“Nous avons déjà tellement parlé de nos difficultés mais tout le monde ne fait qu’écouter. Tout le monde écoute. Personne ne fait rien […] juste écouter, enregistrer et prendre des photos. Il ne s’est rien passé. Donc je n’ai même plus envie de parler. »
Ce sont les mots d’une ancienne combattante du district de Bardiya, dans l’ouest du Népal. Elle faisait partie des nombreuses femmes à avoir rejoint la révolte maoïste et à combattre dans la guerre civile népalaise qui a duré de 1996 à 2006. Douze ans plus tard, en 2018, elle a partagé ses expériences des processus de réconciliation en cours depuis la fin du conflit. Les chercheur·euses ont découvert que des sentiments similaires d’insatisfaction et d’aliénation étaient particulièrement prononcés chez les femmes.
Cette différence de genre a surpris Prakash Bhattarai, qui a dirigé la partie népalaise du projet, également mené au Sri Lanka, où une guerre civile a pris fin en 2009. L’idée que les femmes soutiennent davantage les processus de paix que les hommes est courante dans le monde de la consolidation de la paix, et pour une bonne raison : les mouvements de femmes jouent souvent un rôle crucial pour amener les parties du conflit à la table des négociations. Mais après avoir parlé avec plus de 2 000 femmes et hommes dans les deux pays de leurs points de vue sur les initiatives de paix post-conflit, les chercheur·euses ont constaté que les femmes étaient plus sceptiques que les hommes face à certaines pratiques courantes de l’après-conflit.
Aujourd’hui, alors que la guerre fait rage à Gaza, au Soudan et en Ukraine, il peut sembler prématuré de parler de paix. Mais comme le montrent les difficultés à conclure un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas ou à mettre fin aux combats en Ukraine, les processus de paix sont toujours compliqués. C’est pourquoi il est important de s’assurer qu’ils aient du sens pour toutes les personnes touchées par la guerre, quel que soit leur genre.
Concernant les conflits dévastateurs de 2024, Karen Brounéus, qui a dirigé l’étude au Sri Lanka et au Népal, affirme que la communauté internationale doit “s’assurer que les femmes soient incluses dans le processus de paix pendant que la guerre est encore en cours. Des travaux antérieurs montrent que lorsque les femmes sont impliquées de manière influente et significative dans les processus de paix, cela diminue le risque de reprise de la guerre et augmente la légitimité et la qualité de l’accord de paix.”
Voici la preuve
Au Népal et au Sri Lanka, le scepticisme accru parmi les femmes n’a été observé que pour les programmes locaux de vérité et de réintégration : aucune différence d’opinion n’a été constatée pour les initiatives nationales. Mais tous ces éléments de la “boîte à outils” post-conflit sont souvent requis et appliqués par des organismes internationaux dans les zones post-conflit comme condition préalable à la réception de fonds vitaux.
Karen Brounéus a commencé à travailler sur le genre et la paix il y a 20 ans au Rwanda, où elle a démontré les dangers potentiels des exercices de vérité. Au Rwanda, les processus de consolidation de la paix exigeaient que les communautés se réunissent pour témoigner des atrocités qui avaient eu lieu pendant la guerre. Mais la chercheuse a constaté que les participant·es étaient fréquemment retraumatisé·es par le fait de devoir parler de ce qui était arrivé à leurs communautés. Beaucoup étaient stigmatisé·es, harcelé·es, menacé·es ou même tué·es à la suite de leurs témoignages, en particulier les femmes.
La dernière étude au Népal et au Sri Lanka démontre un schéma courant. Des problèmes similaires ont été observés dans d’autres zones post-conflit, y compris aux Îles Salomon. Karen Brounéus, Prakash Bhattarai et leurs collègues concluent que la pratique internationale de consolidation de la paix ne prend pas en compte les insécurités quotidiennes auxquelles les femmes font face après la guerre – et qu’elle doit changer.
Karen Brounéus m’a expliqué : “Nous savons que les violences contre les femmes augmentent pendant et après la guerre. Mais un accord de paix ne signifie pas la paix à la maison ou la sécurité à la maison. En fait, la violence continue. Et en plus de cela, il y a des initiatives prises dans leurs communautés qui augmentent le niveau de risque local, comme le fait de vivre à côté de quelqu’un qui a commis des violences.”
Saisir chaque opportunité de changement
Les effets de cet échec sont particulièrement frappants dans le contexte népalais. Environ un tiers de l’Armée populaire de libération maoïste était composé de femmes. Beaucoup étaient attirées par les rebelles maoïstes parce qu’elles voyaient une opportunité de démanteler les hiérarchies sociales oppressives de genre, de caste, d’ethnicité et de religion qui régissaient la vie au Népal. L’égalité de genre était centrale au mouvement maoïste, et l’accord de paix de 2006 a donné aux maoïstes accès au partage du pouvoir politique. Il y avait donc toutes les chances de se concentrer sur l’autonomisation des femmes une fois la paix atteinte.
Pourtant, bien qu’il y ait eu des victoires féministes significatives sur le plan politique (avec 33 % des sièges aux niveaux fédéral et local réservés aux femmes depuis 2015, un résultat direct des revendications maoïstes), le changement réel n’a pas eu lieu. Les femmes étaient une part centrale du mouvement non-violent qui a amené à la fin de la guerre, mais elles n’ont pas fait partie du processus de négociation de paix. Les programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration ont soit exclu les femmes, soit se sont concentrés sur des tâches stéréotypées comme la couture et la coiffure. L’inclusion sociale (l’accès à l’éducation et aux finances, par exemple) ne s’est pas améliorée. Beaucoup d’anciennes combattantes se sont retirées de la politique.
Peut-être pire encore, la justice pour les victimes de la guerre n’a pas été priorisée. Le conflit a eu un impact particulièrement dévastateur sur les femmes népalaises. Des milliers ont été tuées, enlevées, disparues et rendues sans abri. Le viol, les abus sexuels et la torture des femmes étaient courants, commis à la fois par les forces gouvernementales et les rebelles maoïstes. Plus de 9 000 femmes sont devenues veuves. Aujourd’hui, les veuves de guerre et les anciennes combattantes sont souvent stigmatisées par leurs communautés.
Le processus de Vérité et Réconciliation du Népal, qui a débuté en 2015, a reçu plus de 63 000 plaintes pour violations des droits humains. Mais 17 ans après l’accord de paix, seulement 4 000 ont été examinées. Prakash Bhattarai m’a dit : “Les femmes à qui je parle attendent toujours la justice. Elles veulent savoir ce qui est arrivé à leurs proches disparu·es. Elles veulent savoir qui a commis des crimes. La peur psychologique persiste. Elles vivent avec des traumatismes sévères.”
“Trop peu d’écoute”
Alors : quelle part de tout cela est dûe aux échecs de la consolidation de la paix internationale ? Et comment pouvons-nous faire mieux ?
“Pendant l’un de mes premiers voyages au Sri Lanka”, m’a dit Karen Brounéus, “quelqu’un m’a dit : ‘Vous devez dire à Genève d’arrêter de nous faire pression pour mettre en place ces processus de vérité’.” Beaucoup, comme les femmes au Népal, estimaient qu’elles avaient raconté leurs histoires tellement de fois, mais qu’on ne les écoutait pas. Elles ressentaient que rien n’était ressorti des commissions. Elle a observé la même chose aux Îles Salomon, où les ex-combattant·es n’avaient pas dit toute la vérité et les attitudes à leur égard s’étaient en fait aggravées avec le temps.
D’après Karen Brounéus, cela ne signifie pas que les initiatives de vérité doivent être complètement abandonnées – au contraire, elles sont cruciales pour la paix et la confiance – mais plutôt que nous devrions changer d’approche. “Actuellement, la communauté internationale adopte souvent une approche trop uniforme ou coche des cases, et cette approche ne prend souvent pas en compte les besoins et insécurités particuliers des femmes”, explique-t-elle.
Elle cite la Colombie comme le meilleur exemple à ce jour d’un processus de paix inclusif et sensible au genre. Quand les négociations ont commencé, il n’y avait qu’une seule femme à la table. Mais après une forte résistance du mouvement féministe colombien, la table de négociation est devenue plus représentative et l’accord incluait de nombreuses dispositions sur le genre, y compris la première inclusion des droits LGBTQ dans un processus de paix formel. Pourtant, cela n’a pas suffi : l’accord a ensuite été rejeté par le public lors d’un vote, et les promesses inscrites dans l’accord ne se sont pas concrétisées.
Cela rejoint les préoccupations de Prakash Bhattarai. “Signer un accord de paix ou rédiger une nouvelle constitution n’est pas la fin d’un processus de paix – c’est le début.” Il estime que juste après la guerre civile népalaise, entre 150 et 200 organisations internationales soutenaient le processus de paix au Népal. Maintenant, 17 ans plus tard, il peut compter celles qui restent sur les doigts d’une main.
“La consolidation de la paix nécessite une intervention à long terme”, affirme-t-il. « Il s’agit de restructurer la société. Un engagement soutenu de 15-20 ans est nécessaire.”
Mais alors que la guerre fait rage dans le monde entier, Karen Brounéus émet une note d’espoir. “Il est crucial de se rappeler que la plupart des gens ne font pas la guerre”, dit-elle. “Les recherches (et un coup d’œil empirique rapide) montrent que la majorité des personnes partout dans le monde veulent vivre en paix. C’est important car nous oublions vite que les quelques personnes qui détiennent le pouvoir et décident d’envoyer les autres faire la guerre ne représentant pas toutes celles et ceux qui vivent au même endroit.”
“C’est ici que réside une graine essentielle pour la paix : commencer à entendre, à soutenir, à autonomiser celles et ceux qui continuent leur vie et travaillent pour la paix de manière en apparence modeste, au milieu d’un conflit. Nous voulons vivre avec gentillesse, compassion, soin, en paix. Parfois, nous devons nous rappeler cela, et que la paix est en fait possible.”
par Josephine Lethbridge
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