La Journée internationale des femmes de 2023 a été l’occasion pour les populations du monde entier de rendre hommage aux contributions des femmes et des filles à tous les aspects du progrès humain. Elle représente également une opportunité de souligner les discriminations auxquelles elles font encore face au quotidien ; cela nous rappelle quels sont les obstacles qui les empêchent d’avoir des postes influents ou de développer leur potentiel de leadership, ce qui est pourtant leur droit le plus strict. Aujourd’hui, c’est particulièrement vrai dans le monde numérique.
« On explique souvent la fracture numérique par le manque d’intérêt des femmes et des filles pour les nouvelles technologies. C’est faux », déclare la Dr Natalia Kanem, directrice exécutive de l’UNFPA. « Ce sont les violences et les discriminations qui perpétuent l’exclusion des femmes et des filles du monde des technologies. De plus, cette fracture numérique réduit leurs possibilités et renforce les inégalités économiques, sociales et de genre. »
L’UNFPA propose ci-dessous une liste de cinq raisons pour lesquelles il est essentiel que nos leaders garantissent aux femmes et aux filles l’espace et la sécurité nécessaires pour devenir des créatrices de notre expérience numérique commune, à égalité avec les hommes.
1. La violence basée sur le genre est tout aussi courante dans le monde virtuel que dans le monde réel
La violence dans les espaces numériques est monnaie courante, et les femmes et les filles sont attaquées de manière disproportionnée. La violence en ligne est souvent de nature sexuelle, et ses conséquences rejaillissent fréquemment sur le monde réel. Il est pourtant rare qu’elle soit considérée avec tout le sérieux qu’elle mérite.
Olimpia Coral Melo Cruz le sait bien : lorsqu’elle était adolescente dans la ville mexicaine de Puebla, elle a enregistré une vidéo intime avec son petit-ami, à la demande de celui-ci. « Je m’étais dit que cela lui ferait passer l’envie d’aller voir ailleurs et que cela aiderait notre couple », a-t-elle expliqué à l’UNFPA. « Contrairement à aujourd’hui, je connaissais pas grand-chose à l’amour ». Son petit-ami l’a trahie et a posté cette vidéo privée sur les réseaux sociaux. Elle a rapidement été reprise sur des dizaines de sites pornographiques, et la jeune femme a été submergée de messages à caractère sexuel, de la part d’hommes qu’elle ne connaissait pas. Sa vie est devenue un enfer. « J’ai cessé d’aller à l’école, j’ai évité beaucoup de choses car j’avais honte. Votre corps nu devient public sans votre autorisation, mais c’est vous que les gens montrent du doigt pour vous être laissée filmer. ».
Sa mère l’a encouragée à militer pour changer les choses, mais la bataille a été rude. « Lorsque vous confiez aux gens que vous avez été victime de violence numérique, on vous rit au nez. Les auteurs de certains commentaires avaient même créé des memes de nous, qui disaient : “Alors, vous allez m’incarcérer dans une prison virtuelle ?” » La voix de Mme Melo Cruz a pourtant porté plus loin que celle de ses détracteurs : en avril 2021, le Mexique adopté la Loi d’Olimpia, qui fait du partage non consenti de contenu à caractère sexuel un délit fédéral, puni d’un maximum de six ans de prison. « Nous avons le droit de nous sentir en sécurité dans les espaces numériques », dit-elle. « Nous devons bâtir un Internet qui protège avant tout notre sécurité et nos droits fondamentaux. »
2. La création des outils numériques ne prend pas en compte les utilisatrices et utilisateurs vulnérables : ils sont trop facilement retournés contre les femmes et les filles
Près de 60 % des femmes et des filles ont déjà subi des violences basées sur le genre facilitées par la puissance de la technologie. Ces attaques vont des insultes jusqu’à l’intimidation, des menaces jusqu’à des actes de violence physique et sexuelle. Cela est en grande partie dû au fait que la conception des outils numériques ne prend pas en compte les questions de genre, ni la violence omniprésente à laquelle font face les femmes dans leur vie quotidienne.
« Nous devons faire en sorte que tout le monde soit sur la même longueur d’onde lorsqu’il s’agit de comprendre les bénéfices mais aussi les risques », explique Stephanie Mikkelson, experte auprès de l’UNFPA en matière de genre et de technologie. « Le domaine de la cybersécurité ne trouve pas ses origines dans la protection des personnes mais dans la protection des actifs des entreprises », souligne-t-elle. « La modélisation des menaces ne prend pas toujours en compte les individus. Si l’on ajoute à cela le fait d’être une femme… cela ne traverse généralement même pas l’esprit des équipes de développement. Lorsque l’on examine la violence basée sur le genre, on s’aperçoit qu’elle est majoritairement exercée au sein du couple. Cela dépasse l’expertise des développeurs, pour qui la solution serait de dire “ne donnez pas votre mot de passe à votre mari”. »
Résultat ? Des produits qui facilitent malgré eux les comportements violents. « Prenez les écouteurs que je porte en ce moment-même », remarque Mme Mikkelson. « Ils disposent d’une fonction de géolocalisation. Nous avons déjà vu des harceleurs déposer volontairement un écouteur dans la voiture de leur ex pour savoir où elle se trouvait […] Une voiture avec une limite de périmètre préprogrammée peut empêcher une femme de fuir. Les agresseurs peuvent utiliser des appareils connectés à Internet comme des machines à café ou des thermostats et des caméras pour contrôler les personnes et exercer leur domination sur elles. »
Les nouvelles recommandations, rédigées avec l’aide d’expert·e·s de la technologie, d’agences partenaires des Nations Unies, d’organisations non-gouvernementales et bien d’autres, visent à rapprocher celles et ceux qui luttent contre la violence basée sur le genre des acteurs et actrices qui développent les nouvelles technologies. Elles appellent notamment à l’inclusion des femmes et des filles à chaque étape du développement. « Nous parlons de femmes présentes pour concevoir les technologies, pour les coder, pour développer la cybersécurité, et même pour financer ces projets », poursuit Mme Mikkelson.
3. Sans l’expérience et la voix des femmes, les « solutions » numériques innovantes continueront à perpétuer les vulnérabilités
Mme Mikkelson note également que de nombreux programmes et applications pourtant destinés à aider les groupes de personnes à risque peuvent en réalité exacerber leur vulnérabilité. « Même les actrices et acteurs animés des meilleures intentions peuvent faire autant de mal que celles et ceux dont les objectifs sont moins louables », explique-t-elle.
Les activistes contre la violence basée sur le genre travaillent avec de nombreuses équipes de développement pour créer des outils visant d’aide aux survivantes, comme des « boutons d’alerte » numériques pour prévenir la police. De tels programmes peuvent cependant créer de nouveaux risques : ainsi, que peut-il arriver à une femme qui utilise le bouton mais dont l’agresseur travaille dans les forces de l’ordre ? « Qui sont les personnes qui ont accès à ces informations ? Quel type de consentement est mis en place ? »
L’un des plus gros problèmes est la collecte et l’utilisation des données de manière sûre et éthique, une cause que défend l’UNFPA depuis plus de 15 ans. « Ces recommandations nous demandent de nous assurer que nous collectons les bonnes données, uniquement celles qui sont absolument nécessaires, et que nous avons un plan de protection et de stockage de ces données », ajoute Mme Mikkelson.
Les données peuvent aussi permettre de cibler les personnes, non seulement pour les partenaires violents mais aussi pour les individus motivés par la haine et la discrimination. « Lorsqu’on pense aux données utilisateur de personnes cherchant des informations sur l’avortement, ou issues de la communauté LGBTQI+, on voit bien à quel point cela peut être dangereux. »
4. Exclure les femmes et les filles du développement des technologies et de la prise de décision a un coût énorme
La violence en ligne renforce la fracture numérique existante : sur les 2,7 milliards de personnes non connectées à Internet, la majorité sont des femmes et des filles. Les survivantes de violence censurent leur vie en ligne pour se protéger, même si cela leur coûte des contacts et des opportunités d’emploi. Les personnes victimes de cyberattaques finissent souvent par payer des frais juridiques et de santé, et/ou des frais liés à un déménagement et à l’effacement de leurs informations personnelles dans les espaces virtuels.
Pour Norma Buster, cela n’a été qu’une partie des conséquences qu’elle a dû endurer lorsque son ex-petit-ami a posté sur Internet des photos intimes de la jeune femme et donné ses coordonnées à des inconnus. « J’ai vécu dans une prison psychologique pendant des mois. Je souffre de stress post-traumatique », explique Mme Buster. Elle est aujourd’hui directrice des relations clients au sein d’un grand cabinet d’avocat·e·s qui aide les survivantes de violences sexuelles, domestiques et facilitées par la technologie à obtenir justice. « Les agresseurs de ce genre essaient généralement de réduire leurs victimes au silence par la honte. »
Lorsque les femmes sont forcées à adopter le silence ou l’auto-censure comme mécanismes d’adaptation, le monde est privé de leurs perspectives et de leur créativité. Les espaces numériques deviennent alors plus hostiles aux autres femmes et filles. C’est un cycle de discrimination et d’exclusion, qui « réduit leurs perspectives d’avenir et renforce les inégalités sociales, économiques et de genre », souligne la Dr Kanem. « Les femmes et les filles sont essentielles pour construire un avenir juste. Plus elles seront impliquées dans la création des nouvelles technologies, moins elles seront vulnérables et plus notre société en tirera profit. »
5. L’égalité des genres dans la technologie permettra de promouvoir l’égalité des genres dans tous les domaines de nos vies et de notre avenir
L’un des avantages d’inclure les femmes dans la technologie est de bénéficier des innovations qu’elles peuvent proposer, inspirées par leur façon d’appréhender le monde.
Mariam Torosyan, originaire d’Arménie, en a fait l’expérience. Lorsqu’elle était enceinte de sa fille, une femme âgée s’est approchée d’elle et lui a dit de ne pas s’inquiéter, que son deuxième enfant serait un garçon. Cette interaction l’a faite réfléchir sur toutes les façons dont l’inégalité des genres pèse sur la vie des femmes et des filles. « Dans une société patriarcale comme la mienne, les filles sont dévalorisées, avant même qu’elles naissent », explique-t-elle. « C’est pour cela que j’ai décidé de concentrer mes efforts sur l’amélioration du statut des femmes et des filles dans la société dans laquelle je vis. »
Mme Torosyan, qui a fait des études de droit et travaillé avec des survivantes de violences, s’est tournée vers la technologie pour rassembler les femmes et les filles. Elle a créé des espaces de pair-aidance où les femmes peuvent parler de leurs difficultés liées au sexisme, et se soutenir mutuellement pour trouver des solutions.
Elle indique être inspirée par les communautés de survivantes qu’elle a créées. « Il ne faut jamais sous-estimer la capacité des communautés à s’entraider et à prendre soin de leurs membres. »
Imaginez, dit-elle, un monde dans lequel la créativité des femmes et des filles serait mise au service du développement numérique : « Nous vivons dans un monde où la technologie permet de faire énormément de choses. C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que nous avons autant de ressources utilisables ».
À l’occasion de la Journée internationale des femmes, le monde entier – et en particulier les gouvernements et les responsables des grandes entreprises de technologie – doivent se réengager à agir contre la misogynie dans tous les espaces, contre la violence basée sur le genre quelle que soit sa forme, contre des préjugés genrés si fortement ancrés qu’ils menacent de laisser les femmes de côté, autant dans le monde numérique que dans le monde réel.
SOURCE : https://www.unfpa.org/fr/news/cinq-raisons-de-defendre-legalite-des-droits-pour-les-femmes-et-les-filles-dans-le-monde
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