Ouganda : un texte, « probablement le pire au monde »

C’est l’Ouganda qui a ouvert le bal. Le président Yoweri Muzevini a promulgué l’an dernier une loi qui prévoit trois à cinq ans de prison, pour toute personne qui se livre à des relations homosexuelles, qui se réclame du mouvement LGBT ou qui ne dénonce pas un proche homosexuel. Les récidivistes risquent la peine capitale.

Chacun en Ouganda devient ainsi un policier ou une policière, dénoncent les opposants de cette loi. Un « texte discriminatoire, probablement le pire au monde en son genre« , s’inquiète l’ONU.

Le député à l’origine du texte, Asuman Basalirwa, dit vouloir défendre les « valeurs familiales traditionnelles« .

Dans la foulée, des actes homophobes se sont multipliés dans le pays. Des personnes qualifiées de LGBT sur les réseaux sociaux ont dû brutalement quitter leur logement. Des élèves ont été renvoyés de l’école. A l’hôpital, les médecins doivent divulguer l’orientation sexuelle, réelle ou supposée, des patients. De quoi dissuader les personnes LGBT d’aller se faire soigner.

 

Des militants appelant à sanctionner l'Ouganda pour ses lois anti-LGBT+ lors du défilé de la Pride de Londres, le 1er juillet 2023, au Royaume-Uni.
Des militants appelant à sanctionner l’Ouganda pour ses lois anti-LGBT+ lors du défilé de la Pride de Londres, le 1er juillet 2023, au Royaume-Uni. © Mark Kerrison / Getty Images

 

Lapider les homosexuels au Burundi

 

En décembre dernier, le président burundais Evariste Ndayishimiye, a appelé à lapider les couples homosexuels, dans un discours imprégné du rejet occidental et de références religieuses.

Ses propos ont eu pour conséquence de stigmatiser encore plus les personnes LGBTI au Burundi. L’an dernier 24 personnes ont été emprisonnées. Elles ont été accusées d’ »homosexualité » ou d' »incitation à la débauche ». Sept d’entre elles ont été condamnées, à une peine allant d’un à deux ans de prison. L’un des accusés est mort en détention.

 

Influences de groupes étrangers

« Plusieurs facteurs expliquent cette tendance répressive« , analyse Christian Rumu, défenseur des droits humains au Bureau régional d’Amnesty international à Nairobi (Kenya). « D’un côté, il y a des acteurs politiques en quête de sujets qui peuvent facilement mobiliser les masses, d’un autre côté, il y a l’influence de groupes religieux étrangers ultra-conservateurs qui enregistrent des défaites en occident. Pour eux l’Afrique représente un terrain facile à pénétrer, pour y importer des idéologies qui sont en recul dans des pays occidentaux. »

De fait, des groupes religieux comme The world congress of families (WCF), le Congrès mondial des familles, un groupe d’évangélistes américains, ultra-conservateur, tente d’exercer une influence sur les lois en Afrique. « Ces groupes forment des parlementaires sur des textes de lois. Et ensuite ces parlementaires proposent des législations dans leur pays« , explique Christian Rumu.

Le défenseur des droits souligne le paradoxe : « Ce sont des législations venues d’occident, que les parlementaires africains présentent comme des textes s’opposant aux valeurs occidentales. C’est complètement fou ! »

Il n’y a rien d’occidental dans l’homosexualité !

Un rejet des valeurs occidentales pour mieux se positionner politiquement dans son pays ? Les parlementaires, auteurs de lois homophobes dans certains pays d’Afrique, opposent les valeurs occidentales aux valeurs africaines pour criminaliser des personnes LGBT. C’est ainsi qu’ils tentent de recueillir des suffrages.

« En réalité c’est un faux débat !« , souligne Christian Rumu. « Le rejet des valeurs qu’ils disent ‘occidentales’ pour criminaliser les LGBT, ne signifie rien, puisqu’il n’y a rien d’occidental dans l’homosexualité. Il est scientifiquement prouvé que les pratiques homosexuelles ont existé dans les cultures et les sociétés africaines, bien avant la colonisation. »

Des colloques faisant la promotion de la ‘famille traditionnelle’ sont ainsi organisés dans différents pays du continent. Le prochain se tiendra dans environ trois mois, à Abidjan, en Côte d’Ivoire sur le « renforcement des familles« .

Les familles dans ce cadre, sont composées du papa, de la maman et des enfants. Un modèle familial qui est valorisé dans les cultures chrétiennes et européennes.

Or en Afrique, dans de nombreuses communautés, les familles sont polygames. Qu’en est-il de ces familles ? « C’est un faux sujet qui oppose des valeurs non africaines à l’homosexualité« , insiste le défenseur des droits humains.

 

Loi homophobe au Ghana

 

En 2019, le World congress of Families, a organisé une conférence à Accra, la capitale du Ghana. A cette occasion, les participants ont plaidé en faveur d’une nouvelle législation pour réprimer les activités LGBT dans le pays.

Cela a fait son chemin, puisque fin février, les législateurs ghanéens ont approuvé un projet de loi qui vise à restreindre considérablement les droits des personnes LGBT.

« Le sexe est une affaire privée », s’insurge Takyiwaa Manuh, membre du Centre pour le développement démocratique du Ghana. « Ce nouveau projet de loi spécifie même comment vous devez faire pour avoir des rapports sexuels, quels instruments vous pouvez utiliser et ne pas utiliser…Vous ne pouvez pas avoir un godemiché. Vous ne pouvez pas utiliser des sex-toys. Vraiment ! cela semble si peu sérieux, c’est une terrible invasion des droits de la vie privée des gens ! »

Les personnes qui dérogent à ces règles, risquent jusqu’à trois ans de prison. Dix ans, pour « la promotion » de l’homosexualité.

Le président ghanéen Nana Akufo-Addo doit encore promulguer le texte. Il a annoncé qu’il attendrait que la Cour suprême, saisie par un citoyen, se prononce pour prendre une décision.

Sam Georges a bénéficié d’une formation aux Etats-Unis

Sam Georges, député, principal auteur de cette loi, prie pour qu’il le fasse : « C’est notre espoir, notre prière que le président Akufo-Addo sera un homme de parole et s’en tiendra aux paroles qu’il a prononcées devant l’Église anglicane de la région de l’Est lorsqu’il a assuré aux membres du clergé qu’il veillerait à ce que tout ce qui promeut la communauté LGBTQ sera condamné. »

Pour les défenseurs des droits humains, cette loi homophobe votée par les législateurs ghanéens, provient de l’influence du World congress of families. « Sam Georges a bénéficié d’une formation aux Etats-Unis. De retour au Ghana, la loi anti-LGBT a vu jour« , insiste Christian Rumu. L’intéressé affirme que ce n’est pas le cas.

 

La chanson considérée l' »hymne » LGBT en Afrique :

Ingérence russe pour influencer le sort des LGBT

     Evangélistes américains et russes collaborent sur le continent africain pour s’attaquer au sort des LGBT. « La dernière conférence régionale organisée au Ghana par The World congress of families a pu se faire grâce à l’aide financière de milliardaires russes« , précise Christian Rumu. Ce type d’événement répond à la politique géostratégique de la Russie sur le continent africain, d’essayer d’opposer le reste du monde à l’occident.

« Au Mali par exemple, depuis l’avènement du gouvernement militaire, avec ensuite l’arrivée du groupe Wagner », note Christian Rumu, « le débat sur l’homosexualité a été enclenché dans le pays. » De fait, le Mali a intérêt à utiliser ce sujet pour alimenter un narratif contre l’occident, contre la France. Au Burundi aussi, le durcissement du discours anti LGBT provient des influences russes, selon les défenseurs des droits humains. « Après le discours du président, ils nous ont montré qu’ils n’avaient rien à perdre« , raconte Christian Rumu. « Le Burundi compte sur le soutien de la Russie et de la Chine, pas celui des pays occidentaux« .

‘Le groupe des amis des familles’ à l’ONU

 

     La Russie n’est pas seule dans cette offensive contre les personnes LGBT. Elle fait partie du groupe onusien ‘The groupe of the friends of the families’ (Le groupe des amis des familles) qui compte d’autres pays comme le Pakistan, le Qatar, l’Iran, l’Iraq, l’Arabie Saoudite, le Soudan et l’Ouganda… Régulièrement, ces pays qui se disent amis de la famille, se réunissent autour des questions de genre et d’orientations sexuelles, avec l’objectif d’amender ou d’orienter le droit international en la matière. « Ils essayent d’exercer une influence sur la criminalisation des personnes LGBT« , observe Christian Rumu.

Enclencher un dialogue décomplexé sur l’homosexualité avec l’église

A côté de ces groupes d’influence, comment se positionnent les églises, en sachant que leurs voix comptent en Afrique ? Le 18 décembre, le Vatican annonçait qu’il autorisait désormais la bénédiction des couples de même sexe.

Lire : Le Vatican autorise la bénédiction hors liturgie des couples de même sexe

Cette décision a provoqué une levée de bouclier sur le continent africain. En particulier dans les églises, le cardinal Fridolin Ambongo, l’archevêque de Kinshasa et président du Symposium des conférences épiscopales d’Afrique et de Madagascar a pris la tête de la fronde en publiant une note assez critique. Mais cette note n’a pas fait l’unanimité au sein des hommes de Dieu sur le continent. « Je pense qu’il y a moyen de partir du texte du Vatican et d’enclencher un dialogue décomplexé sur l’homosexualité avec l’église en Afrique« , estime Christian Rumu. « Parce que les églises sont contre les violences qui visent les personnes LGBT« .

Lire : Le pape François juge «injustes» les lois qui pénalisent l’homosexualité

 

Les pays qui résistent

 

Sur 54 pays en Afrique, 31 criminalisent les relations sexuelles consenties entre personnes de même sexe. A l’inverse, quels sont les pays d’Afrique qui progressent, tant dans la législation que dans les mentalités pour protéger les LGBT ?

Mais même dans ce pays arc-en-ciel le risque persiste : « Ce n’est toujours pas sûr et l’accès à la sécurité est définitivement biaisé en faveur de la classe supérieure blanche privilégiée », explique Kathy Rudolph, participante de la marche annuelle des fiertés LGBT au Cap, en Afrique du Sud. « Dans le reste de l’Afrique, ce n’est pas sûr non plus, et je pense que c’est un produit du système pénal colonial. »

En Angola, l’homosexualité n’est plus interdite, et la discrimination envers les homosexuels est condamnée. Le Botswana a décriminalisé en 2019 les pratiques sexuelles entre personnes de même sexe. Bien qu’il y ait encore des résistances.

La Namibie a reconnu les mariages homosexuels qui ont été scellés à l’étranger. Au Rwanda, même s’il n’y a pas législation sur le sujet, le président Paul Kagame s’est prononcé contre les discriminations visant les personnes LGBT.

Désoccidentaliser notre combat contre l’homophobie en Afrique

Faut-il d’abord changer la loi pour changer les mentalités ?

Pour les défenseurs des droits humains, la législation qui décriminalise l’homosexualité est d’une grande importance. Mais changer les mentalités prend du temps. Une théorie circule dans les milieux LGBT africains : « Il faudrait désoccidentaliser, décoloniser notre combat contre l’homophobie en Afrique« , explique Christian Rumu.

La mode, les films, les créations artistiques sont autant de vecteurs possibles pour parvenir à une désoccidentalisation salvatrice.

 

Par Ghizlane Kounda  

SOURCE :  La Première

https://www.rtbf.be/article/vague-de-repressions-contre-les-lgbt-en-afrique-linfluence-de-la-russie-et-de-groupes-etrangers-ultra-conservateurs-11345833

Partagez cet article avec vos contacts, ami.e.s, collègues, etc. via vos réseaux sociaux et WhatsApp :