette définition extrêmement large de la victime se pose la question très délicate de l’ identification de ces innombrables victimes leur permettant de revendiquer leurs «  droits des victimes » (définis à l’article 14) et surtout d’accéder aux différentes « modalités et mesures de réparation » (définies à l’article 42) des « préjudices », individuels ou collectifs, qu’elles ont subis (très détaillés aux articles 45 – préjudices corporels, 46 – préjudice psychologique, 47 – préjudices matériels, économiques et financiers, 48 – préjudices moraux et culturels)

La procédure d’identification de toutes ces innombrables victimes est fixée par les articles 49 à 52 :

L’article 50 établit « une liste unique consolidée »qui est « un registre officiel qui reprend les noms des personnes identifiées comme victimes par le Fonds ». L’identification des victimes semble donc relever de la responsabilité du Fonds auquel les demandes d’identification sont adressées conformément à l’article 51 :

« suivant les conditions fixées à l’article 4 »

Que dit cet article 4 ?

Ce n’est donc pas le « Fonds » qui identifie les victimes puisque le statut de la victime est constaté par une décision (susceptible d’appel) rendue par le Tribunal de grande instance du lieu de la Commission des faits.

Comment les victimes, qui, selon certains,  se comptent par centaines de milliers voire par millions, vont-elles obtenir du TGI cette décision judiciaire leur octroyant le  « statut de la victime » ?

La Loi baigne dans un flou le plus total qui risque de rendre cette procédure judiciaire d’identification des victimes et de reconnaissance du statut de victime totalement inopérante ou génératrice de nombreux conflits. Ce qui d’ailleurs est déjà prévu par la loi qui instaure, à l’article 23

En voilà un qui ne manquera certainement pas de travail …

Une véritable « bureaucratie de la réparation »

La loi prévoit la mise en place d’une série d’institutions et de services – une véritable bureaucratie de l’aide aux victimes – dont certains ne manqueront pas de réclamer la décentralisation dans les 26 provinces et  dont on peut déjà prédire qu’elles manqueront non seulement de moyens mais aussi d’indépendance.

Cela commence par une « Commission consultative » :

A cette commission purement consultative vient s’ajouter « le Fonds » :

Très étrangement, trois mois avant l’adoption de la Loi, lors de la 71e réunion du conseil des ministres tenue vendredi 30 septembre 2022, le gouvernement a déjà adopté le projet de décret fixant le statut d’un établissement public chargé de mobiliser et collecter les ressources financières destinées aux réparations des femmes victimes des violences sexuelles liées aux conflits et autres crimes[3]. Le statut d’établissement public du FONAREV ne garantit aucunement son indépendance et le place directement sous la coupe du gouvernement[4]. Il est en totale contradiction avec les recommandations généralement admises d’une composition pluraliste ou pluripartite d’un tel organisme. Malgré de nombreux efforts de recherche, Le Décret du premier ministre instaurant l’établissement public FONAREV est introuvable à ce jour.

Le Fonds lui-même aura 4 « services » :

Ce n’est pas tout. L’article 27 prévoit la création de « services spécialisés » :

La loi  fixe donc plusieurs  « modalités d’application de protection et de réparation ». Elle fait aussi bon nombre d’ annonces d’autres « modalités d’application », de certaines mesures, de certaines procédures (d’identification des victimes, par ex.), de création de nouvelles institutions (une Commission interinstitutionnelle d’aide aux victimes et d’appui aux réformes, un Fonds national de réparation des victimes, des services spécialisés, etc.). Toutes ces modalités précises d’application des réparations ne sont pas inscrites dans la loi mais seront uniquement du ressort du pouvoir exécutif agissant par voie d’ordonnance présidentielle, par Décret du Premier Ministre, par Arrêté du Ministre ayant les droits humains dans ses attributions. Plus aucune intervention des autres pouvoirs, le législatif et le judiciaire, n’est envisagée. Toute la politique et tout le futur programme national de protection et de réparation des victimes est de la compétence exclusive de l’exécutif. Cela constitue une grave menace pour l’indépendance des institutions qui seront chargées de mettre en œuvre les différentes modalités de réparation

La loi annonce la mise en place d’un véritable « appareil bureaucratique de la réparation » qui, au niveau national et au niveau décentralisé dans les 26 provinces, risque de compter un personnel pléthorique et dont les coûts de fonctionnement risquent fort d’absorber les financements obtenus et d’épuiser les ressources qui devraient être affectées aux différentes formes de réparation, dont l’indemnisation des victimes. Il faut répondre à la question : « Comment un Etat qui se montre depuis vingt ans incapable de payer à quelques centaines de victimes de violences sexuelles les dommages et intérêts auxquels il a été condamné in solidum par décision de justice, pourra-t-il accorder des réparations à des centaines de milliers, voire des millions de victimes « des autres crimes graves contre la paix et la sécurité de l’humanité » ?

Un financement des réparations aléatoire et principalement à charge des Congolais et donc aussi des victimes … et pas des prinicipaux responsables des crimes

Se pose évidemment la question cruciale du financement et des ressources de ce Fonds de réparation. Qui va payer ? La réponse se trouve à l’article 25 :

Comme on peut le constater le financement du Fonds de réparation est principalement à la charge de l’Etat congolais et de ses contribuables (via « la contribution des assurés », un pourcentage « de la redevance minière versée par les titulaires du titre minier d’exploitation », etc.) et de la communauté internationale à travers les contributions « des bailleurs de fonds, organisations internationales et philanthropiques ».

Le financement des réparations devrait être prioritairement mis à charge des auteurs des crimes commis.

Oubli incompréhensible : La loi omet de préciser que les victimes de crimes de masse[5] ont été victimes de conflits armés internes mais aussi et surtout victimes de conflits armés internationaux.  Cette implication des Etats tiers dans les conflits armés et dans la commission des autres crimes graves contre la paix et la sécurité de l’humanité doit avoir des répercussions importantes sur les modalités d’application des réparations qui devraient être octroyées aux victimes et notamment sur leur financement.  La loi ignore totalement cette dimension internationale.

Pour le Rapport Mapping « Le Gouvernement congolais devrait être le premier contributeur à un programme de réparations[6]. (…) « Mais des États tiers, l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi, l’Angola, etc., ont été aussi impliqués dans les violations et peuvent donc être tenus responsables de violations graves des droits de l’homme commises par leurs armées nationales ». [7].  En conséquence de cette implication des Etats tiers, le Rapport Mapping suggère, comme sources de financement d’un mécanisme de réparations que  » Toute somme saisie aux auteurs de crimes internationaux commis en RDC, quelle que soit leur nationalité ou l’autorité judiciaire qui a procédé à la saisie, pourrait également être versée à pareil mécanisme de réparation. Il en va de même des montants qui pourraient être versés en termes de réparation par un État responsable de violation de ses obligations selon le droit international humanitaire à l’égard de la RDC, tel que dans le cas de l’Ouganda« . (…) « Dans un arrêt du 19 décembre 2005, la Cour internationale de Justice (CIJ) a d’ailleurs déjà condamné l’Ouganda au paiement de réparations à la RDC pour les violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par ses forces armées sur le territoire congolais, après avoir constaté l’invasion du territoire congolais et l’occupation militaire de l’Ituri par cet État[8]. Par contre, la CIJ s’est déclarée incompétente pour statuer sur la demande de la RDC contre le Rwanda, ce pays n’ayant pas accepté la juridiction obligatoire de la Cour »[9].

Le 9 février 2022, la Cour internationale de Justice, organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies, a rendu son arrêt sur la question des réparations en l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) et a condamné l’Ouganda au paiement à la RDC de 325 millions de dollars. Que fait aujourd’hui le gouvernement congolais pour obtenir de l’Ouganda le paiement effectif de ces réparations ?

Le financement du Fonds et des programmes et mesures de réparation devraient donc principalement être pris en charge par ces Etats tiers dont la responsabilité est engagée pour les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises durant les conflits qui ont eu lieu en RDC. Le rapport Mapping identifie des pays « qui peuvent être tenus responsables de violations graves des droits de l’homme commises par leurs armées nationales pendant la période sous considération en RDC, notamment l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et l’Angola ». Il note que des enquêtes plus approfondies pourraient établir les responsabilités d’autres pays, ou possiblement de entreprises étrangères.  Qui plus est, le rapport souligne que « les pays tiers dont la responsabilité internationale est engagée pour violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire ont l’obligation de payer des réparations à l’État sur le territoire duquel les actes ont été commis et les dommages subis »[10]. (1088 / 72)

A ce sujet, le site Justiceinfo.net soulève une très bonne question : « Que va faire le Congo des millions versés par l’Ouganda à titre de réparation ? »

65 millions de dollars ! C’est  en effet le premier versement, effectué en septembre dernier à la RDC par l’Ouganda, au titre des réparations pour son agression lors de la guerre de 1998-2003. Il s’agit d’une première tranche sur les 325 millions de dollars dont Kampala doit s’acquitter, en vertu de l’arrêt historique de la Cour internationale de justice (CIJ) prononcé le 9 février dernier. Le montant le plus important jamais accordé à titre de réparation par un tribunal international pour des violations graves des droits humains. Les 65 millions doivent être suivis dans les cinq ans de quatre versements identiques. « Kampala paie donc la réparation pour renforcer les relations bilatérales, mais aussi pour faciliter la coopération militaire contre les rebelles de l’ADF ainsi que le commerce », résume le professeur Makara, pour qui le timing est évident.

Le point majeur d’inquiétude pour les victimes est la gestion de ces fonds ougandais par un « établissement public ».

Les millions reçus de Kampala sont pour l’instant déposés sur un compte transitoire du ministère de la Justice, indiquait Rose Mutombo, la Garde des Sceaux, au conseil des ministres du 9 septembre. Cet argent assure-t-elle ne pourra être utilisé qu’après l’opérationnalisation effective du Fonds spécial de réparation et d’indemnisation aux victimes des actes illégaux de l’Ouganda en RDC ou à leurs ayants-droit. Mais jusqu’à présent, le gouvernement n’a pas précisé quand ce fonds spécial sera opérationnel et à quoi précisément l’argent sera affecté. Ce qui alimente l’inquiétude de la société civile et des victimes. ‘’Le gouvernement congolais ne nous inspire pas confiance, pas du tout. Parce que l’on voit comment les questions financières sont gérées au niveau national »[11]

Les associations de victimes, les ONGs de défense des Droits de l’homme, les plateformes de soutien à la candidature du Dr Mukwege, « l’homme qui répare les femmes », seraient  bien inspirées de formuler plusieurs exigences concernant ce paquet de « réparations » de 325 millions de $ alloués par la CIJ. Elles pourraient exiger :

  1. Que la gestion de ces fonds soit confiée à un organe indépendant pluripartite (gouvernement, société civile et organisations de victimes, Nations Unies et CI) ;
  2. Que ces fonds soient effectivement affectés à différentes formes de réparation en faveur des victimes :
    • Un programme d’exhumation des fosses communes avec l’appui de la MONUSCO et du BCNUDH, ce qui nécessite le renforcement des capacités congolaises en matière d’anthropologie médico-légale et de traçage par l’ADN ;
    • Des réparations individuelles octroyées aux ayant droit des victimes exhumées des fosses communes ;
    • Des réparations collectives en faveur des communautés victimes après un processus de consultation sur leurs besoins prioritaires ;
    • Des réparations spécifiques pour les victimes de violences sexuelles en période de conflits.
  3. Qu’un mécanisme indépendant de surveillance et de suivi/évalation (reparation WATCH) soit mis en place pour veiller à ce que cet argent soit « tracé » et que :
    • Ce versement de 65 millions de $ par l’Ouganda ne soit pas le 1er et le dernier.
    • Ces fonds ne soient pas mal gérés ou détournés et que les victimes puissent réellement en voir la couleur
  4. Que des juristes spécialisés trouvent une solution pour amener le Rwanda à payer, lui aussi, sa part des réparations puisque sa responsabilité est grandement engagée pour les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises dans les conflits qui ont eu lieu en RDC.

Conclusion : un écran de fumée

Cette loi pourrait bien n’être qu’un écran de fumée, voire un piège, masquant une absence de volonté politique réelle pour la mise en place de TOUS les mécanismes de la justice transitionnelle en RDC, judiciaires et non judiciaires. Elle permet de faire croire à la population, aux victimes et aussi aux partenaires techniques et financiers que la justice transitionnelle est enfin mise en œuvre en RDC. En réalité, cette loi ne fait qu’annoncer des mesures, des procédures, de nouvelles institutions, entièrement sous le contrôle du pouvoir exécutif.

Sur plusieurs points, cette loi sur la réparation, ainsi que d’autres initiatives gouvernementales en cours, sont en porte-à-faux avec le « Plaidoyer pour une stratégie nationale holistique de justice transitionnelle en RDC » promue par la Fondation Panzi du Dr Mukwege, Prix Nobel de la Paix [12] :

« Ce foisonnement d’initiatives en cours, dont aucune n’est encore aboutie, met en évidence la nécessité d’adopter au préalable et en priorité une stratégie et un programme national en matière de réparation, centré sur les victimes et sensible au genre, avant d’adopter un cadre normatif et de mettre en place un Fonds fiduciaire ou un Fonds d’indemnisation en vue de mettre en oeuvre le programme de réparation pour les victimes des conflits en RDC. (…)

En raison du grand nombre de victimes et au regard de la complexité des réparations à mettre en oeuvre, il serait judicieux de confier l’élaboration de programmes de réparations à un organe spécifique qui devrait jouir d’une grande indépendance, d’un niveau élevé de probité et de prérogatives larges pour définir le type de violation qui sera sujet à réparation et identifier des catégories de victimes ayant droit à différentes formes de réparations. En effet, la détermination des bénéficiaires d’un programme de réparation est d’une importance cruciale et plusieurs critères valables peuvent être utilisés, par exemple la gravité de la violation, ses conséquences sur la santé physique ou mentale des victimes, la stigmatisation, l’éventuelle répétition des violations, ou la situation socio-économique actuelles des victimes. Les types de réparation devront aussi être déterminés : individuelles, collectives, matérielles et symboliques.(…)

Afin de garantir l’octroi rapide de réparations aux victimes et aux survivant.e.s qui en ont cruellement besoin et qui attendent d’obtenir justice et d’autres formes de réparation depuis de nombreuses années, ces programmes administratifs de réparation devraient être poursuivis, développés et mis en oeuvre en parallèle et en complémentarité avec le développement et la mise en oeuvre des autres mécanismes de justice transitionnelle mentionné dans le présent document. (…)

L’Etat congolais devrait envisager divers modèles de financement des réparations. Ces mesures de réparation devraient également être prises en charge par les Etats tiers dont la responsabilité est engagée y compris les Etats dont la responsabilité est engagée pour les violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises dans les conflits qui ont eu lieu en RDC, en tant qu’obligation en vertu du droit international coutumier, et comme vecteur privilégié pour créer les conditions propices à une réconciliation régionale et une coexistence pacifique ».

On peut même dire plus : Sur plusieurs points, cette loi sur la réparation, ainsi que d’autres initiatives gouvernementales en cours, sont en porte-à-faux avec les recommandations formulées dans le PROJET DE POLITIQUE NATIONALE DE JUSTICE TRANSITIONNELLE EN RDC : « Pour jouer effectivement son rôle d’instrument au service de la paix et du développement durables, la justice transitionnelle doit être pensée et exécutée suivant une approche holistique. Par conséquent, tout en saluant l’adoption et la mise en œuvre imminente de la loi fixant les principes fondamentaux relatifs à la protection et à la réparation des victimes des violences sexuelles liées aux conflits et des victimes de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, l’opérationnalisation des quatre piliers de la justice transitionnelle devrait se faire de manière simultanée. D’où l’urgence d’adopter l’avant-projet de loi-cadre préparé par le Comité scientifique qui a été chargé d’élaborer le projet de cette PNJT ».( page 25 de l’annexe 1 PROJET DE POLITIQUE NATIONALE DE JUSTICE TRANSITIONNELLE EN RDC – page 234 du document).

Ce principe fondamental de la « simultanéité » de l’opérationnalisation des quatre piliers de la justice transitionnelle n’a évidemment pas été respecté. On peut donc s’interroger non seulement sur le fonds, sur le contenu de cette « loi sur les réparations » mais aussi sur la forme, sur le processus de son adoption dans une célérité véritablement exceptionnelle, rarement vue en RDC. Le vote, la promulgation et la publication au Journal officiel, de la loi ont été réalisées en à peine un peu plus d’un mois, quasiment sans aucun débat en commissions et en assemblées plénières de l’Assemblée nationale et du Sénat.

En date du 02 octobre, le Gouvernement a adopté le projet de décret fixant le statut d’un établissement public chargé de mobiliser et collecter les ressources financières destinées aux réparations des femmes victimes des violences sexuelles liées aux conflits et autres crimes (FONAREV). D’après le compte-rendu du Conseil des ministres du  vendredi 10 février 2023[13], « un Fonds de réparation des victimes a été créé par Décret du Premier Ministre et sera opérationnel sous peu ».

En voulant « mettre la charrue avant les bœufs» le pouvoir exécutif jette un voile de suspicion sur ses initiatives récentes et précipitées et amène plus d’un à s’interroger sur ses motivations profondes et sur son agenda. Cette loi, adoptée dans la précipitation et sans débat démocratique, fait-elle partie d’une stratégie gouvernementale de mise en œuvre d’une justice transitionnelle tronquée, limitée aux seuls mécanismes non-judiciaires (la recherche de la vérité et la réparation) aux dépens des mécanismes judiciaires (les poursuites pénales) et quasi-judiciaires (l’assainissement ou vetting du secteur de sécurité) ? Ou encore, le processus d’adoption de cette loi sur les réparations, « piloté » par la première dame, s’inscrit-il dans une stratégie aux relents électoralistes[14] ?

En tout cas, les associations de victimes, les OSC, les ONGDH, etc. feraient bien de faire preuve d’indépendance et d’esprit critique avant de valider et de vulgarise une loi qui soulève autant de questions.

 

Luc Henkinbrant

Docteur en Droit (UCL), Ancien directeur d’Amnesty International Belgique Francophone (AIBF) (1985-1995), Ancien Human Rights Officer et Coordonnateur de l’Unité de lutte contre l’impunité et de justice transitionnelle du BCNUDH en RDC (2001-2011), Professeur invité à l’Université Catholique de Bukavu (UCB) depuis 2013 (Cours : DPI, DIH, Mécanismes de la Justice Transitionnelle) et à l’ACAMIL (Académie militaire de la RDC)(2014), Cofondateur du Mémorial en ligne www.memorialrdcongo.org

Contact : luc.henkinbrant@gmail.com

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NOTES :

[1] Nombre de victimes de plus en plus souvent cité mais qui ne repose sur aucune estimation scientifique et ne distingue pas les victimes directes des victimes indirectes.

[2] Résolution 60/147 de l’Assemblée générale sur les Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, par. 16.

[3] Voir https://actualite.cd/index.php/2022/10/02/la-rdc-cree-un-etablissement-public-charge-de-mobiliser-les-fonds-destines-aux

[4] La loi n° 08/009 du  07 juillet  2008  portant dispositions générales applicables aux établissements publics fixe, conformément à l’article 123 de la Constitution, les dispositions générales relatives à l’organisation et au fonctionnement des établissements publics. Aux termes de cette Loi, l’établissement public est toute personne morale de droit public créée par l’Etat en vue de remplir une mission de service public. L’Etat désigne la puissance publique, autorité de régulation comprenant le pouvoir central, la province et l’entité territoriale décentralisée. Un Décret du Premier Ministre délibéré en Conseil des Ministres crée l’établissement public, fixe ses statuts, détermine la nature de sa mission, son patrimoine et sa dotation initiale. Les membres du Conseil d’Administration sont nommés, relevés de leurs fonctions et, le cas échéant, révoqués par Ordonnance du Président de la République, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des Ministres. Leur   ne peut dépasser cinq membres dont le responsable de la Direction générale. L’établissement public est placé sous la tutelle du Ministre en charge du secteur d’activités concerné.

[5]qui ne sont pas que congolaises mais aussi rwandaises cfr la 1ère guerre et les crimes de masse à l’encontre des réfugiés hutu)

[6] « Certes, cette contribution doit être proportionnée aux capacités budgétaires réelles de l’État, mais un effort adéquat montrerait que l’État reconnaît cette obligation juridique et morale, donnerait un signal politique clair sur sa volonté d’aider les victimes et stimulerait les contributions d’autres partenaires à un programme de réparation ».

[7] Le Conseil de sécurité a estimé que, en connexion avec les trois guerres de Kisangani entre 1999 et 2000, « les Gouvernements ougandais et rwandais devraient fournir des réparations pour les pertes en vies humaines et les dommages matériels qu’ils ont infligés à la population civile de Kisangani »Résolution 1304 (2000) du 16 juin 2000, par. 14.

[8] CIJ, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo (RDC c. Ouganda), 19 décembre 2005, par. 259-260.

779 du Rapport Mapping : « Rompant avec le climat d’impunité générale qui prévaut en matière de crimes commis dans ce contexte, la Cour internationale de Justice (CIJ) a rendu un jugement, en décembre 2005, dans un procès intenté par la RDC à la République de l’Ouganda. La Cour devait se prononcer sur les nombreuses accusations d’exactions commises par les troupes ougandaises dans l’est de la RDC, y compris celles liées à l’exploitation illégale de ressources naturelles. La Cour a conclu que l’Ouganda avait « par les actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles du Congo commis par des membres des forces armées ougandaises sur le territoire de la RDC, et par son manquement aux obligations lui incombant, en tant que puissance occupante dans le district de l’Ituri, d’empêcher les actes de pillage et d’exploitation des ressources naturelles congolaises, [la République de l’Ouganda a] violé les obligations qui sont les siennes, en vertu du droit international, envers la RDC». Bien que la Cour ait également conclu que l’Ouganda avait violé ses obligations en vertu des droits de l’homme et du droit international humanitaire « par le comportement de ses forces armées, qui ont commis des meurtres et des actes et torture et autres formes de traitement inhumain à l’encontre de la population civile congolaise […] ont incité au conflit ethnique et ont manqué de prendre des mesures visant à y mettre un terme », elle n’a pas fait le lien entre l’exploitation des ressources naturelles et la commission de ces violations. La Cour a conclu que l’Ouganda avait l’obligation de faire réparation à la RDC .

Le Gouvernement de la RDC a présenté une cause similaire à la Cour contre le Rwanda, mais la Cour a jugé qu’elle n’avait pas compétence pour instruire

[10] Voir sur le site du HCDH la Fiche d’information 6 sur les États de la région impliqués  ou Etats tiers à l’adresse : https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Countries/CD/Fiche6_Etats_tiers_FINAL.pdf

[11] https://www.justiceinfo.net/fr/107912-que-va-faire-congo-millions-ouganda-reparation.html

[12] Voir https://deboutcongolaises.org/plaidoyer-du-dr-mukwege-pour-une-strategie-nationale-holistique-de-justice-transitionnelle-en-rdc/

[13] en son point I. COMMUNICATION DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE 3. De l’appui du Gouvernement au processus de mise en place de la justice transitionnelle : «  S’agissant du pilier réparation, pour la première fois, la République Démocratique du Congo s’est dotée d’un cadre légal pour la prise en charge des victimes à travers la Loi N°22/065 du 26 décembre 2022 portant principes fondamentaux relatifs à la protection et à la réparation des victimes de violences sexuelles liées aux conflits et des victimes des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Dans le même sens, un Fonds de réparation des victimes a été créé par Décret du Premier Ministre et sera opérationnel sous peu. Ce texte sera bientôt complété par une Ordonnance présidentielle portant organisation et fonctionnement de la Commission inter-institutionnelle d’aide aux victimes et d’appui aux réformes ».

[14] Selon Actualite.cd la première dame Denise Nyakeru Tshisekedi qui avait fait de ces textes son cheval de bataille pour la protection des femmes victimes des violences sexuelles. »Un grand pas a été franchi dans la quête de la réconciliation nationale. Je réitère mon vœu de voir le législateur étudier urgemment cette proposition et nous doter d’une loi qui va répondre aux attentes de millions de survivant.e.s. Mes sincères félicitations à la commission ad-hoc FONAREV qui a abattu un travail de titan pour arriver à ce résultat. Au législateur d’emboîter le pas « , avait écrit l’épouse de Félix Tshisekedi sur Twitter.