Debout Congolaises, le magazine féministe en ligne édité par l’Observatoire de la parité et de l’égalité H/F reproduit ci-dessous un article très intéressant publié sur le site www.afridesk.org et qui analyse trois procès retentissants tenus en flagrance il y a peu.  Il s’agit des procès Mwangachucu, celui du massacre de Goma et le tout récent du professeur/magistrat de Kisangani, condamné en flagrance pour avoir infligé à son ex-épouse un traitement jugé humiliant et dégradant. Ces trois affaires mettent en évidence, une fois de plus, l’instrumentalisation du Pouvoir judiciaire et son manque d’indépendance, qu’il s’agisse des tribunaux ordinaires et plus encore des tribunaux militaires. 

Depuis quelques temps, l’opinion publique congolaise commence à s’habituer à suivre des procès retentissants organisés en procédure de flagrance, une notion enseignée dans les facultés de droit, dans le cours de procédure pénale. Si elle n’est pas bien expliquée, cette notion pourrait semer la confusion aussi bien chez les profanes que chez les professionnels de la justice. Pour qu’un procès soit organisé en flagrance, il faut que l’infraction mise à charge du prévenu soit elle-même flagrante. L’infraction flagrante est simplement celle qui vient de se commettre, notamment lorsque le criminel est poursuivi par la clameur publique ou lorsque, dans un temps voisin du crime, le suspect est trouvé avec l’objet ayant servi à la commission de l’infraction. Bien que théoriquement facile à comprendre, la notion de flagrance pourrait créer la confusion en pratique, même de la part de la part des professionnels de la justice (magistrats et avocats), et occasionner des dégâts judiciaires susceptibles de miner la confiance que doivent avoir les citoyens envers la justice. En l’espace de quelques mois, trois procès retentissants tenus en flagrance montrent que le recours systématique à cette procédure comporte des risques et des limites que nous tenons à démontrer dans l’intérêt de la justice congolaise. Il s’agit des procès Mwangachucu, celui du massacre de Goma et le tout récent du professeur/magistrat de Kisangani, condamné en flagrance pour avoir infligé à son ex-épouse un traitement jugé humiliant et dégradant.

1. Procès en flagrance du député Mwangachucu  

L’interpellation de ce député intervient le 1er mars 2023 dans un contexte de vives tensions sécuritaires entre le M23, considéré par tous les Congolais comme n’étant qu’une branche armée du Rwanda, véritable agresseur. Pour les Congolais, cette guerre permet au Rwanda et à ses véritables commanditaires internationaux de piller les ressources naturelles dont regorge le sous-sol des provinces de l’Est. C’est par conséquent un soulagement pour tout le monde d’apprendre que l’exploitant principal des minerais stratégiques, dont le coltan, n’est autre qu’un député plusieurs fois élu de Masisi. C’est surtout un espoir que désormais le ravitaillement du Rwanda sera coupé et que ce traître doit être jugé et châtié à la hauteur des dommages causés à la nation depuis plusieurs années. Plus tard que le 3 mars 2023, le procès du prévenu Mwangachuchu est ouvert, avec à sa charge de nombreuses infractions:  haute trahison, atteinte à la sûreté de l’État, participation à un mouvement insurrectionnel, association des malfaiteurs, détention illégale d’armes, incitation des militaires à commettre des actes contraires à la discipline et au devoir…

Comme il importe de le relever, presque tous ces faits sont par leur nature des infractions dont le passage à l’acte exige de leurs auteurs un temps suffisamment long pour leur préparation. Comment donc toutes ces infractions pouvaient-elles logiquement être flagrantes pour déclencher une procédure de flagrance? L’entêtement du Ministère public, malgré les protestations des avocats de la défense a montré les risques et les limites du recours systématique à cette procédure. En effet, tous ceux qui avaient essayé de suivre avec beaucoup d’intérêt ce procès s’en étaient par la suite dégoutés à cause des hésitations et du tâtonnement de la cour et surtout du Ministère public à soutenir son accusation pour certaines  infractions.

C’est ainsi que, pour un procès en flagrance, censé être expéditif et dont le verdict était urgemment attendu par toute la nation, il a fallu un peu plus de sept mois pour en connaître la sentence, prononcée ce vendredi 6 octobre 2023. De toutes les infractions mises à sa charge du prévenu Mwangachuchu au départ, et pour lesquelles des enquêtes minutieuses auraient dû être menés professionnellement et sans précipitation, il n’a finalement été retenues que celles de détention illégale d’armes et de munitions, de participation à un mouvement insurrectionnel et de haute trahison.

2. Procès en flagrance dans l’affaire dite des massacres de Goma

C’est encore frais dans les mémoires de tous les Congolais, ce que d’aucuns ont appelé carnage de Goma. Le 30 août 2023, plusieurs dizaines d’adeptes d’une église de réveil, se faisant appeler Wazalendo, ont été fauchés à l’aube par des militaires identifiés comme appartenant à la garde républicaine alors qu’ils s’apprêtaient à faire une marche pour exiger le départ de la MONUSCO. Ces militaires étaient commandés par un colonel de cette unité d’élite. Il s’agit du colonel Mike Mikombe, Commandant de la Task Force de la Garde républicain (GR), qui appuyait les éléments du 19ème Régiment d’Infanterie Spéciale, nouvellement formée par les Israéliens à Kimbembe (Haut-Katanga). Le nombre des victimes, le tollé général et les images qui ont aussitôt circulé jusque dans les recoins de la planète ont forcé, le 5 septembre 2023, les autorités de la justice militaire de Goma à ouvrir le procès en flagrance contre des militaires présumés auteurs de ces massacres. Parmi eux, deux officiers supérieurs. Mais dès le début de ce procès, les débats houleux avaient tourné sur le nombre et l’identification des victimes, sur l’heure de la commission de l’acte incriminé, sur le commandant (hiérarchique) ayant dirigé l’opération et surtout sur celui ayant donné les ordres. Tout au long de ce procès et jusqu’au prononcé du verdict, certaines de ces questions sont demeurées sans réponse de la cour militaire.

Des observateurs attentifs et rigoureux, qui sont restés sur leur soif, attribuent ces lacunes à la flagrance non justifiée, décrétée pour des raisons politiques afin de faire baisser rapidement la tension.  En effet, il y a lieu de relever qu’à l’ouverture de ce procès, deux Vice-premiers ministres du gouvernement national, Peter Kazadi de l’intérieur et son collègue Jean-Pierre Bemba de la défense, se trouvaient à Goma et y ont assisté, confortablement assis aux premières loges. Sans se poser des questions sur la présence de ces membres du gouvernement dans une activité d’une autre institution de la République, certains y ont peut-être vu la volonté de l’exécutif d’apporter son soutien aux victimes et ses encouragements aux juges, mais en réalité il s’agit d’une inadmissible immixtion dans l’administration de la justice. Quel est leur entendement du principe de la séparation des pouvoirs ? En effet, pareille présence est plutôt de nature à faire pression sur le juge et de l’empêcher d’être à l’écoute de son intime conviction pour faire plaisir à l’autorité gouvernementale.  Pourrait-on imaginer un seul instant une autorité judiciaire ou parlementaire s’improviser dans un conseil des ministres ? Il est étonnant que les syndicats des magistrats aient observé un silence incompréhensible sur ce cas à dénoncer à très haute voix.

3. Le procès en flagrance du professeur Pandatimu Big Waganga 

Tshopo / ESU : Le Professeur Pandatimu suspendu préventivement par le Comité de Gestion de l'Université de Kisangani. (Décision Rectorale) - rfmtvProf Pandatimu Big Waganga

Ce vendredi 6 octobre 2023, la Cour d’appel de Kisangani a prononcé à 6 heures du matin son arrêt de condamnation à 12 ans de servitude pénale principale et au paiement de 10.000 $ de dommages intérêts contre le professeur Pandatimu Big Waganga poursuivi pour maltraitance et traitement humiliant et dégradant à l’égard de son ex- épouse. Tout est parti d’une vidéo ayant fait le tour du monde montrant la dame Kelekele Fryde traînée d’abord par terre puis brutalement menottée et embarquée de force par deux policiers sur une moto. L’image a été tellement choquante que certaines autorités gouvernementales et membres des associations de la sociétés civiles, indignés, ont réclamé des poursuites judiciaires et des sanctions exemplaires contre ce professeur de la faculté de droit de l’Université de Kisangani, doublé de sa qualité de Président du Tribunal de commerce de la même ville. Les choses sont allées tellement vite qu’après un procès marathon ayant duré toute la nuit, le verdict a été prononcé à 6 heures de Kisangani. C’est donc avec satisfaction que plusieurs internautes ont appris la nouvelle ce samedi 7 0ctobre 2023.

Pour en savoir un peu plus, et par réflexe de juge, nous avons préféré joindre nos contacts à Kisangani, parmi lesquels certains professeurs et magistrats de la place. Ce que nous avons appris pourrait faire changer d’avis et d’émotions ceux qui se sont uniquement apitoyés sur la femme. Pour la petite histoire, les deux époux en étaient arrivés à la destruction irrémédiable de leur union conjugale et le divorce a été prononcé accordant la garde des trois premiers enfants à leur père et les deux plus petits à leur mère. S’agissant de la liquidation du régime matrimonial, 80% des biens ont été accordés à l’épouse, sans protestation de l’époux, qui a voulu privilégier l’intérêt des enfants et pour avoir la paix du cœur. Non contente de la décision sur la garde des enfants, la dame a multiplié des provocations caractérisées notamment par des invectives et des tentatives de récupérer les autres enfants dont la Garde a été attribuée à l’homme. Selon tous les témoignages concordants et crédibles recueillis auprès de nos sources, les images à la base du procès datent, curieusement, de deux mois. Elles ont été prises par le mari lui-même le jour où la dame avait tenté d’incendier la clôture en haie de la résidence officielle de son ex pour y prendre de force les enfants qui sont sous la garde de ce dernier. Elle venait d’avoir lesdites images grâce à l’imprudence de son beau-frère (aîné de son mari) qui les lui a envoyées à titre de preuve de son acte lorsqu’il essayait une médiation amiable concernant la garde des enfants. C’est en partageant ces images avec des membres de sa communauté ecclésiale de base que certains parmi ceux-ci les ont balancées sur les réseaux sociaux, comme nous avons pu tous les voir.

Mais au-delà de ces faits tels que décrits ci-dessus, plusieurs irrégularités non révélées au public ont assombri ce procès et contribué à ternir de façon très inquiétante l’image de notre justice :

– Il y a d’abord cette décision de décréter la procédure de flagrance pour des faits commis il y a de cela plus de deux mois. C’est tout un scandale sur le plan de la compréhension des notions du droit dans la mesure où les membres de la cour qui ont siégé ont apprécié la flagrance non pas par rapport à la date de la commission des faits, mais plutôt par rapport au tollé suscité par la circulation des images sur les réseaux sociaux;

– Parmi les membres de la cour qui ont siégé, celui qui a présidé l’audience, Omari Mutondo Marc, est candidat député du MLC pour les élections législatives de décembre 2023. Ayant déjà déposé sa candidature, il aurait dû démissionner pour éviter un conflit d’intérêts car en incompatibilité avec son statut de magistrat. Quelle mesure la CENI prendra contre lui et quelle sanction disciplinaire pourra lui infliger le Conseil supérieur de la magistrature ? Rien n’est sûr.

– La présence impromptue à ce procès de Mme Eve Bazaiba, Secrétaire générale du parti MLC et Ministre d’État, ministre de l’Environnement du gouvernement sortant. Curieuse coïncidence ! Elle a même déclaré prendre part à ce procès, pour soutenir la partie civile. En quelle qualité alors que plusieurs sources indiquent que l’ex-épouse Kelekele Itamili Frida est une militante du MLC à Kisangani.

Comme pour le procès des massacres de Goma, il n’est pas politiquement correct qu’un membre du gouvernement assiste à un procès, c’est une façon de faire pression sur les juges ou d’influencer subtilement l’issue du procès. Ceci explique-t-il cela ? A chacun son opinion. Mme Bazaiba va certainement rentrer à Kinshasa avec le sentiment d’avoir bien accompli sa mission et de tirer pour elle-même et pour son parti des dividendes politiques en cette période pré-électorale. A Kinshasa, cette tendance est également observée chez les autorités judiciaires, notamment le Président de la Cour constitutionnelle et le Procureur général près la Cour de cassation, qui prennent plaisir d’aller assister à des procès tenus par leurs subalternes. C’est nouveau et ce n’est pas correct.

– Quelques heures seulement après le prononcé du verdict, la partie civile, Mme Kelekele Itamili Fryde, a été nommée assistante de la Gouverneure de la Tshopo, chargée du genre, famille, enfants et lutte contre les violences faites aux personnes vulnérables. L’arrêté, signé en urgence et vu la nécessité, a été lu publiquement sur les ondes de la radio à Kisangani.

Conclusion 

Croire, comme certains ont tendance à le penser, qu’il suffit d’améliorer les conditions salariales des magistrats ou encore de procéder à de nouvelles nominations pour reformer la justice congolaise c’est se tromper d’analyse. Le mal est tellement profond qu’il touche le profil de compétences, l’éthique et la place que les politiciens accordent à l’institution Pouvoir judiciaire. Les trois cas triés à la volée et commentés dans cette analyse illustrent combien est raide et dangereuse la pente sur laquelle se situe la justice congolaise dans sa descente vers l’abîme. Comment peut-on compter sur une justice pareille pour statuer sur des grands litiges qui opposent l’État congolais contre des puissances ou des entreprises multinationales lorsqu’elle n’est même pas capable de comprendre de simples notions comme celle de la flagrance ? Cette justice, comme on le voit, est aussi victime des nominations cavalières qui ne tiennent pas compte des critères objectifs imposés par la Loi organique portant statut des magistrats et aussi de l’instrumentalisation du Pouvoir judiciaire pour des intérêts de survie politique. Il n’est donc pas possible de prétendre réformer cette justice en laissant de côté la vision globale de la marche de la nation. C’est un tout.

Auteur : JEAN-BOSCO KONGOLO


Jean-Bosco Mulangaluend, Juriste & Criminologue / Administrateur adjoint de DESC
Jean-Bosco Kongolo Mulangaluend est licencié (master) en droit de l’Université de Kinshasa. Il est détenteur d’un diplôme de criminologie à l’université de Montréal et d’un diplôme des Relations industrielles et gestion des ressources humaines à l’université du Québec en Outaouais, au Canada. Jean-Bosco Kongolo a connu une riche carrière professionnelle dans la magistrature congolaise. Il a été successivement substitut du Procureur de la République, Juge de grande instance, Président du tribunal de paix et Conseiller de Cour d’appel. Il a fini par démissionner volontairement de la magistrature pour éviter de se mêler aux antivaleurs et à la corruption qui gangrènent la justice congolaise. Au Canada, il a mis son expertise au service du ministère de la Sécurité publique au sein des services correctionnels du Québec.

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