RESUME

L’Observatoire de la parité et de l’égalité F/H (OPE) assure, comme son nom l’indique, une observation, une surveillance, un monitoring des progrès de la parité en RDC (consacrée par l’article 14 de la Constitution) dans tous les secteurs de la vie sociale, économique, culturelle et aussi politique. Les résultats de cette observation sont rendus publics par des « Etats des lieux de la parité » établis dans certaines Provinces et dans leurs Territoires. L’augmentation de la « participation politique de la femme » ou sa présence dans les institutions politiques sont donc évidemment au centre des préoccupations de l’Observatoire de la parité pour qui les élections sont un des moyens les plus essentiels pour faire progresser cette participation. Il était donc normal que l’Observatoire … observe le processus électoral en cours et concentre son observation sur l’évolution de la parité (progression, régression, statu quo) dans les institutions politiques (Assemblée nationale, Assemblées provinciales, Conseils communaux) suite aux élections nationales, provinciales et communales du 20 décembre 2023.

Le constat est malheureusement terrible : c’est un véritable fiasco !

A l’Assemblée nationale, le nombre de femmes passe de 50 (sur 500  sièges à pourvoir), soit 10% de l’AN, à 61 (sur 481  sièges à pourvoir, en raison du report des élections au Masisi, Rutshuru, Kwamouth) soit une augmentation très faible de 2,68 %, qualifiée par certains de ridicule.

Dans les Assemblées provinciales, le nombre de femmes passe de 75 (sur 715  sièges à pourvoir), soit 10,48% de de femmes, à 64 (sur 689 sièges à pourvoir, en raison du report des élections au Masisi, Rutshuru, Kwamouth) soit 9,28%. Ce qui signifie un recul de – 1,2%. Ces pourcentages pourraient légèrement varier à la hausse ou à la baisse en fonction des futures résultats des élections provinciales dans les trois circonscriptions où elles n’ont pas eu lieu).

Dans les Conseils communaux, institutions locales « de proximité » et donc généralement considérées comme plus propices à l’élection de femmes, le nombre de femmes élues conseillères communales est aussi très limité : 32 communes n’ont aucune femme élue; 6 ne comptent qu’une ou deux conseillères communales. On totalise donc 93 conseils communaux sur 113 avec une représentation nulle ou très faible des femmes. Il n’en reste que 20 où cette représentation est satisfaisante dont 2 seulement qui atteignent le seuil de parité de 50% .

(Lire l’intégralité des résultats et les commentaires dans la VERSION COMPLETE DU RAPPORT « ETAT DES LIEUX DE LA PARITE DANS LES INSTITUTIONS POLITIQUES – 2024)

En conclusion, il est donc impossible, de manière globale, de parler de progrès, d’avancée, etc. mais plutôt de stagnation, d’absence de progrès ou même de régression et donc d’un grave échec dans la marche vers la parité, telle que prévue et même imposée par l’article 14 de la Constitution. Toutes celles et tous ceux qui avaient mis leur espoir en une progression significative vers la parité à l’occasion des élections du 20 décembre 2023,  ne peuvent qu’être fortement déçu.e.s, mais pas découragé.e.s, et doivent forcément s’interroger sur les raisons de cet échec et surtout réfléchir à de nouvelles stratégies susceptibles d’en empêcher la répétition à l’avenir.

Suite au constat inévitable de ce fiasco beaucoup tentent d’en analyser les causes. Le manque de mobilisation des femmes, le manque de moyens financiers, le poids des stéréotypes, des préjugés et des normes socio-culturelles sont le plus souvent évoqués. Suite à cette analyse, plusieurs tentent didentifier les solutions, les stratégies pour surmonter ces obstacles et pour améliorer la représentativité des femmes dans les instances décisionnelles. En résumé, ce qui est proposé et recommandé  n’est rien d’autre que la poursuite de ce qui s’est toujours fait depuis les élections de 2006, de 2011, de 2018, jusqu’à celles de 2023, c’est-à-dire une stratégie ne reposant presque exclusivement que sur le « renforcement des capacités » des femmes et sur les campagnes de « sensibilisation ». 

Il n’est évidemment pas question pour l’Observatoire de la parité et de l’égalité F/H (OPE) de nier l’existence de ces causes et le poids de tous ces facteurs socio-culturels, économiques et sociétaux qui continuent de décourager les femmes à se présenter aux élections et donc de tous ces obstacles qui freinent la participation politique des femmes. Cette analyse, aujourd’hui bien connue et largement partagée, des « facteurs de blocage » de la participation politique de la femme s’applique presque partout dans le monde, aux pays africains et bien évidemment à la RDC. Il est donc nécessaire de déterminer quelle stratégie et quels moyens doivent être adoptés et mis en œuvre pour surmonter tous ces obstacles et favoriser une représentation plus égalitaire et plus inclusive des femmes dans les institutions politiques. Deux approches radicalement différentes sont en présence. L’une que l’on pourrait qualifier de « stratégie de renforcement des capacités et de sensibilisation ». L’autre que l’on pourrait qualifier de « stratégie des mesures temporaires spéciales »

L’approche « perdante » : la stratégie de renforcement des capacités et de sensibilisation 

La stratégie de la plupart des partenaires techniques et financiers (bailleurs de fonds, agences UN, coopérations, ONG internationales, etc.) et des organisations de la société civiles congolaises a été et est toujours quasi exclusivement orientée sur le « renforcement des capacités » et la « sensibilisation ».  Comme s’il suffisait de « capaciter » les candidates et d’organiser des campagnes de sensibilisation des électeurs-trices pour que les femmes soient élues et siègent en plus grand nombre dans les institutions. Le problème est que toutes ces activités, tous ces projets, programmes qui s’inscrivent dans cette stratégie de renforcement des capacités et de sensibilisation, si elles ne sont pas totalement inutiles, n’ont produit de toute évidence que des résultats extrêmement décevants lors des 4 cycles électoraux qu’a connus la RDC – et plus particulièrement lors du dernier. Cela démontre clairement le caractère inefficace de cette stratégie et ses grandes insuffisances pour que la participation politique des femmes progresse et pour que l’exigence constitutionnelle de parité se concrétise dans une composition de plus en plus paritaire des institutions. Cette stratégie de « capacity building » et de « sensibilisation » a depuis longtemps montré ses limites. Il est aujourd’hui évident que le « renforcement des capacités » et les « campagnes de sensibilisation », activités de loin préférées et privilégiées par les PTF et bailleurs de fonds intervenant en RDC (et par leurs partenaires OSC congolaises…) n’ont qu’un impact très limité, voire nul, sur l’augmentation de la participation politique des femmes. Pour progresser résolument et effectivement vers la parité, il est plus que temps que toutes les parties prenantes du combat pour la parité et la participation politique de la femme reconnaissent les faiblesses – pour ne pas dire la faillite – de la « stratégie de renforcement des capacités et de sensibilisation » et se tournent vers la « stratégie des mesures temporaires spéciales » (ou de discrimination positive) adoptée dans de nombreux pays, y compris les pays voisins de la RDC, et qui ont permis de faire des progrès significatifs vers la parité.

L’approche « gagnante » : la « stratégie des mesures temporaires spéciales »

La meilleure stratégie « gagnante » mise en oeuvre dans de très nombreux pays, dont des pays africains et ceux limitrophes de la RDC, pour enlever ces barrières et surmonter ces obstacles dans l’accès à la vie politique  pour les femmes, c’est le système des mesures temporaires spéciales comme, par exemple, les quotas électoraux de femmes, les sièges réservés, etc. L’Observatoire de la parité considère donc que LA cause principale de la faible participation politique des femmes en RDC, et plus largement de leur faible présence dans les organes de décision, se trouve dans le refus des dirigeants et hommes politiques congolais de mettre en place les diverses formules de mesures temporaires spéciales et de quotas obligatoires de femmes qui se sont révélés être la stratégie et les moyens les plus efficaces et incontournables pour progresser vers la parité. Partout dans le monde, ce sont ces « mesures temporaires spéciales » (autrefois dites de discrimination positive) inscrites dans la Constitution ou dans la Loi (électorale) qui ont permis de faire passer le nombre de femmes siégeant dans les institutions à plus de 30 ou même de 50%. Or, en RDC, ni la Constitution, ni la loi électorale, ni la loi sur la parité, etc. ne contiennent aucune mesure imposant des quotas électoraux obligatoires de femmes qui sont pourtant la principale clé du progrès vers la parité.

Il a été démontré, grâce aux travaux de l’Union Interparlementaire et notamment par son dernier rapport « Les femmes au parlement en 2023, Regard sur l’année écoulée », que la participation des femmes à la vie politique augmente grâce à l’application de quotas bien conçus : « Certains pays du continent ont atteint un niveau élevé de représentation des femmes en recourant au concept des mesures temporaires spéciales, ce qui en fait des précurseurs et une source d’inspiration pour les autres pays ». Sur 54 pays africains, quarante ont introduit des politiques visant à promouvoir les femmes dans la vie politique au niveau local ou national. Les mesures elles-mêmes varient, allant des lois sur la parité aux quotas réglementés au niveau législatif, en passant par les sièges dits réservés et les quotas volontaires pour les partis politiques.

Chaque mois, l’UIP publie des classements en fonction du pourcentage de femmes dans les parlements nationaux en politique. Les données les plus récentes (au 1er février 2024) montrent que le nombre de femmes occupant des postes de direction politique, tant au gouvernement qu’au parlement, a globalement augmenté, mais certaines régions et certains pays sont à la traîne, loin derrière. La RDC est 155ème sur 186. Elle est derrière presque tous les 9 pays voisins : Rwanda  à la 1ère place (61,3%),  Angola 32ème (33,6%), Burundi 34ème (38,2%), Tanzanie 41ème (37,4%), Ouganda 50ème (33,9%),, Soudan du Sud 56ème (32,4%), Zambie 141ème (15%), République du Congo 145ème (14,6%), , RDC 155ème (12,8%), République Centre-Africaine 158ème (11,4%). D’autres pays africains font des scores meilleurs encore : Sénégal 11ème place (46,1%), Afrique du Sud 13ème (45,8%), Namibie 19ème (44,2%), Mozambique 20ème (43,2%), Ethiopie 25ème (41,3%), Cap Vert 30ème (38,9%). Quasiment tous les pays qui font un bon score ont adopté des mesures temporaires spéciales.

Pour ceux qui ne seraient pas encore persuadés de l’efficacité des mesures temporaires spéciales, le chapitre du rapport LES FEMMES AU PARLEMENT intitulé Afrique subsaharienne : deux pas en avant, un pas en arrière devrait suffire pour les convaincre. Il se penche sur les élections de 2023 qui ont concerné 18 chambres de 13 pays en Afrique subsaharienne. Il examine plus en détail « Des avancées décisives en Sierra Leone et au Bénin » et en explique la cause : l’adoption de mesures temporaires spéciales (quota obligatoire de femmes et sièges réservés). Le Rapport de l’UIP se penche ensuite sur les « Déceptions au Nigéria » et en explique aussi la cause : l’absence de mise en place de quotas électoraux par sexe.

L’on ne peut pas s’empêcher de comparer la situation du Nigeria à celle de la RDC qui figure aussi parmi les pays les plus mal placés dans le classement mondial de la représentation des femmes dans les parlements et a toujours une très faible proportion de femmes parlementaires. Et l’on ne peut s’empêcher de constater que les mêmes causes produisent les mêmes effets : la non mise en place en amont des élections de décembre 2023 de mesures temporaires spéciales, parmi lesquelles l’adoption de quotas électoraux par sexe, a pour conséquence une très faible représentation des femmes dans le parlement, les assemblées provinciales et les conseils communaux et une très faible proportion de femmes députées nationales, députées provinciales et conseillères communales  

Le tableau « Représentation des femmes dans les chambres uniques et basses après les renouvellements de 2023 » (accessible dans la version intégrale de l’Etat des lieux de la parité) vient achever la démonstration. Presque tous les pays qui ont organisé des élections en 2023 et qui sont en tête du palmarès de la représentation des femmes sont des pays qui ont adopté un quota législatif (quota de candidates ou sièges réservés) et/ou des quotas volontaires de partis (le parti politique a adopté des mesures volontaires pour accroître le nombre de candidates). On trouve parmi ces « gagnants » ou « champions » le Zimbabwe (30,8%), la Sierra Leone (28,2%), le Bénin (25,7%), la Mauritanie (23,3%) et Djibouti (23,1%). A l’inverse, les pays africains qui n’ont adopté aucune de ces mesures temporaires spéciales, se retrouvent parmi les « perdants » ou « les derniers de la classe » avec parmi eux le Nigeria (3,9%) et … la RDC (12,8%).

La conclusion est claire : la situation ne peut donc évoluer que si un engagement politique et des cadres juridiques et politiques adéquats sont mis en place pour garantir l’égalité des chances aux femmes et aux hommes. L’Observatoire de la parité et de l’égalité F/H soutient les politiques et les réformes électorales visant à la mise en place de mesures temporaires spéciales telles que les quotas obligatoires de femmes, les sièges réservés ou d’autres formules efficaces garantissant une augmentation effective de la participation politique des femmes.

Conclusions et préconisations

  1. Les élections du 20 décembre 2023 ont été une catastrophe en ce qui concerne la parité dans les institutions politiques élues et la participation politique de la femme.
  1. La « stratégie de renforcement des capacités et de sensibilisation » a montré ses limites et s’est révélée perdante puisqu’aucun progrès réel vers la parité n’a pu être constaté.
  1. Toutes les parties prenantes au combat pour la parité et la participation politique de la femme doivent en tirer les conséquences et réorienter leurs activités, projets, programmes, politiques dans le cadre de la stratégie gagnante des mesures spéciales temporaires qui a fait ses preuves lors des élections dans de nombreux pays y compris africains et voisins de la RDC.
  1. Dans l’élaboration de cette stratégie gagnante, les parties prenantes au combat pour la parité et la participation politique de la femme (OSC féministes congolaises, partenaires techniques et financiers, bailleurs de fonds, etc.) pourront avoir recours au précieux outil publié par l’ONU-Femmes « PROMOUVOIR LA PARTICIPATION DES FEMMES À LA VIE POLITIQUE : DES QUOTAS À LA PARITÉ , un guide des options juridiques pour la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre » (voir en annexe)
  1. Les partenaires techniques et financiers devraient revoir leur « stratégie de renforcement des capacités et de sensibilisation » et réorienter leur appui et leur financement vers des OSC qui développent des activités, projets, programmes susceptibles de conduire aussi en RDC au succès de la stratégie d’adoption des mesures spéciales temporaires.
  1. Les partenaires techniques et financiers devraient appuyer la réalisation et la publication des états des lieux de la parité, un outil indispensable pour faire le suivi/évaluation régulier des progrès de la parité dans les instances de prise de décision des institutions politiques et des autres institutions des secteurs sociaux, économiques, culturels, etc.
  1. Le contexte de la RDC est défavorable puisque depuis deux décennies les autorités en place (législatives, gouvernementales) ont refusé de mettre en place les diverses formules de mesures temporaires spéciales et de quotas obligatoires de femmes.
  1. Pour pouvoir établir une « stratégie de plaidoyer et de communication pour l’adoption de mesures temporaires spéciales en RDC », une étude des contextes, qui ont favorisé l’adoption des mesures temporaires spéciales dans différents pays, devrait être menée afin de déterminer quels sont les leviers, les alliés, les arguments, etc. à mettre en place.
  1. Une réflexion et un débat devrait être organisés pour définir parmi l’éventail de mesures temporaires spéciales celles qui sont le plus appropriées et à défendre dans le contexte de la RDC.
  1. Les futures élections locales, qui doivent encore être organisées dans l’immense majorité des entités territoriales décentralisées (ETD), les communes, les secteurs et les chefferies, devraient être une première occasion de mettre en œuvre la stratégie « gagnante » des mesures temporaires spéciales.

 

LISEZ LA VERSION INTEGRALE DE L’ETAT DES LIEUX DE LA PARITE AVEC SES RESULTATS DETAILLES POUR CHAQUE ELECTION, NATIONALE, PROVINCIALE, COMMUNALE :

ETAT DES LIEUX DE LA PARITE DANS LES INSTITUTIONS POLITIQUES en 2024

 

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