« Chers compatriotes,
Il y a une dizaine de jours, nous avions lancé un premier appel à la vigilance citoyenne et à la mobilisation collective pour empêcher au maximum une propagation massive du Coronavirus et une multiplication des cas, qui n’avait alors été répertorié que dans la ville de Kinshasa. Nous avions fait un appel pour des mesures de prévention, prévention, prévention.
Depuis, cette maladie se répand à travers le pays et les premiers cas ont été confirmés à l’Est de la République Démocratique du Congo, dont quatre ici à Bukavu, mais aussi au Nord Kivu et en Ituri.
Face à cette menace invisible, chacun de nous est concerné et chacun de nous peut faire la différence dans ce contexte de crise, car se protéger soi-même, c’est protéger les autres, et c’est ensemble que nous sommes appelés à organiser la riposte.
Le 30 mars dernier, le Gouverneur de Province m’a demandé de présider la Commission santé du Comité multisectoriel de lutte contre le coronavirus au Sud-Kivu, aux côtés du Ministre provincial de la santé, Mr. Cosmos Kusimwa Bishisha. C’est à ce titre que je souhaite partager avec vous notre stratégie.
L’expérience de terrain nous montre que le confinement strict de notre population évoluant dans le secteur informel n’est pas facile : la grande majorité de nos populations n’ont pas des logements spacieux, salubres et surtout elles doivent sortir tous les jours pour trouver à manger.
Dans ce contexte, nous ne pouvons miser que sur le confinement partiel des personnes à haut risque de complications.
Notre chance réside dans la jeunesse de notre population, les moins de 60 ans représentent 96% de la population. C’est une tranche d’âge dont généralement le système immunitaire est plus efficace. En cas de maladie les jeunes résisteront donc plus que les personnes ayant plus de 60 ans ; surtout si à l’effet d’âge s’associent des maladies comme le diabète, l’hypertension, l’obésité, l’asthme, etc. C’est ce que les spécialistes appellent la comorbidité.
Dans ce cas de figure, nous recommandons donc en priorité un confinement partiel des personnes âgées de plus de 60 ans, souvent plus à risques. Ceci permettra de protéger les plus fragiles, qui sont les plus exposés aux complications mortelles.
De manière concrète, le confinement pourrait avoir 3 formes pour nos aînés :
En premier lieu, les personnes âgées étant des trésors pour notre société et nos familles, il est important de les sécuriser et de les préserver. Pour ce faire, nous suggérons aux familles qui le souhaitent d’envisager le regroupement de nos parents âgés de plus de 60 ans dans une résidence partagée, conviviale et pour un nombre limité de personnes. Les plus jeunes membres de la famille occuperont temporairement d’autres maisons et travailleront pour prendre en charge l’alimentation de leurs ainés qui seront ainsi soustraits aux contacts potentiellement dangereux avec l’extérieur.
La personne qui leur apportera la nourriture n’entrera pas en contact direct avec eux. Des désinfectants ou l’eau chlorée pour lavage des mains seront mis à la disposition. Les contacts avec la famille se feront de préférence par téléphone.
La deuxième possibilité, c’est le confinement individuel ou sélectif.
La famille pourrait envisager de soustraire quelqu’un aux risques de contagion en le confinant, à cause de son âge et de sa comorbidité. On pourrait utiliser le même principe décrit plus haut. Celui qui apportera la nourriture devra se désinfecter, porter un masque et éviter au maximum le contact.
Troisième type de confinement, les personnes qui ont des habitations secondaires dans des villages pourraient anticipativement s’y retirer et s’y isoler avant que la pandémie ne se propage dans la ville.
Outre ce confinement partiel visant les personnes âgées et des personnes ayant une comorbidité, nous recommandons le port obligatoire du masque pour tout le monde.
Les dernières études ont montré que dans les pays ou les endroits où les masques ont été utilisés systématiquement, le taux de contagiosité et de mortalité au coronavirus ont été faibles.
Pour rompre la chaine de transmission du Covid19, il est capital que toute la population porte un masque à l’extérieur de la maison. Et, si une personne présente des symptômes de la maladie, elle doit aussi le porter à l’intérieur de la maison.
Nous sommes conscients des difficultés d’approvisionnement en masques. C’est pour cela, qu’avec le Ministère provincial de la santé, nous proposerons un modèle de masque qui sera confectionné localement selon les recommandations de Sciensano.
Ce modèle suggère que le masque soit cousu en deux couches de tissus en coton disponibles sur nos marchés. En leur milieu on mettra soit une toile de type viseline bien connue de nos tailleurs, soit du papier essuie-tout, un mouchoir en papier ou encore du papier hygiénique. Ce type de masque garantit une protection pour plus ou moins 4 heures. Après, ce masque sera trempé dans l’eau savonneuse et chaude de plus de 60° pendant 30 minutes ou alors il sera trempé dans l’eau chlorée à 0,5%, puis séché et repassé.
Ces mesures sont cruciales pour aplatir la courbe du nombre de personnes contaminées, ce qui signifiera au total, moins de morts, car sans adopter ces mesures, nous compterons malheureusement des milliers de morts. Soyons en conscients !
Nous aspirons enfin à effectuer un maximum de test, en fonction, bien sûr, des ressources disponibles.
Notre objectif est de tester toute personne suspecte ou tout contact avec un malade positif, afin d’identifier les cas positifs au Covid-19 et de les mettre en isolement.
Les tests et dépistages se feront dans des endroits éloignés des hôpitaux et des centres de santé, dans des tentes semblables à celles du temps d’ « Ebola ; ou encore dans les écoles aujourd’hui fermées et dont le personnel est dans le fait déjà mis en congé technique à la suite des mesures de confinement Ceci pour éviter que nos hôpitaux ne deviennent des sources de contamination.
Il va de soi que malgré cette pandémie nos hôpitaux doivent continuer à accueillir les malades en toute sécurité, traiter d’autres pathologies.
Malgré cette épreuve liée au coronavirus, la vie devra continuer au mieux de nos possibilités, nos maternités par exemple devront continuer à prendre en charge les femmes enceintes et la protection des femmes contre les violences sexuelles et basées sur le genre doit être renforcée durant cette période de crise.
Le technicien effectuant les tests sera protégé par un masque de classe 2 et un écran de plexiglass. Ce type de masque protège des bactéries et des postillons, des gouttelettes issues de la toux ou de l’éternuement.
Ces deux types de masques sont performants et heureusement que nous pouvons les fabriquer nous-mêmes, ici chez nous.
Pour le moment, les personnes testées positives au Covid-19 seront isolées au Centre de traitement à Bwindi.
Le personnel soignant identifiera tous les contacts de cette personne testée positive, les testera et les mettra en quarantaine à leur domicile.
Une permanence téléphonique sera organisée pour suivre et garder contact avec les personnes placées en quarantaine.
Une équipe mobile pourvue des moyens de protection leur rendra visite pour évaluer leur état de santé. Elle travaillera en étroite collaboration avec les hôpitaux de référence, les centres de santé et les relais communautaires. Elle jugera de leur évolution et décidera de leur transfert dans les centres de prise en charge thérapeutique.
Les cas sévères seront transférés à l’Hôpital Provincial Général de Référence ou à l’Hôpital Général de Référence de Panzi. Ces hôpitaux les prendront en charge car ils ont la capacité de mettre le malade sous oxygénation ou encore de le placer sous respirateur selon un protocole bien défini.
En résumé, seuls les malades qui présentent des complications seront acheminés dans ces hôpitaux de référence.
Nous tenons enfin à rappeler que depuis le 1er avril, notre province s’est mise en confinement préventif. A partir de cette date, la ville de Bukavu est isolée du reste de la province et des pays limitrophes. Les ports, les aéroports, les aérodromes, ainsi que les postes frontaliers de Ruzizi I et II, de Kamanyola et de Kavimvira sont fermés.
Tout mouvement non essentiel de personnes vers les milieux ruraux sont interdits. Toutes les routes qui mènent vers les territoires sont fermées à la circulation, exception faite aux véhicules transportant des vivres et des produits de première nécessité.
Pour faire respecter ces mesures, nous préconisons des contrôles aux différents points d’entrée de la ville. N’y accèderont que les personnes asymptomatiques (sans toux ni fièvre), qui transportent des produits de première nécessité, portent un masque, et sont munies d’un laisser-passer délivré à la zone de santé de provenance attestant que la personne a été testée négative.
Les personnes qui souhaitent aller se confiner au village sont encouragées à le faire le plus tôt avant une potentielle contamination de masse dans la ville.
Les mesures-barrières appliquées en ville, seront mises en œuvre dans les milieux ruraux. Les villages seront isolés les uns des autres et au sein des villages, nous conseillerons également que nos anciens soient aussi protégés par l’isolement.
Chers compatriotes, pour faire respecter ces mesures et éviter ainsi une hécatombe, nous aurons besoin d’une mobilisation générale. Chacun de nous est une partie de la solution.
Pour freiner le coronavirus, nous rappelons à la population de respecter les mesures de prévention et les gestes barrières: limiter les déplacements à l’essentiels, porter le masque pour éviter la propagation du virus, garder une distance physique de minimum un mètre entre les individus, éviter les poignées de main et les accolades, se laver les mains avec du savon régulièrement, et éternuer dans son coude ou dans un mouchoir.
Nous avons conscience que cet état d’urgence sanitaire entraînera des grands sacrifices pour chacun de nous ainsi que des restrictions à nos libertés fondamentales le temps de cette crise, mais ayez conscience qu’elles sont nécessaires pour développer une immunité collective tout en préservant des vies.
Courage à tous dans cette période difficile que nous allons traverser ensemble. Avec la bonne volonté de chacun et l’engagement de tous nous surmonterons cette épreuve.
Je vous remercie pour votre attention. »
Professeur Denis Mukwege.
Vice-Président du Comité provincial de Riposte au Coronavirus
Président de la Commission Santé.
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