L’Observatoire de la parité, à  travers son média en ligne Debout Congolaises, veut « genrer »  la riposte au coronavirus (et aussi la « congoliser » et la « numériser »). « Genrer » la riposte c’est être conscient que la pandémie n’affecte pas de la même manière les hommes et les femmes. Le confinement est un révélateur des différences, voire des inégalités qui régissent les relations entre les femmes et les hommes dans notre pays, la RDC, et dans le monde. Pour nous aider à en prendre conscience, nous publions une analyse du Haut Conseil à l’Egalité (HCE) qui est, en France, l’instance nationale consultative indépendante chargée de la protection des droits des femmes et de la promotion de l’égalité des sexes.  Nous y avons glissé quelques NDLR de DC, c’est-à-dire  des Notes De La Rédaction de Debout Congolaises, en vue d’essayer  de « congoliser » un peu cette analyse pour l’adapter autant que possible au contexte congolais. Ces NDLR de DC sont en orange.

La période de confinement que nous connaissons aujourd’hui, liée à une crise sanitaire de grande ampleur, constitue un temps tragique de notre histoire. Nos schémas de pensée, de consommation, de styles de vie et plus largement nos relations avec la nature et nos innovations technologiques devront être totalement repensées, après cette tragédie. Mais, alors même que nous sommes tous unis dans un seul élan pour vaincre ce fléau, cette période de confinement met en lumière, avec une acuité inégalée, la place, les rôles et le traitement des femmes dans notre société. Jamais, un tel laboratoire des rôles sociaux de sexe n’a permis de révéler aussi clairement les différences, voire les inégalités qui régissent les relations entre les femmes et les hommes dans notre pays et dans le monde.

Les violences intra-familiales

Depuis le début de cette pandémie, pouvoirs publics et associations ont eu à cœur de lutter sans délai contre ce premier fléau que sont les violences intra-familiales à l’encontre des femmes et des enfants, violences exacerbées par l’enfermement dans ce qui est souvent le huis clos de l’enfer conjugal. Ainsi, les interventions des forces de sécurité intérieure au domicile pour violences conjugales ont augmenté de plus de 30% depuis le début du confinement. (NDLR de DC : Le fléau des violences conjugales ou domestiques frappe aussi très fortement en RDC et il est exacerbé par le confinement. Quelles mesures et actions concrètes peuvent être mises en oeuvre aujourd’hui en RDC, par les pouvoirs publics, par les organisations de femmes, etc. pour pouvoir combattre ce fléau  efficacement et effectivement ? )

Droits sexuels et reproductifs

Autre sujet de vigilance très vite mis en lumière, celui de l’accès aux droits sexuels et reproductifs et notamment le maintien des actes d’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans les hôpitaux et l’élargissement de l’accès à l’IVG médicamenteuse, même si demeure irrésolue la question du dépassement du délai légal pour pratiquer une IVG.

Place et statut des femmes dans les métiers 

Mais il est des domaines moins directement visibles et pourtant extrêmement révélateurs de la construction de notre modèle social : les personnes qui assurent aujourd’hui majoritairement la survie quotidienne de notre pays en termes de santé, en contact direct avec les malades, que ce soit les infirmièr.es, les aides soignant.es ou le personnel assurant la restauration ou le ménage, à l’hôpital ou dans les EPHAD, ce sont des femmes. Les personnes qui permettent aujourd’hui majoritairement que l’accès aux denrées alimentaires et aux biens de première nécessité soit possible, en tant que caissières dans les supermarchés ou dans les magasins de détail, en contact direct avec le public, ce sont des femmes. (NDLR de DC : En RDC, ce sont les femmes rurales, les petites commerçantes, etc.)
Certes, nous n’oublions pas tous ceux et celles qui assurent le contrôle du confinement, en contact direct également avec le public, ni celles et ceux qui assurent la logistique de cette organisation de crise, non plus que toutes celles et ceux qui doivent continuer à assurer les fonctions vitales de notre pays. Mais, ce qui interroge ici, c’est que les fonctions traditionnellement regroupées sous le vocable « care », le plus souvent sous évaluées, voire infériorisées, prises en charge par des travailleurs souvent précaires, sont précisément celles qui contribuent à notre survie lors de cette pandémie. (NDLR de DC : Lire à ce sujet :Le « travail de soin » à la source des inégalités économiques et de genre)

Place et statut des femmes dans le foyer 

Plus encore, la mise en œuvre du télétravail à grande échelle, des femmes et des hommes, dans leurs espaces de vie où ils doivent prendre en compte quotidiennement non seulement les tâches domestiques, mais, s’ils en ont, le soin des enfants ET leur éducation, constitue un laboratoire in vivo de ce que pourrait être un partage des tâches à parts égales entre les femmes et les hommes. Voilà que fait irruption, dans la charge mentale des parents, le soin éducatif, dont la difficulté croissante au fil des jours du confinement les font regarder avec des yeux tout autres, on peut l’espérer, une autre profession occupée majoritairement par les femmes, « mais comment font-elles ? Je n’en ai qu’un ; elles en ont 30 », profession mal rétribuée et insuffisamment considérée, celle des personnes qui éduquent nos enfants depuis la crèche jusqu’au lycée. (NDLR de DC : Le télétravail n’existe pratiquement pas en RDC qui accuse un retard scandaleux dans le recours au NTIC. Mais la même question se pose que partout ailleurs : le confinement à la maison va-t-il amener de façon durable les garçons et les hommes à prendre une part équilibrée dans les tâches domestiques afin de diminuer la surcharge du « travail de soin » dont les filles et femmes sont accablées ? Le confinement fera-t-il du foyer familial un laboratoire in vivo de ce que pourrait être un partage des tâches à parts égales entre les femmes et les hommes ?)

Et, dans le même temps, ce laboratoire conjugal change-t-il les pratiques et oriente-t-il les couples vers un partage égalitaire, ou bien conforte-t-il au contraire les rôles sexués, faisant porter sur les femmes la majeure partie de la charge mentale et émotionnelle, tandis que les conjoints, au métier souvent mieux rémunéré ou jugé « plus important », se consacrent plus facilement à leur télétravail ?

Cette crise, bien évidemment, exige que soient délivrés prioritairement des messages de survie en termes de santé et de lutte contre les violences et requiert un front uni contre cette pandémie. Les femmes et les hommes sont engagés dans des efforts au coude à coude et nous saluons ici cette mobilisation unanime et qui force l’admiration et le respect. Mais peut-être faudra-t-il un jour se demander pourquoi un message tout simple des pouvoirs publics préconisant le partage 50/50 entre femmes et hommes des tâches de la maison n’a pas trouvé place sur nos écrans ?  (NDLR de DC : Et dans ceux des TV (et radios) de la RDC ?).

Place et statut des femmes dans les médias 

Peut-être aussi faudra-t-il se demander pourquoi les médias ont reçu majoritairement des hommes sur leurs plateaux ? Si l’on sait que les postes de responsabilité à l’hôpital sont surtout dans la main des hommes, les médias, poursuivant leurs efforts entrepris depuis quelques années, ne devraient-ils pas mieux mettre en valeur les expertes sur les plateaux ou devant les micros ? Des expertes de premier plan siègent à l’Académie des Sciences et à celle de Médecine et de nombreuses femmes médecins ou soignantes pourraient utilement donner leur avis sur la meilleure manière de combattre la pandémie et être beaucoup mieux associées aux débats sur le drame qui nous frappe. ( NDLR de DC : La RDC aussi compte des expertes, des femmes médecins ou soignantes qui, dans les médias,   » pourraient utilement donner leur avis  sur la meilleure manière de combattre la pandémie et être beaucoup mieux associées aux débats sur le drame qui nous frappe« ).

Place et statut des femmes dans les organes de décision et de reconstruction

Enfin, faut-il rappeler le caractère révélateur des inégalités joué par le conflit ou la crise, au niveau international et son impact disproportionné sur les femmes, comme le montrent les questions à l’agenda « femmes, paix et sécurité » ? Faut-il rappeler également la nécessaire implication des femmes à la sortie de crise aujourd’hui, avec ses possibles en termes de reconstruction d’une société plus égalitaire ? Il s’agit d’un moment clé et d’un test pour la diplomatie féministe, dont l’un des objectifs devrait être de modifier de manière durable les structures inégalitaires du pouvoir patriarcal.   (NDLR de DC : Combien de femmes sont présentes dans le Secrétariat technique du Comité Multisectoriel de riposte au Covid-19 et dans les comités provinciaux ? Comment seront-elles impliquées dans la sortie de crise du coronavirus ?  Cette crise contribuera-t-elle à modifier de manière durable les structures inégalitaires du pouvoir patriarcal ?).

Violences, droits sexuels et reproductifs, place et statut des femmes dans les métiers, dans le foyer, dans les médias, dans les organes de décision et de reconstruction, à l’évidence, cette crise aura beaucoup de choses à nous apprendre.

C’est ce sur quoi le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sera mobilisé dans les mois à venir.

SOURCE :

Le Haut Conseil à l’Egalité (HCE) est l’instance nationale consultative indépendante chargée, en France, de la protection des droits des femmes et de la promotion de l’égalité des sexes. Créé en 2013, le HCE est inscrit dans la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté du 27 janvier 2017. Ses 54 membres représentent la diversité  des acteurs et actrices des politiques d’égalité femmes-hommes. Le HCE apporte son expertise aux pouvoirs publics et mobilise la société à partir de son travail de concertation, d’évaluation des politiques publiques, de formulation de recommandations, et d’animation du débat public.

(NDLR de DC : La RDC devrait normalement disposer d’une institution semblable au HCE français. La Loi n° 15/013 du 1er août 2015 portant modalités d’application des droits de la femme et de la parité a institué des structures chargées de la mise en œuvre de la Loi dont  le Conseil National du Genre et de la Parité qui est « un mécanisme inclusif composé des représentants des institutions, des Ministères concernés et des forces vives œuvrant pour la promotion de la femme. Il a pour mission de : -promouvoir l’appropriation, par les femmes et les hommes, de la dimension genre ; -formuler et proposer les politiques, programmes et mesures nécessaires à la mise en œuvre de la parité et des droits de la femme » (art.30). Cinq ans plus tard ce Conseil National du Genre et de la Parité n’a toujours pas été mis en place et ne peut donc promouvoir l’appropriation, par les femmes et les hommes, de la dimension genre de la pandémie du coronavirus.

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