De Tunis à Ouagadougou en passant par Kigali, les grandes villes du continent ont brusquement changé leurs habitudes pour éviter la propagation de la pandémie.

Maquis fermés, motos-taxis au chômage technique, écoliers désœuvrés… Pour éviter la propagation du Covid-19, les capitales d’Afrique ont pris elles aussi des mesures drastiques. Des confinements, interdictions et fermetures pas toujours faciles à faire respecter dans des villes où la promiscuité est souvent la règle et la débrouille un mode de vie. A Abidjan, Addis-Abeba, Alger et dans d’autres grandes cités du continent, les populations, prises de court, tentent de s’adapter.

A Ouagadougou, bières et brochettes à emporter

19 heures, la vie s’est arrêtée à Ouaga. En quelques minutes, les rues, d’habitude rythmées par le ballet infernal des véhicules, se sont vidées. Les étals de fruits et légumes remballés à la va-vite. La fumée s’échappe encore d’un stand déserté de poulet flambé. Quelques retardataires filent à toute allure sur leur moto, pressés de rentrer chez eux. Il faut faire vite avant l’arrivée des patrouilles des forces de l’ordre.

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Le couvre-feu a sonné et restera en vigueur jusqu’à 5 heures du matin. Ouaga, ville morte. Quelques sirènes d’ambulance crient dans la nuit, comme pour rappeler l’urgence. Celle de cette pandémie due au Covid-19 qui s’accélère. En moins de trois semaines, 152 cas, dont 4 morts, ont déjà été recensés au Burkina Faso (dernier comptage vendredi). Depuis, la capitale a perdu de sa frénésie et de ses couleurs. La journée, on y voit défiler une parade de gens masqués, certains gantés. Les plus aisés font la queue à la banque et le plein de provisions au supermarché. Mais pour les plus pauvres, les marchés ont fermé ce jeudi 26 mars. « Pas de clients, on avait déjà plus de touristes à cause du terrorisme, et maintenant la maladie nous tombe dessus. Comment est-ce qu’on va faire pour vivre ? », s’interroge un vendeur de pagne traditionnel, désemparé.

Une rue de Ouagadougou, le 16 mars 2020.
Une rue de Ouagadougou, le 16 mars 2020. OLYMPIA DE MAISMONT / AFP

Le 20 mars, l’annonce est tombée comme un coup de massue : couvre-feu, fermeture des aéroports, des frontières terrestres, des restaurants et des maquis, si chers aux Burkinabés. A l’heure de la « descente » – la fin du travail quotidien –, il faut désormais s’organiser. Quelques bières locales et des brochettes à emporter. Ou, pour les plus entêtés, un dernier verre dans un jardin caché. On partage les nouvelles. C’est le grin, comme l’on nomme en Afrique de l’Ouest, ces causeries entre voisins et amis. L’occasion d’oublier, au moins pendant quelques heures, avant le coucher du soleil, ce nouveau fléau au drôle de nom. Au moins, on ne nous enlèvera pas ça, pense-t-on. Au moins, « on est ensemble ».

A Abidjan, des maquis « à moitié fermés »

Dans la capitale économique ivoirienne, les milliers d’élèves en uniforme qui cheminaient chaque matin vers les écoles se sont éparpillés. Depuis lundi 16 mars, les établissements scolaires ont fermé. « Ce sont des vacances anticipées, c’est la meilleure nouvelle de l’année », estime André, un lycéen abidjanais de 16 ans, bras dessus bras dessous avec ses amis du quartier après un match de foot improvisé. Faute d’école et en l’absence de mesures de confinement, des milliers de mineurs se retrouvent chaque jour maîtres de leur emploi du temps. Bravant les mesures de distanciation sociale et d’hygiène par ennui plus que par rébellion adolescente, ils errent dans les quartiers avant de rentrer chez eux le soir, auprès de leurs parents.

A Abidjan, le 24 mars 2020.
A Abidjan, le 24 mars 2020. Luc Gnago / REUTERS

Traditionnellement, Abidjan la festive grouille de restaurants de quartier qui servent à boire et à manger en musique. Mais, depuis le lundi 23 mars et l’instauration de l’état d’urgence, la fermeture des maquis rend la ville plus silencieuse, presque sans repères. « De mémoire d’Abidjanais, je n’avais jamais vu ça, note Auguste, enseignant et habitant du quartier populaire de Yopougon. Même pendant les crises politiques et militaires, certains maquis restaient ouverts. » En s’enfonçant dans le quartier, loin des grands axes, des chaises en plastique aux couleurs de brasseries ivoiriennes signalent la présence d’établissements toujours ouverts. « Je suis à moitié fermé », indique très sérieusement l’un des propriétaires en regardant par-dessus son épaule.

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Depuis le début de la semaine, les gares routières sont pleines d’Abidjanais qui préfèrent rentrer « au village », à l’intérieur du pays, pour affronter la propagation du coronavirus et éviter le confinement généralisé qui se profile. A compter de dimanche 29 mars, à minuit, la capitale économique sera isolée du reste du pays, avec l’interdiction d’y entrer ou d’en sortir. « Ça peut paraître surréaliste mais, pour nous, c’est juste une ambiance préélectorale avant l’heure », s’esclaffe Célestin, en allusion à l’élection présidentielle prévue pour octobre.

A Bamako, le risque pèse peu face à l’ennui

Jeudi 26 mars. La chaleur est étouffante et la rue déserte et sans bruit. C’est la première nuit du couvre-feu instauré la veille par le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, suite à la découverte des deux premiers cas de Covid-19 dans le pays, dernier de la région encore épargné par la pandémie. C’est aussi la première nuit de l’état d’urgence sanitaire, décrété en plus de l’état d’urgence sécuritaire qui prévaut depuis 2015 dans ce pays en guerre. Les Maliens ne s’en émeuvent pas. L’habitude des urgences, peut-être. Il est interdit de circuler entre 21 heures et 5 heures du matin, quelle qu’en soit la raison.

Une rue quasi déserte de Bamako, en mars 2020.
Une rue quasi déserte de Bamako, en mars 2020. Luc Gnago / REUTERS

Le jour, les marchés, les mosquées restent ouverts malgré l’interdiction de rassemblement. Même les élections législatives de dimanche sont maintenues. Ces derniers jours, les prix des gels hydroalcooliques avaient tout de même doublé dans les pharmacies. Expatriés et personnel des ONG formaient des files interminables dans les supermarchés de la capitale. Dans la rue, des enfants jouant au ballon dans la poussière ne s’arrêtaient que pour regarder des étrangers passer : la main sur la bouche, ils toussaient deux fois, criant « corona », avant de reprendre la partie.

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Il est 22 heures. Au détour d’une rue résidentielle de Bamako, une dizaine de jeunes se sont retrouvés comme à leur habitude, devant la boutique de l’épicier qui laisse tourner des films de kung-fu sur sa télévision. Le couvre-feu est accueilli avec un haussement d’épaules. Au loin, les patrouilles de gendarmes font entendre les rappels à l’ordre par mégaphone. Déjà, les vidéos d’arrestations musclées circulent sur les réseaux sociaux. Des pluies de matraque ont été filmées chez les voisins du Sénégal, du Burkina Faso, de Côte d’Ivoire. Les jeunes s’attendent à ce qu’elles arrivent ici aussi. Mais le risque pèse peu face à l’ennui. Si ce dernier devient trop fort, chacun possède l’adresse d’un bar clandestin qui laissera ouverte une porte dérobée.

A Dakar, chute du trafic et baisse des températures

Les jours de semaine ont désormais des airs de lendemain de fête à Dakar. C’est le calme plat dans la capitale sénégalaise, y compris sur les principales artères de la ville, habituellement embouteillées à toute heure. La métropole africaine vit à ce rythme depuis le 14 mars, quand le chef de l’Etat, Macky Sall, a annoncé les premières mesures pour endiguer la pandémie de Covid-19, comme la fermeture des écoles et l’interdiction des réunions publiques.

Serigne Boye alias « Zeus », un graffeur de l’équipe RBS, travaille sur sa peinture murale pour encourager les gens à se protéger, à Dakar, le 25 mars 2020.
Serigne Boye alias « Zeus », un graffeur de l’équipe RBS, travaille sur sa peinture murale pour encourager les gens à se protéger, à Dakar, le 25 mars 2020. Zohra Bensemra / REUTERS

Le confinement n’a pas encore été décrété en haut lieu, mais beaucoup ne se déplacent plus désormais que pour leur activité professionnelle. Si dans les quartiers aisés de Dakar, la population reste cantonnée à domicile, dans les milieux populaires, la promiscuité rend le confinement difficile et entraîne des regroupements spontanés devant les foyers et aux coins des rues. L’effervescence reste aussi de mise dans les marchés alimentaires, chacun essayant tant bien que mal de faire des provisions de réserve.

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Avec le ralentissement des activités et la baisse du trafic, le temps s’est nettement adouci dans tout le Sénégal. Selon un bulletin météo de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim), il y a « une baisse des températures sur l’ensemble du territoire, avec une fraîcheur qui est revenue depuis le début de semaine et qui reste surtout marquée dans le nord du pays et les régions côtières ».

A Accra, les « trotros » roulent toujours

A Circle, plus grande gare routière d’Accra, la vie continue malgré les appels du président ghanéen Nana Akufo-Addo à réduire au maximum les déplacements. D’énormes enceintes crachent les noms des destinations. Les chauffeurs des « trotros », ces vans collectifs aménagés qui desservent les quatre coins du pays, hèlent les passants. Des centaines de personnes vont et viennent, sur les trottoirs étroits bordés d’échoppes informelles. Alors que les rassemblements dans les églises et les mosquées ont été interdits et que les écoles sont fermées jusqu’à nouvel ordre, le gouvernement n’a pour l’heure pas légiféré sur les moyens de transport collectifs, comme ces bus où peuvent pourtant s’entasser plusieurs dizaines de personnes.

Une messe retransmise en direct à Accra, le 22 mars 2020.
Une messe retransmise en direct à Accra, le 22 mars 2020. Francis Kokoroko / REUTERS

Seul signe de la pandémie de Covid-19 qui touche le pays depuis deux semaines, de plus en plus de passagers portent des masques et appliquent une solution hydroalcoolique sur leurs mains après avoir manipulé de l’argent. Eva se dirige vers un « trotro » pour se rendre à Kaneshie, un quartier situé au nord de la capitale ghanéenne. « Je n’ai pas le choix pour aller au travail, confie-t-elle en ajustant son masque. C’est la solution la plus économique pour se déplacer. »

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Mais, au Ghana, de plus en plus de scientifiques plaident pour l’arrêt de la circulation des vans, afin de limiter la propagation de la pandémie, qui touche quelque 136 personnes et a déjà fait 4 morts. A cette évocation, Kofi, chauffeur qui effectue régulièrement des allers-retours entre Accra et Kumasi, la deuxième ville du pays, s’emporte : « Comment allons-nous faire pour vivre et manger s’ils nous empêchent de travailler ? »

A Addis-Abeba, on s’en remet à Dieu et au télétravail

Dans la capitale éthiopienne, il plane dans l’air une menace invisible qui suscite la suspicion. Pour l’instant, seules 16 personnes ont été testées positives au Covid-19 et aucun décès n’a été recensé. Mais combien de cas passent encore sous le radar ? Les « Farendj », comme on surnomme ici les étrangers, ont déserté les rues. Depuis le 23 mars, tous les passagers atterrissant en Ethiopie sont placés en quatorzaine à leurs frais dans des hôtels désignés.

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Voilà plus d’une semaine que ce galeriste n’a pas vu un seul touriste. « Avec la saison des pluies qui arrive en juin, on n’aura plus personne avant septembre maintenant », déplore-t-il, alors qu’à l’arrière de son établissement, les tables qui accueillent habituellement des groupes de voyageurs pour le déjeuner sont désespérément vides. Les autres adeptes d’art contemporain, les employés des organisations internationales ou diplomates de l’Union africaine sont pour la plupart en télétravail. Tout comme des milliers de fonctionnaires fédéraux depuis mercredi 25 mars.

Des prêtres orthodoxes éthiopiens bénissent des fidèles avec de l’encens qui éloignerait le Covid-19, à Addis-Abeba, le 26 mars 2020.
Des prêtres orthodoxes éthiopiens bénissent des fidèles avec de l’encens qui éloignerait le Covid-19, à Addis-Abeba, le 26 mars 2020. Tiksa Negeri / REUTERS

Une mesure de plus après la fermeture des universités, des écoles, des bars, des boîtes de nuit, des frontières terrestres et le report des grands rassemblements. Pourtant, des photos de séminaires organisés par le Parti de la prospérité, au pouvoir, et diffusées sur Twitter la semaine dernière, montrent des centaines de participants assis les uns à côté des autres dans une salle fermée.

Dans ce pays très religieux, où les appels à la prière musulmane ou orthodoxe rivalisent bruyamment, beaucoup s’en remettent à Dieu pour les protéger. Quitte à négliger les appels à se tenir à distance des autres. A l’arrière d’un pick-up bondé, un prêtre orthodoxe agite son encensoir, créant un attroupement. Les quidams accourent pour être bénis et, espèrent-ils, épargnés par le Covid-19. Sur les larges avenues du centre-ville, les porteurs de masques naviguent entre les passants qui se saluent « à l’éthiopienne », d’un coup d’épaule, ou embrassent une croix tendue par un religieux. « Les gens pensent que Dieu va les secourir, mais il faut d’abord prendre soin de soi pour qu’il nous aide », s’indigne un taxi en mal de clients. Une bonne parole à propager d’ici au 19 avril, jour de Fassika (Pâques), la plus grande fête orthodoxe de l’année.

A Kinshasa, des haut-parleurs crient les consignes

En République démocratique du Congo (RDC), le confinement n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais comme ailleurs sur le continent, des mesures ont été instaurées pour limiter la propagation de la pandémie, comme la fermeture des écoles, des églises, des restaurants et des bars. Dans les taxis, les passagers ne peuvent monter qu’à trois et à dix dans les minibus.

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Mais dans la tentaculaire mégalopole de Kinshasa, tous ne sont pas égaux face aux consignes. Dans les quartiers les plus aisés de la capitale, comme à la Gombe ou à Ngaliema, les mesures de distanciation sociale dans l’espace public sont globalement respectées. A l’entrée des supermarchés, les clients font la queue et franchissent les portes au compte-gouttes, une fois leurs mains lavées et désinfectées. « Respectez les distances de sécurité ! Un mètre entre chaque personne ! », crient les haut-parleurs. Dans les hôtels les plus luxueux comme le Pullman, la température est prise systématiquement.

A Kinshasa, en mars 2020.
A Kinshasa, en mars 2020. Robert Carrubba / REUTERS

Les masques ont fait leur apparition sur le visage des Kinois et sont parfois vendus 5 dollars pièce (4,55 euros) dans le centre-ville. Une somme impossible à débourser pour la majorité de la population, dont les habitudes ne se sont guère modifiées du jour au lendemain. Dans les quartiers, les Congolais continuent à aller dans les marchés de plein air pour faire leurs courses alimentaires et à s’entasser dans les transports en commun. Malgré les nouvelles règles, les gros vans continuent à prendre plus de dix passagers, quitte à en faire descendre quelques-uns avant les contrôles de police.

Enfin, le simple lavage de mains relève aussi du parcours du combattant : les trois quarts de Kinshasa subissent des coupures d’eau quasiment quotidiennes. Sur le marché de la Liberté, Marcia, une vendeuse lève les yeux au ciel : « 5 000 francs congolais (2,65 euros) pour un gel hydroalcoolique. Comment voulez-vous qu’on achète ça ? »

A Kigali, même les taxis-motos ont disparu

Le vrombissement si familier des milliers de taxis-motos qui arpentent habituellement les rues de Kigali, la capitale rwandaise, a complètement disparu. Une semaine seulement après la confirmation du premier cas de Covid-19 au Rwanda, le pays, qui compte parmi les plus densément peuplés d’Afrique, s’est barricadé. Samedi 21 mars au soir, le gouvernement annonçait la fermeture de toutes les frontières, interdisait les déplacements non nécessaires et les trajets entre les différentes villes du pays pour une durée initiale de quinze jours.

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En une nuit, Kigali a changé de visage. Les rues du centre-ville sont désormais étrangement silencieuses, bordées de rideaux de fer colorés et d’échoppes cadenassées. Conformément aux instructions du gouvernement, seuls les magasins vendant de la nourriture et les pharmacies accueillent encore les clients. Plus de cabarets où se rassembler le soir pour siroter une bière au goulot, plus de comptoirs de paris sportifs, plus de salons de coiffure.

Des tailleurs travaillent sur des commandes de masques, à Kigali, le 17 mars 2020.
Des tailleurs travaillent sur des commandes de masques, à Kigali, le 17 mars 2020. Margaret Andresen / REUTERS

A ceux qui, dans les quartiers populaires, continuent à vaquer à leurs occupations, la police promet des amendes ou des arrestations. « J’espère que les autres ont des économies qui leur permettront de tenir deux semaines » lâche Aisha Uwase. Son magasin de produits sanitaires, situé dans le marché couvert du centre-ville, restera ouvert. Sur la colline d’en face, John Ngirimana a placé un petit bidon d’eau et du savon devant son échoppe. Une mesure de précaution pour des clients qui ne viennent pas. « Les riches vont acheter du riz et de la farine de maïs en gros, mais les autres ne consomment déjà plus », explique-t-il, assurant que ses ventes journalières sont passées de 50 à 8 euros. Assis sur un banc devant l’entrée de son magasin, des hommes désœuvrés laissent passer le temps en silence.

A Tunis, des robots de surveillance dans les rues

Dans les rues de Tunis, le flot de passants s’est considérablement réduit. Si ce n’est le matin où ils sont toujours nombreux à aller acheter leurs baguettes de pain blanc, essentielles pour les repas du jour. « J’essaie de prendre huit à dix baguettes en me rendant dans plusieurs boulangeries pour pouvoir tenir trois jours et éviter de sortir à chaque fois », rapporte Sami Raghi, 39 ans, un père de famille qui télétravaille de chez lui dans le quartier du Bardo.

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D’autres se font alpaguer en centre-ville par le robot Pearlguard, un automate de surveillance produit par la start-up tunisienne Enova Robotics, et habituellement réservé à l’export. Comme dans un film de science-fiction, l’engin apostrophe les rares passants et leur demande leur carte d’identité et le motif de leur déplacement.

L’avenue Habib-Bourguiba, coeur de Tunis,  le 22 mars 2020.
L’avenue Habib-Bourguiba, coeur de Tunis,  le 22 mars 2020. Zoubeir Souissi / REUTERS

Hors de la capitale, certaines zones sont comme coupées du monde, comme l’archipel de Kerkennah, au large de Sfax (est), où l’hôtelier Chiheb Slimen contemple chaque jour de sa fenêtre une mer agitée. « Les ferrys ne transportent que les marchandises ou les personnes ayant une urgence. On se sent encore plus isolé que d’habitude », précise-t-il. Si chaque ville s’adapte comme elle peut à ce confinement de plus en plus restrictif, certains secteurs se reconvertissent et tentent d’aider à leur façon.

Depuis quelques jours, la fédération tunisienne de l’hôtellerie met à disposition des établissements vides pour accueillir les personnels médicaux et paramédicaux qui veulent éviter de contaminer leurs familles. Les hôteliers se coordonnent aussi avec les hôpitaux pour acheter de l’équipement et pallier les manques. « On reçoit des listes de demande de matériels incroyables : les hôpitaux n’ont rien et on ne peut pas attendre que cela vienne de l’Etat », explique Mouna Ben Halima, membre de la fédération.

A Alger, l’adieu aux cafés

En Algérie, le confinement n’a été décrété le 23 mars que pour la région de Blida (sud), la zone la plus touchée par l’épidémie. A Alger, seul un couvre-feu a été instauré de 19 heures à 7 heures. Pourtant, d’autres mesures de prévention prises par les autorités ont changé les habitudes. Depuis le 22 mars, les cafés, ces lieux importants de socialisation en Algérie, sont fermés. « Je n’ai plus ces contacts humains auxquels j’étais habitué, soupire Abdelghani, 32 ans, qui s’y rendait deux fois par jour. Je fais mon café et je le prends sur le pas de ma porte pour respirer un peu. » Ahlem, une chef d’entreprise trentenaire, a remplacé ses visites quotidiennes au café par des appels de groupe avec ses amies « pour se remonter le moral ».

Le front de mer à Alger, le 25 mars 2020.
Le front de mer à Alger, le 25 mars 2020. Ramzi Boudina / REUTERS

Pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie indépendante, les mosquées sont fermées depuis le 17 mars et la grande prière du vendredi n’a pas lieu. « C’est étrange d’entendre l’appel à la prière et de ne pas pouvoir y aller », témoigne Emir, médecin, qui va à la mosquée chaque semaine. « On a grandi avec la joumouraa [prière du vendredi], raconte Walid. Qu’on sorte ou pas, tout le monde l’entend de sa fenêtre. » Par curiosité, il est allé voir les alentours de la mosquée de son quartier vendredi 20 mars : « Je n’étais pas le seul. J’ai eu l’impression que les gens étaient tristes. »

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Depuis plusieurs jours, les autorités ont également organisé des distributions de semoule, qui attirent les foules. Dans plusieurs commerces de la capitale, celle-ci commence à manquer, tout comme la farine. Une pénurie qui résulte de la spéculation, selon les associations de consommateurs, mais aussi de l’augmentation de la demande, car certaines familles ont décidé de faire leur propre pain. « Je préfère faire ma propre galette, car quand le pain arrive à la boutique, on ne sait pas qui l’a touché. Je ne sais pas si le gérant de la boutique avait les mains propres », explique Assia, fonctionnaire quinquagénaire, qui vit avec ses trois enfants et ses deux neveux.

 

SOURCE : Le Monde / Par ses correspondants à Ouagadougou, Abidjan, Bamako, Dakar, Accra, Addis-Abeba, Kinshasa, Kigali, Tunis et Alger